Emmanuel Macron a réuni ses ministres, mercredi, pour un premier Conseil marquant la rentrée politique du gouvernement. Évoquant l’urgence climatique et les conséquences de la guerre en Ukraine, le chef de l’État s’est inquiété d’une “série de crises graves” et a annoncé aux Français la “fin de l’abondance”, adoptant un ton d’une profonde gravité. Comment interpréter ce discours en termes de communication politique? Bruno Cautrès, chercheur au Cevipof, a répondu aux questions de France 24.
Les vacances sont finies pour le gouvernement français : le Conseil des ministres, réuni mercredi 24 août à l’Élysée, a marqué la rentrée politique de l’exécutif.
Celle-ci survient dans un climat national et mondial rempli d’incertitudes, nourries par la guerre en Ukraine : inflation record, contraction de l’économie européenne, inquiétudes vis-à-vis de l’approvisionnement énergétique à l’approche de l’hiver.
Autant de casse-tête politiques auxquels s’ajoute l’urgence climatique, plus pressante encore dans l’Hexagone après un été où les sécheresses, assorties de gigantesques incendies, l’ont disputé à des pluies diluviennes.
En préambule au Conseil des ministres de rentrée, Emmanuel Macron a appelé le gouvernement à l'”unité” face à la “grande bascule” marquée par la “fin de l’abondance” et celle de “l’insouciance”. Dans un discours aux accents particulièrement sombres, le chef de l’État s’est inquiété d’une “série de crises graves”.
Si la nouvelle conjoncture internationale n’encourage guère à l’optimisme, pour Bruno Cautrès, politologue, chercheur au CNRS et au Cevipof (le Centre de recherches politiques de Sciences Po), le président a fait usage de modes de communication déjà éprouvés depuis son accession à l’Élysée.
France 24 : Quelle méthode de communication politique reconnaissez-vous en premier lieu dans le discours d’Emmanuel Macron ?
Bruno Cautrès : Celle de la dramatisation, d’autant que ce n’est pas la première fois que le chef de l’État a recours à cette tonalité : il a toujours eu une communication visant à montrer qu’il est au rendez-vous des événements historiques de grande ampleur. On a pu observer cette communication dramatisante lors de la crise des Gilets jaunes, la pandémie de Covid-19 puis la guerre en Ukraine.
Dramatiser permet de donner du sens au Conseil national de la refondation, dont le lancement est prévu le 8 septembre par l’exécutif, lequel promet un “dialogue” sur la refonte des “grands services publics”. La logique étant la suivante : si nous traversons une crise grave, la refondation s’impose.
Autre élément de communication auquel Emmanuel Macron nous a habitués : la méticuleuse préparation de ses discours. Le président entend faire usage de formules assez ciselées, ensuite retenues et relayées par les médias, qui vont lui permettre de positionner son rôle dans une perspective historique. C’est un exercice de communication qui est destiné à ce qu’on en parle. Il fonctionne : nous sommes en train d’en parler aujourd’hui.
En sortie du Conseil des ministres, Olivier Véran a renouvelé les promesses du gouvernement de maintenir le bouclier tarifaire sur l’énergie jusqu’à la fin de l’année. Le ton d’Emmanuel Macron est-il une manière de préparer les esprits à la fin de ces garanties ?
Non, parce que nous avons traversé la crise des Gilets jaunes. Chez tous les acteurs politiques, économiques, sociaux français, chacun sait que la France ne peut s’offrir le “luxe” d’une deuxième crise des Gilets jaunes. Et pour cause : au cours de l’hiver 2018-2019, nous avons frôlé de quelques millimètres un crash démocratique.
Il y a en France une tension importante fondée sur le sentiment d’une société injuste et inégale. Nos enquêtes au Cevipof indiquent qu’une écrasante majorité de Français ont le sentiment de vivre dans une société injuste.
Voilà pourquoi la flambée des prix de l’énergie que traversent par exemple les Britanniques serait tout bonnement impossible à faire encaisser aux Français.
“Sobriété”, “fin de l’abondance”, prédit Emmanuel Macron. Où est donc passé le président qui, en 2020, raillait une certaine pensée écologiste, expliquant que “les problèmes de notre temps” ne seraient pas réglés par un retour à la lampe à huile ?
Emmanuel Macron s’est en effet maintes fois positionné contre les adeptes de la décroissance, arguant que la production de richesses assure des bénéfices, lesquels permettent une redistribution, au profit d’une plus grande justice sociale.
Et l’irruption de la sobriété dans ce tableau constitue effectivement une des diverses contradictions du discours d’Emmanuel Macron, car la sobriété rime davantage avec décroissance que croissance.
Une façon de produire plus “intelligente”, prenant en compte des paramètres écologiques, fait partie du logiciel originel d’Emmanuel Macron… mais pas la sobriété.
Celle-ci lui apparaît comme un impératif pour assurer la pérennité de notre approvisionnement énergétique collectif. Au vu de sa trajectoire personnelle et politique, la sobriété est sans doute devenue pour lui un objectif à court terme, qu’il a du mal à vendre à son opinion.
Car ce qui inquiète celle-ci, c’est de supporter seule le coût de la transition écologique et de la sobriété. Ces craintes sont nourries par des questions d’ordre concret, du type “Combien vais-je payer ma facture d’électricité?” ou “Si on m’oblige à acheter une chaudière moins gourmande en énergie, vais-je recevoir des aides de l’État ?”
Sans réponses à ces questionnements, la tonalité dramatisante du discours d’Emmanuel Macron ne fera que renforcer les appréhensions d’une société qui regarde l’avenir avec inquiétude, redoutant davantage – en comparaison avec d’autres pays – les conséquences de l’économie globalisée. Les Français n’ont pas besoin qu’on les rende plus pessimistes qu’ils ne le sont.
Faire craindre le pire pour mieux l’éviter… Et si c’était là la stratégie d’Emmanuel Macron ?
C’est peut-être en effet une hypothèse du président : expliquer aux Français que les temps sont durs, pour ensuite leur annoncer qu’ils ont été de “bons citoyens”, et que “nous y sommes arrivés”.
Une dialectique déjà éprouvée, lors de la campagne de vaccination contre le Covid-19. Laborieuse au début de la pandémie, elle a d’abord laissé la France parmi les cancres du taux de couverture vaccinale, pour ensuite la porter en tête du classement international.
Emmanuel Macron avait ainsi dit, en substance, aux Français : “C’était dur, mais regardez, on en a triomphé ensemble.”
On retrouve aujourd’hui la même narration : celle de l’effort qui permet de démontrer ultérieurement que “lorsque nous sommes soudés ensemble autour d’objectifs fondamentaux, nous parvenons à triompher des obstacles”.
Cette narration-là est celle du président français dès 2017. Elle fait partie du code génétique du macronisme.