Malgré des millions d’euros dépensés chaque année par les autorités iraniennes pour promouvoir un mode de vie conforme à une vision conservatrice, des vidéos montrent régulièrement une jeunesse qui défie le message martelé dans les écoles ou les médias publics, provoquant l’ire des plus rigoristes.
L’une des dernières vidéos remonte au 20 août : partagée sur Telegram et Instagram, elle montre une petite fille dans la ville d’Ispahan, dansant énergiquement sur du rap iranien. Ces mouvements de danse hip hop sont du jamais-vu chez des filles dans le pays.
Vidéo publiée sur les réseaux sociaux le 20 août, montrant un gymnase qui sert surtout de couverture à des cours de danse clandestins. Les visages des enfants ont été floutés par FRANCE 24.
D’autres vidéos similaires ont récemment fait scandale dans les sphères conservatrices. En juin, des adolescents s’étaient rassemblés, vêtus à l’occidentale, les filles sans voile, pour célébrer la Journée internationale du skateboard, suscitant une réaction furieuse des dirigeants musulmans.
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Les autorités iraniennes dépensent l’équivalent de 200 millions d’euros par an pour l’enseignement religieux, de 176 millions d’euros pour les chaînes de télévision d’État et de 139 millions d’euros pour le financement des Basij, la branche paramilitaire des Gardiens de la révolution.
Des millions d’euros supplémentaires sont consacrés à d’autres outils de propagande, comme Owj, une société médiatique à but non lucratif connue pour promouvoir les valeurs conservatrices de la République islamique dans ses films. L’État censure également les livres, les films, la musique et les programmes scolaires.
Vidéo de propagande d’Owj, intitulée “Salut commandant”, diffusée en mars 2022 pour faire l’éloge du Guide suprême iranien, Ali Khamenei. Elle décrit les enfants nés dans les années 2010 comme les soldats de Khamenei.
“Notre vie sociale se passe essentiellement sur les réseaux sociaux”
L’État tente d’imposer un mode de vie jugé islamique par le biais de la propagande et de la tristement célèbre police des mœurs connue sous le nom de “Gasht-e-Ershad” qui fait respecter les valeurs traditionnelles dans les rues, souvent avec la manière forte. Nazanin (pseudonyme) a 15 ans et vit dans un village de l’est de l’Iran. Elle explique comment elle et ses amis perçoivent la propagande étatique.
Je ne regarde aucune des chaînes de télévision publiques. Tout ce qu’elles diffusent est ennuyeux.
Mes parents regardent parfois les informations, mais je ne regarde même pas ça, ça ne m’intéresse pas. Je regarde les films ou les séries en ligne, ou je les télécharge. Les dernières choses que j’ai regardées sont “Money Heist” et “We Need to Talk About Kevin”.
Et je trouve les nouvelles sur les sujets qui m’intéressent sur les réseaux sociaux, comme Instagram ou les chaînes Telegram. Je m’intéresse à la mode, le cinéma américain et la musique.
وحشت رژیم از دهه نودی ها:در پی انتشار ویدئویی از تجمع تفریحی شماری از دختران و پسران نوجوان در یکی از خیابانهای #شیراز، مقامهای استان فارس از صدور دستور برخورد با عوامل اصلی برگزارکننده این تجمع خبر دادهاند.
رژیم هیچ راه حلی جز #سرکوب و باز سرکوب نداره#مرگ_بر_خامنهای #ایران pic.twitter.com/ohWakY3wZ7— Jale hojabr (@HojabrJale) June 24, 2022
Vidéo montrant Garçons et filles célébrant ensemble la Journée internationale du skateboard en juin 2022 à Shiraz. Les images ont suscité une vive controverse en Iran, en raison du style vestimentaire des participants mais aussi de la mixité manifeste de l’évènement. cinq personnes ayant participé à l’organisation ont été arrêtées.
Nous nous retrouvons de temps en temps entre amis à la maison. Mais comme nous vivons dans un village, il n’y a pas de café ou de bibliothèque dans les environs, notre vie sociale se résume donc essentiellement aux réseaux sociaux. J’ai beaucoup de bons amis qui vivent dans les autres villages près de chez nous, avec qui je suis en contact par ce biais. Nous échangeons des messages sur les derniers clips qu’ils ont vus, les films, la mode. On parle potins aussi sur des groupes WhatsApp.
Mes genres musicaux préférés sont le rap et le hip-hop, le R&B et un peu de pop. C’est la même chose pour presque tous mes amis. J’aime surtout les artistes iraniens, mais j’aime aussi les artistes internationaux comme Eminem, Adele, Harry Styles et Zayn.
Pour ce qui est des livres, je lis beaucoup. Je cherche surtout des livres en ligne au format PDF. Je les achète ou je les télécharge. L’un des derniers livres que j’ai lus était “Du calme, mon amie ! Sois vraie ! » de Rachel Hollis [une influenceuse américaine qui livre des conseils de vie aux femmes]
De nombreux réseaux sociaux, comme Facebook et Twitter, sont bloqués en Iran depuis plus de dix ans. L’Iran a également interdit Telegram en 2018. Instagram – le réseau social le plus populaire et le seul média social étranger encore autorisé – a également été menacé d’interdiction par certains responsables conservateurs.
Pour les autorités, ces plateformes encouragent le vice et l’immoralité. En février 2022, une commission du Parlement iranien a approuvé les grandes lignes d’un projet de loi qui, selon certains, conduira à un renforcement des restrictions sur l’usage d’Internet en Iran, notamment en bloquant davantage de réseaux sociaux étrangers.
Battle de rap à Ispahan, en octobre 2021.
“Le problème avec les écoles, la télévision, les manuels scolaires et la police, c’est qu’ils essaient de nous imposer leur style de vie.”
Nazanin poursuit :
Tout ce que j’ai décrit se passe dans notre bulle, dans nos salons de discussion et nos maisons. Mais à l’extérieur, dans les rues et les écoles, c’est un monde différent.
La plupart des enseignants sont vieux et ne comprennent absolument pas notre monde. Ils font des discours sur l’importance de respecter le hijab, sur le fait que c’est mal d’écouter tel ou tel chanteur que nous aimons, ou sur le fait que c’est un péché de se maquiller.
Pratiquement aucun de mes camarades de classe ne croit en ces injonctions. Parfois, nous débattons avec nos enseignants – le plus souvent pour savoir pourquoi nous n’avons pas les mêmes droits que les garçons – mais de façon modérée, pour ne pas s’attirer de problème.
Les manuels scolaires sont faits pour nous enseigner des valeurs auxquelles nous ne croyons pas, mais nous devons les apprendre et passer les examens, alors nous obtempérons, sans y croire.
Par exemple, dans mon manuel de théologie, il était écrit que les hommes et les femmes sont différents, que les femmes sont plus émotives et que les hommes sont plus aptes physiquement, que les femmes sont inaptes à certains emplois, une affirmation que je trouve stupide.
Je respecte toute personne qui a un style de vie différent ou des croyances différentes des miennes. J’ai des amis qui veulent porter le hijab et je les respecte tout comme ils me respectent. Le problème avec les écoles, la télévision, les manuels scolaires et la police, c’est qu’ils essaient de nous imposer leur style de vie. C’est ce que moi et beaucoup de mes amis ne pouvons accepter. C’est une voie à double sens : nous respectons leur mode de vie et ils doivent faire de même pour nous.