Le 16 septembre, un charnier contenant plus de 400 corps d’Ukrainiens a été découvert dans la ville d’Izioum, récemment reprise à l’armée russe. Mais depuis cette date, des comptes pro-russe affirment, image à l’appui, que cette découverte est une “mise en scène” réalisée à partir de cadavres plus anciens. La rédaction des Observateurs a recueilli des témoignages démontrant au contraire que ce charnier est bien réel.
La vérification en bref
- Depuis le 19 septembre 2022, des comptes Twitter et Facebook partagent une photographie prise à Izioum, dans la forêt où plusieurs centaines de corps ont été découverts. On y aperçoit des tombes sur lesquelles une date de décès est inscrite : le 9 mars 2022.
- D’après ces comptes, cette date est antérieure à la prise de la ville par l’armée russe et donc cette photographie démontrerait que le charnier découvert dans la ville serait en fait une “mise en scène” organisée par les autorités ukrainiennes.
- La rédaction des Observateurs a contacté Gulliver Cragg, correspondant de France 24 qui s’est rendu à Izioum. Il explique que cette date de décès ne prouve rien puisque beaucoup des corps découverts dans ce cimetière sont ceux de personnes tuées lors de l’assaut de la ville par l’armée russe.
Le détail de la vérification
Située dans la région de Kharkiv, Izioum a été occupée par l’armée russe du 24 mars 2022 jusqu’au 12 septembre. Et seulement quatre jours après sa reprise par l’armée ukrainienne, des tombes de civils et de soldats ukrainiens ont été découvertes dans une forêt bordant la ville. Depuis cette date, Dmitri Peskov, le porte-parole du Kremlin, a qualifié cette découverte de “mensonge”.
Sur les réseaux sociaux, des comptes francophones affichant leur soutien à la Russie ont à leur tour démenti ces informations. Des utilisateurs de Twitter ont notamment repris une photographie partagée par le compte de l’ambassade de Russie en Afrique du Sud. Cette image montre des tombes situées dans la forêt d’Izioum et mentionnant une date de décès : le 9 mars 2022.
D’après les comptes qui partagent cette photographie cumulant plusieurs milliers de likes, il s’agirait d’une preuve démontrant que les morts retrouvés à Izioum ont été tués avant l’arrivée de l’armée russe, et donc que ce nouveau charnier serait une “mise en scène” organisée par l’armée ukrainienne.
Un cimetière agrandi entre mars et août 2022
Cette photographie a bien été prise à Izioum sur le lieu de découverte de tombes de civils et soldats ukrainiens. Elle a ensuite été partagée le 16 septembre sur Twitter par Andriy Yermak, chef de l’administration présidentielle ukrainienne.
À Izioum, plus de 400 cadavres ont été retrouvés le 16 septembre sur le site d’un des cimetières de la ville. Ce cimetière existe depuis plusieurs dizaines d’années : il est indiqué sur Google maps, et est même visible sur des images satellitaires datant de 2012. Certaines tombes y ont donc bien été installées avant le début de l’invasion russe.
La société américaine Maxar Technologies a partagé des images satellitaires de l’entrée de ce cimetière prises en mars et août 2022. Ces images prouvent que, sur cette période de six mois, la terre y a été creusée à de nombreux endroits, et que le cimetière a été étendu.
Des témoignages contredisent la thèse de la mise en scène
La rédaction des Observateurs a échangé avec Gulliver Cragg, correspondant de France 24 en Ukraine, qui s’est rendu sur le site du cimetière d’Izioum. Il explique que plus de 440 corps d’Ukrainiens morts depuis le début de l’invasion russe ont été découverts dans le cimetière. Près de ces tombes, une fosse commune contenant les corps de 17 soldats ukrainiens a également été découverte.
D’après les employés de pompes funèbres interrogés par Gulliver Cragg, la plupart de ces personnes sont mortes lors des combats précédant la prise de la ville, c’est-à-dire entre février et mars 2022 alors que Izioum était assiégée et ciblée par l’artillerie russe.
Une fois la ville tombée aux mains de l’assaillant, ces employés ont donc inhumé des centaines de personnes tuées lors des bombardements, ce qui était irréalisable lorsque la ville était encore le théâtre d’affrontements. Cela explique pourquoi certaines croix indiquent des dates de décès antérieures à la prise d’Izioum par l’armée russe.
Une famille tuée lors d’un bombardement russe
Qu’en est il des tombes visibles sur l’image ? Les noms qui y sont indiqués sont ceux de “Elena Stolpakova”, “Dmitry Stolpakova” et “Olesya Stolpakova”. D’après les dates inscrites sur leurs tombes, ces personnes auraient toutes perdu la vie le 9 mars 2022, et Olesya Stolpakova n’était âgée que de cinq ans.
La rédaction des Observateurs n’a pas pu vérifier de sources indépendantes les informations concernant cette famille, mais plusieurs médias ukrainiens, dont le site Fakty, ont documenté sa disparition. L’équipe de Fakty explique avoir échangé avec des amis de la famille Stolpakova qui était composée de Elena, Dmitry, leur fille Olesya, mais aussi Lena, la fille aînée de Elena issue de son précédent mariage.
D’après cet article, l’immeuble où vivaient Elena et Dmitry Stolpakova, situé sur la rue Vulytsya Pershotravneva, aurait été visé par une attaque aérienne russe le 9 mars 2022. Cette attaque aurait entraîné l’effondrement de l’immeuble et la mort de toute la famille, y compris celle de la fille Lena dont la tombe, portant un nom de famille différent, n’aurait pas encore été identifiée.
“Les pompes funèbres de la ville ont tenu une documentation de ce site”
Gulliver Gragg précise que toutes les personnes retrouvées dans le charnier de Izioum n’ont pas été tuées de la sorte en mars 2022. Il explique que certains corps sont ceux de personnes décédées entre mars et septembre 2022, soit pendant l’occupation de la ville. Selon lui, il est encore difficile de quantifier le nombre exact de personnes tuées à Izioum pendant cette période, mais certains de ces corps portent des traces de morts violentes, par exemple par balles.
Enfin, le correspondant de France 24 raconte avoir assisté à l’autopsie d’un corps retrouvé dans cette forêt durant laquelle un médecin légiste a relevé des traces de torture, notamment des blessures à la nuque et aux parties génitales. Un procureur ukrainien lui a également montré le corps d’une personne tuée par étranglement.
Gulliver Cragg rappelle qu’il faudra attendre la fin de plusieurs enquêtes afin d’établir les circonstances exactes de ces nombreux décès. Mais il précise : “au cours des derniers mois, les pompes funèbres de la ville ont tenu une documentation de ce site. Il est bien réel. Beaucoup de personnes qui y sont enterrées sont mortes lors de l’assaut de l’armée russe, mais d’autres ont été tuées pendant qu’Izioum était occupée.”