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Qatar : pour les travailleurs étrangers impayés, manifester, c’est risquer l’expulsion

Le Qatar, qui s’apprête à accueillir la Coupe du monde de football en novembre prochain, s’attire à nouveau les critiques des organisations de défense des droits humains. La raison : des ouvriers d’une entreprise de construction manifestent depuis plusieurs mois pour réclamer des salaires impayés. Le 14 août dernier, les autorités qataries ont arrêté et expulsé une partie d’entre eux. 

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Lors d’une manifestation le 14 août, au moins 60 travailleurs employés par Al Bandary, dont certains n’avaient pas été payés depuis sept mois, ont bloqué la circulation devant le siège de cette entreprise de Doha. Cette manifestation a été organisée dans le cadre de la campagne “Pay up Fifa“, qui réclame le versement des salaires impayés. 

Dans une vidéo de la manifestation du 14 août à Doha, on voit des dizaines d’ouvriers rassemblés devant le siège de l’entreprise, bloquant la route dans le centre de Doha.

Cité par l’AFP, le gouvernement du Qatar avait déclaré qu'”un certain nombre de manifestants avaient été arrêtés pour avoir enfreint les lois sur la sécurité publique”, ajoutant qu’une “minorité de personnes qui n’ont pas manifesté de manière pacifique et ont agi en violation des lois sur la sécurité publique risquent l’expulsion sur ordre de la justice”. Le gouvernement qatari avait en outre affirmé qu’il allait payer tous les salaires des employés.    

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Nimroud (pseudonyme), notre Observateur, qui travaille comme agent de sécurité, s’est rendu samedi 28 août au bâtiment où logeaient les ouvriers d’Al Bandary International Group, dans la municipalité d’Al Mukaynis. Il affirme n’y avoir trouvé aucun travailleur de cette entreprise.

Le bâtiment qui abritait les travailleurs d’Al Bandary était complètement désert. Il n’y avait personne. Les chambres étaient sens dessus dessous. Ils ont laissé leurs vêtements, il y avait des matelas, des sommiers renversés, leurs ustensiles de cuisine, etc.

 


 

Cette vidéo tournée par notre Observateur le 28 août montre le bâtiment où logeaient les ouvriers d’Al Bandary, complètement désert. On y voit aussi des sommiers et des matelas renversés, jetés dans la cour.

“Des ressortissants de pays arabes et du Bangladesh nous ont dit qu’ils n’ont pas encore été payés”

Mustafa Qadri est le fondateur de l’ONG britannique de défense des droits des travailleurs migrants Equidem, qui a révélé l’arrestation des travailleurs d’Al Bandary le 23 août. 

Ce dont nous sommes certains c’est que plus de 60 travailleurs ont été arrêtés. Certains travailleurs avec qui nous sommes en contact nous ont dit qu’il y en avait beaucoup plus : entre 270 et plus de 300. 

Pour autant, nous ne savons pas s’ils ont tous quitté le pays. Et nous ne savons pas non plus combien de travailleurs parmi ceux qui ont été arrêtés et combien sont encore en détention.  

Je suis en contact avec des travailleurs népalais expulsés  et ils m’ont dit que tous leurs compatriotes ont finalement reçu l’intégralité de leurs salaires non-payés et qu’ils ont tous été expulsés. 

Néanmoins, nous avons aussi discuté avec des ressortissants de pays arabes et du Bangladesh, et ils nous ont dit qu’ils n’ont pas encore été payés.

Dimanche [28 août], un travailleur nous a aussi dit que des travailleurs issus de pays arabes étaient toujours en détention. Mais nous ne savons pas combien. Le gouvernement du Qatar ne communique pas ce genre d’informations.

La rédaction des Observateurs a tenté de joindre le ministère du Travail du Qatar et l’entreprise Al Bandary, sans succès.  

La manifestation du 14 août était en fait le point d’orgue d’un mouvement de contestation des travailleurs de l’entreprise Al Bandary, entamé en mars dernier et qui s’est poursuivi pendant plusieurs mois, comme en témoignent des vidéos relayées sur TikTok. 

Sur la vidéo ci-dessous, ont voit les ouvriers rassemblés au bord de la route à la sortie de Doha.

Vidéo publiée le 14 mars, montrant un groupe de travailleurs d’Al Bandary rassemblés au bord de la route.

Vidéo publiée le 5 juin, montrant un groupe de travailleurs d’Al Bandary rassemblés au bord de la route.

Le cas du groupe Al Bandary est loin d’être isolé. Plusieurs entreprises de construction qataries sont accusées de salaires impayés depuis plusieurs mois. Cette vidéo montre par exemple, une manifestation des ouvriers de l’entreprise MCC Mestalla Construction.

Vidéo publiée le 25 février 2022 sur TikTok.

