La mission ouest-africaine dépêchée jeudi au Mali dans le dossier des 46 soldats ivoiriens a quitté Bamako sans faire d’annonce. Détenus au Mali depuis plus de deux mois et demi, ces militaires sont accusés par la junte d’être des “mercenaires” venus déstabiliser le pays.
Au Mali, la réunion de médiation ouest-africaine pour obtenir la libération des soldats ivoiriens s’est terminée sans annonce. Dépêchés jeudi 29 septembre à Bamako en tant que représentants de la Cédéao (Communauté des États ouest-africains), le ministre des Affaires étrangères togolais Robert Dussey, ainsi que les présidents ghanéen Nana Akufo-Addo et gambien Adama Barrow ont tenté de dénouer la délicate crise diplomatique entre le Mali et la Côte d’Ivoire.
Le 10 juillet, à leur arrivée à Bamako, 49 soldats ivoiriens ont été arrêtés, accusés d’être arrivés illégalement sur le territoire malien. Début septembre, la médiation togolaise était parvenue à obtenir la libération de trois de ces prisonniers, des femmes, à titre humanitaire. Pourtant, depuis, les tensions sont montées d’un cran entre Abidjan et Bamako.
Le Président de la Transition, SE le Colonel @GoitaAssimi, Chef de l’État, a accueilli, ce jeudi, à l’aéroport international Modibo KEÏTA de Bamako-Senou, une délégation de haut niveau de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). pic.twitter.com/HGbIgUfmC6
— Presidence Mali (@PresidenceMali) September 29, 2022
Soldats vs mercenaires
Depuis deux mois et demi dans ce dossier, deux versions s’affrontent. Abidjan affirme que les 49 soldats sont des éléments nationaux de soutien (NSE) de la Minusma. Il s‘agit d’effectifs déployés par les pays contributeurs de troupes à l’opération de l’ONU au Mali.
Bamako, de son côté, accuse ces soldats d’être des “mercenaires” venus au Mali avec le “dessein funeste” de “briser la dynamique de la refondation et de la sécurisation du Mali”.
Les autorités militaires de transition leur reprochent notamment d’être arrivés “sans autorisation ni ordre de mission” et d’avoir donné des versions contradictoires quant à la raison de leur présence.
Mi-août, la justice malienne a inculpé et écroué les militaires détenus pour “tentative d’atteinte à la sûreté de l’État”.
Si elles ont reconnu des “manquements” et des “dysfonctionnements administratifs“, la Côte d’Ivoire et les Nations unies plaident, quant à elles, la bonne foi et demandent la “libération immédiate” des soldats emprisonnés.
Le contentieux Mali-Côte d’Ivoire
L’affaire des soldats ivoiriens a surpris nombre d’observateurs par son timing. Car celle-ci a éclaté à peine une semaine après le levée par de l’embargo économique contre le Mali par la Cédéao, dont la Côte d’Ivoire est membre. L’organisation sous régionale avait alors salué des progrès à la suite de l’adoption par Bamako d’un calendrier électoral prévoyant le retour des civils au pouvoir en 2024.
Du côté de Bamako pourtant, la méfiance demeure grande vis-à-vis d’Alassane Ouattara, proche allié de la France, perçu comme un fervent détracteur des coups d’États militaires en Afrique de l’Ouest.
Le 3 septembre, la médiation togolaise pilotée par le ministre des Affaires étrangères, Robert Dussey, avait obtenu une première avancée : la libération de trois femmes soldats. “Les discussions sont en cours pour que, très rapidement, les autres soldats en détention puissent retrouver leur liberté totale”, avait-t-il déclaré. Mais les discussions se sont rapidement crispées autour des contreparties demandées par Bamako.
Car le Mali conditionne alors la libération des détenus à l’extradition de ressortissants. “Au même moment où la Côte d’Ivoire demande la libération de ses soldats, elle continue de servir l’asile politique pour certaines personnalités maliennes faisant l’objet de mandats d’arrêts internationaux émis par la justice”, déclarait le président de la transition malienne, Assimi Goïta, le 9 septembre.
Parmi ces personnes figurent Karim Keïta, fils de l’ancien président Ibrahim Boubacar Keïta, ou bien encore l’ancien ministre de la Défense Tiéman Hubert Coulibaly.
À Abidjan, cette demande à peine voilée a suscité un tollé. Le 14 septembre, les autorités ont dénoncé un “chantage inacceptable” ainsi qu’une prise d'”otages”, et saisi la commission de la Cédéao pour une réunion d’urgence.
Un écart qui se creuse
Le conflit entre le Mali et la Côte d’Ivoire est encore monté d’un cran lors de l’assemblée générale de l’ONU à New York, en marge de laquelle les dirigeants ouest-africains ont tenus leur réunion. D’une seule voix, la Cédéao, dont le Mali est exclu depuis le deuxième coup d’État du 24 mai 2021, a condamné l’arrestation des militaires ivoiriens et réclamé leur libération. Une position également défendue par le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, lors de son discours.
De son côté, le Premier ministre par intérim du Mali, le colonel Abdoulaye Maïga, a tenu à répondre à ses détracteurs fustigeant une tentative de “faire passer le Mali de statut de victime à celui de coupable dans cette affaire”.
Malgré ces tensions et la prise de position claire de l’organisation, les autorités maliennes ont consenti à recevoir les trois représentants de la Cédéao jeudi à Bamako. Sans toutefois cacher un certain scepticisme.
“Nous pensons que cette délégation part du mauvais pied”, a souligné le ministre des affaires étrangères du Mali, Abdoulaye Diop, à quelques jours de la visite. “Il est important que les partenaires extérieurs ne prennent pas de position qui porte préjudice à l’équilibre de leur rôle”, a-t-il insisté, affirmant que le Mali était prêt à discuter mais n’obéirait pas aucun “diktat”.