Le film chinois “Return to dust” a disparu des écrans et des plateformes Internet depuis le 27 septembre. Une censure inédite pour un film qui avait pourtant été validé une première fois, cet été, et qui a fait un carton au box-office. Mais cette peinture réaliste de la dure vie rurale en Chine semble être devenue film non-grata à l’approche du 20e congrès du Parti communiste chinois.
C’est une histoire d’amour qui a fini par déplaire aux censeurs chinois. Après plus de deux mois d’exploitation, le film “Return to dust” a totalement disparu des écrans en Chine, mardi 27 septembre. Toute mention de cette œuvre – pourtant un succès commercial et d’estime – a été effacée des réseaux sociaux chinois.
So interesting that some critics blame the film for uglifing Chinese peasants while others think it beautifies and romanticises poverty. However, these different views themselves have revealed the huge gap in the society, and the censoring has made it literally ‘Return to Dust’. pic.twitter.com/3notQh4aaf
— Feifan (@fivor22) September 30, 2022
Plus personne ne peut, en Chine, suivre les tribulations amoureuses et très rurales entre le paysan sans le sou Ma Youtie et son épouse Cao Guiying. Le film, qui dépeint la dure condition paysanne en Chine, avait connu un début très remarqué au Festival du film de Berlin en février 2022, où il était en lice pour décrocher l’Ours d’Or. “C’était le seul film chinois à avoir été retenu cette année par l’un des trois plus prestigieux festivals internationaux de cinéma – Festival de Cannes, de Venise et de Berlin”, souligne le South China Morning Post. Une représentation de la Chine que les autorités de Pékin ne souhaitent plus voir projeter à l’approche du 20e Congrès du Parti communiste chinois.
La rançon de la gloire ?
En Chine, “Return to dust” a dû patienter avant de se frayer un chemin vers les salles obscures et les plateformes de vidéo à la demande. Il n’est sorti, pour le public chinois, qu’en juillet, soit près de six mois après ses débuts à Berlin.
Le temps, probablement, pour que les censeurs donnent leur feu vert. “Les scénarios et les films finalisés doivent toujours être approuvés par les autorités avant leur sortie, en conformité avec le discours de 1942 de Mao Zedong, qui soulignait que l’art devait avant tout servir le projet politique”, souligne Chris Berry, spécialiste du cinéma chinois au King’s College de Londres.
Pour beaucoup, “Return to dust” avait fait le plus dur en obtenant l’accord de l’Administration chinoise du film. “Cela peut, en effet, paraître surprenant qu’une œuvre qui expose l’extrême pauvreté et les conditions de vie des paysans dans la province de Gansu [nord-ouest de la Chine, NDLR] ait pu seulement voir le jour”, reconnaît Chris Berry. Le film aurait ainsi pu devenir le miraculé d’une censure chinoise pourtant toujours plus présente à tous les étages de la société chinoise.
Cependant, le verdict initial de l’Administration du film peut se comprendre. Le propos du film se marie bien avec l’un des projets phares du gouvernement. “La campagne de Xi Jinping pour en finir avec l’extrême pauvreté présuppose qu’il y a des régions où cette action est nécessaire et montrer cette réalité peut servir la cause du gouvernement”, explique Chris Berry.
“Return to dust” est, en outre, un film à petit budget (2 millions de yuan, ou 287 000 euros) ce qui le condamnait, aux yeux des autorités, à avoir un écho limité au sein de la population.
Sauf qu’il a fait un carton au box-office. Ce film a rapporté plus de 100 millions de yuan (14 millions d’euros) en recette aux guichets, soit cinquante fois ce qu’il a coûté.
“Le succès commercial et la reconnaissance sur la scène internationale ont fait qu’il y a eu de plus en plus de discussions en ligne autour de cette œuvre. Le propos du film est, alors, devenu plus problématique”, estime Chris Berry.