Cette autre vidéo montre une grève des travailleurs de l’entreprise JH Construction, organisée en mars dernier. Ils affirmaient, alors, qu’ils n’avaient pas été payés depuis septembre 2021.


Vidéo publiée sur YouTube le 17 mars 2022.

Et dans la vidéo ci-dessous, ce sont des employés de l’entreprise Redco International qui protestent.

Vidéo publiée le 23 mars sur Twitter.

Mustafa Qadri explique que les salaires impayés sont très “courants” :

La grève des travailleurs d’Al Bandary a eu un retentissement médiatique parce qu’ils ont manifesté dans le centre de Doha, le 14 août. Mais les manifestations sont courantes en dehors du centre-ville, elles ont généralement lieu dans la zone industrielle. Et c’est une préoccupation majeure. 

Durant la pandémie de Covid-19, en 2020 déjà, nous avions constaté que de nombreux travailleurs n’avaient pas touché leurs salaires pendant plusieurs mois. 

Et le problème existait déjà avant 2020. Il est très difficile de savoir combien d’entreprises n’ont pas payé les salaires, et combien d’employés ne sont pas payés. Le gouvernement du Qatar ne fournit pas ce genre d’informations. 

L’État a pris pourtant l’engagement de s’assurer que les travailleurs soient payés pour le travail effectué. 

En octobre 2018, le Qatar a créé le Fonds d’assurance de soutien aux travailleurs afin de payer les travailleurs qui n’ont pas été rémunérés par leur employeur dans un délai réduit. Marco Minocri, chargé de communication de l’Organisation Internationale du Travail pour le Qatar, regrette des lenteurs des procédures d’indemnisation : 

Depuis sa création, en 2018, jusqu’à juillet 2022, le fonds a indemnisé plus de 37 000 travailleurs de différents secteurs de l’économie, pour un montant de plus de 160 millions de dollars [161,2 millions d’euros, NDLR]. Certains sont rentrés dans leur pays depuis, d’autres ont changé d’emploi. 

Mais les procédures ne fonctionnent pas encore efficacement, ce qui explique pourquoi il y a encore beaucoup des travailleurs qui attendent d’être indemnisés. Les retards sont en outre en partie dus au Covid-19, parce que pendant la pandémie, il y a eu une augmentation des plaintes et les tribunaux du travail n’ont pas pu se réunir pour étudier les plaintes. 

Donc, cela ne marche pas à la vitesse souhaitée, il y a beaucoup de délais. C’est problématique car beaucoup de travailleurs migrants, notamment les travailleurs à bas salaire, envoient entre 80 % et  90 % de leurs salaires au pays. Donc quand il y a des retards de salaires, cela a un impact important sur leurs familles.

Quant aux raisons des salaires impayés, elles restent floues. Marco Minocri poursuit :  

Parfois une entreprise fait faillite et ne paye pas ses employés. Dans le secteur de la construction, il existe de nombreuses couches de sous-traitants [dans les pays du Golfe, NDLR]. Quand ces entreprises ne reçoivent pas l’argent du contractant principal, elles ne sont pas en mesure de payer leurs employés.

Mustafa Qadri, de l’ONG Equidem, s’inquiète, lui, que les travailleurs soient toujours privés de droits syndicaux : 

Il y a une réelle préoccupation concernant le fait que ces travailleurs soient punis, détenus et expulsés dans leurs pays. Nous avons donc un pays où les travailleurs sont criminalisés pour le simple fait de s’organiser pour réclamer leurs droits. 

Le Qatar devrait sanctionner les entreprises, qui agissent de la sorte. Et il doit y avoir beaucoup plus de transparence. 

Le Qatar a signé et ratifié les principaux documents relatifs aux droits de l’Homme et aux droits du travail, notamment la Convention sur le travail forcé et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il a donc des obligations légales internationales strictes pour lutter contre ces pratiques. 

Ironiquement, beaucoup des footballeurs qui vont participer à cette coupe du monde sont syndiqués. Mais les travailleurs qui rendent cette Coupe du monde possible ne le sont pas [les syndicats ne sont pas autorisés au Qatar, NDLR]. Je ne connais pas de représentation plus frappante de l’inégalité et de la discrimination. 

Il n’existe pas de données précises quant au nombre de travailleurs étrangers au Qatar, ni sur les expulsions. L’émirat compte plus de deux millions de travailleurs étrangers, ce qui représente environ 95 % de sa main-d’œuvre totale. Environ un million de travailleurs sont employés dans le secteur de la construction. 

Chaleur intense, chutes, insuffisances cardiaques… De nombreuses ONG dénoncent régulièrement des conditions de travail dangereuses notamment sur les chantiers liés à la construction des stades devant accueillir la Coupe du monde 2022. En février 2021, le quotidien britannique The Guardian indiquait que plus 6 500 travailleurs migrants avaient trouvé la mort dans les chantiers de construction des stades au Qatar depuis 2010, en raison de conditions de travail extrêmes.

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