Trop pessimiste à l’approche du congrès du PCC
Les censeurs ont alors probablement sorti la loupe pour examiner l’histoire de plus près. “Je soupçonne que ce qui a coincé, au final, c’est le ton très pessimiste du film”, avance l’expert du King’s College de Londres. Malgré leurs efforts, les deux protagonistes ne réussissent pas à se sortir de la misère et finissent par mourir. Du moins, c’est très fortement suggéré. “Si le couple avait pu trouver une belle maison à la fin et une sorte d’acceptation sociale, les autorités n’auraient probablement rien trouvé à redire au reste”, conclut Chris Berry.
C’est d’ailleurs le sens de la plupart des messages sur Weibo (le Twitter chinois) que le quotidien The Guardian a pu consulter avant la purge des réseaux sociaux. “”Le message négatif du film va tout simplement être utilisé par les autres pays pour critiquer les politiques menées en Chine”, a ainsi déploré un internaute.
La fin du film avait d’ailleurs été changée en septembre afin de la rendre moins dure. Au lieu d’un plan final sur une bouteille de pesticide qui laissait peu de doute sur la volonté du héros de se suicider – sa femme avait péri auparavant –, la nouvelle mouture du film s’achevait sur un texte assurant que le paysan avait pu trouver une “nouvelle maison grâce à l’aide des autorités et des autres villageois”.
Mais ce n’était pas suffisant. “Return to dust” devenait de plus en plus le mauvais film au mauvais moment. L’approche du 20e Congrès du Parti communisite chinois – qui débute le 16 octobre et doit consacrer un troisième mandat présidentiel historique pour Xi Jinping – rend les autorités plus tatillonnes sur tout ce qui pourrait écorner l’image du leader chinois.
“La politique ‘zéro Covid’ de Xi Jinping n’est plus acceptée par tous et il s’est rapproché de Vladimir Poutine, qui apparaît de plus en plus comme un dangereux lunatique sur la scène internationale. Soudain, la pression grandit sur les instances dirigeantes afin de montrer l’image d’une Chine forte et unie derrière son dirigeant”, résume Chris Berry.
Le fait que les autorités se donnent ainsi la peine de revenir sur leur décision initiale concernant un “petit” film serait, à ce titre, très révélateur du niveau d’anxiété du régime à l’approche du 20e Congrès.
Pas de “Top Gun” à la chinoise ?
Cette censure après coup s’inscrit aussi “dans un mouvement plus général de reprise en main de la production cinématographique chinoise ces derniers temps”, assure Chris Berry. Personne ne sait, par exemple, pourquoi le très attendu “Born to Fly” a été déprogrammé à la dernière minute, alors qu’il devait sortir fin septembre. Présentée comme la réponse chinoise à “Top Gun”, cette grosse production était censée glorifier l’aviation chinoise ? Officiellement, cette décision de dernière minute tiendrait à des “problèmes techniques”.
Les films qui ont pu atteindre les salles obscures martèlent leur message pro-Pékin avec des sabots on ne peut plus gros. Il y a ainsi “Home Coming” qui raconte de manière très musclée une mission de sauvetage de Chinois retenus prisonniers dans un pays du Moyen-Orient en pleine guerre civile. Une œuvre en phase avec l’ambition de Pékin de prouver que la Chine est désormais capable de projeter sa puissance partout dans le monde et protéger ses ressortissants où qu’ils se trouvent.
L’autre long-métrage, “Ordinary Hero”, montre la mobilisation de Chinois ordinaires pour sauver la vie d’un jeune enfant ouïghour qui doit être transporté d’urgence à l’hôpital. Là encore, une œuvre qui ressemble beaucoup à la réponse de Pékin à la communauté internationale, qui accuse le gouvernement chinois de mener une politique de répression systématique à l’égard de la minorité musulmane des Ouïghours dans la région du Xinjiang.
Dans ce paysage cinématographique dopé aux sentiments pro-régime, un film plus en nuance et sombre comme “Return to dust” semblait, en effet, avoir peu de chance de survivre.