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À l’instar de Salman Rushdie, ces écrivains menacés de mort dans le monde

L’attaque perpétrée vendredi 12 août contre Salman Rushdie, dans l’État de New York, jette une lumière crue sur le sort de nombreux écrivains menacés de mort, qui vivent chaque instant la peur chevillée au corps.

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Chaque jour, la même peur de mourir. Sous escorte policière, contraints à l’exil, des écrivains visés par le pouvoir ou des groupes extrémistes affrontent le quotidien dans la crainte de représailles. À l’instar de Salman Rushdie, agressé le 12 août, dans l’État de New York, cible d’une fatwa depuis la sortie de son roman “Les Versets sataniques”, paru en 1988. Portraits de quelques-uns d’entre eux.

Roberto Saviano
Roberto Saviano © AFP

“Libre de sa parole mais prisonnier de ses mouvements.” C’est ainsi que se définit l’écrivain italien Roberto Saviano, dont le nom est devenu célèbre lors de la parution, en 2006, de son récit documentaire “Gomorra”, qui décrit par le menu les pratiques de la Camorra, la mafia napolitaine. Le livre est vendu à plus de quatre millions d’exemplaires et traduit dans 42 pays. Ce succès de librairie, unanimement salué par la critique, lui vaut surtout d’être la cible de projets terroristes de la pègre. Depuis le 13 octobre 2006, le Napolitain est contraint de vivre sous protection policière constante. En 2021, il décrit dans la bande dessinée “Je suis toujours vivant” sa “vie de paria”, dictée par les contingences policières. De son quotidien empêché, l’écrivain revendique “une forme de résistance. Dans cette situation, vous n’êtes pas mort. Mais on ne vous laisse pas vivre non plus. Vous êtes au milieu.” C’est dans cet entre-deux qu’il continue d’écrire, coûte que coûte : “Extra pure : Voyage dans l’économie de la cocaïne” en 2014, “Piranhas” en 2016, “Baiser Féroce” en 2019. L’écrivain est régulièrement sous les projecteurs des médias pour ses prises de position sans concession vis-à-vis des responsables politiques italiens. Et notamment pour son soutien à Salman Rushdie.

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Zineb El Rhazoui
Zineb El Rhazoui © AFP

Zineb El Rhazoui perçoit sa vie comme une “prison ambulante”. Écrivaine et journaliste à Charlie Hebdo, elle échappe à l’attaque terroriste qui a fait 12 morts le 7 janvier 2015 car elle se trouve à Casablanca au moment des faits. L’auteure franco-marocaine vit depuis sous protection permanente des forces de l’ordre. “Ce type de menaces a fait basculer nos vies, celles de nos enfants et de nos familles”, témoigne-t-elle dans Le Parisien en 2019. Souvent désignée comme la femme la plus protégée de France, la quadragénaire ne s’est pas pour autant résignée au silence. Celle qui s’est d’abord fait connaître du grand public en tant que porte-parole du collectif “Ni putes ni soumises” en 2011, fait de sa liberté de parole son étendard. Poussée vers la sortie pour ses propos critiques sur la gestion financière de Charlie Hebdo en 2016, elle continue d’apparaître dans les médias, friands de ses prises de position franches, de ses clashs dans les talk-shows télévisés. Jusqu’au dérapage. Elle affirme, en novembre 2019, sur le plateau de CNews, que la police devrait “tirer à balles réelles” lorsque des émeutes éclatent dans les banlieues.


La même année, elle déclenche une nouvelle salve de critiques en posant aux côtés d’un Youtubeur d’extrême droite. Les menaces de mort redoublent. “Mon quotidien ressemble à celui d’une personne confinée”, décrit-t-elle dans un reportage sur TF1 diffusé le 15 août. “Toutes les sorties doivent être organisées, j’ai l’interdiction formelle de prendre les transports en commun. Naturellement, il y a aussi un souci d’intimité et de liberté.” Mais quand il s’agit de défendre un Salman Rushdie physiquement agressé, sa liberté entravée trouve sur Twitter une précieuse échappatoire. “Lire et relire les #VersetsSataniques de #SalmanRushdie, l’un des meilleurs écrivains britanniques de sa génération. Que chacun achète ses livres, qu’il soit dans toutes les bibliothèques de toutes les maisons. Que ce soit cela, le produit de la haine islamique : son immortalité.” 

Orhan Pamuk
Orhan Pamuk © AP

“Au cours des vingt dernières années, j’ai eu de longues conversations avec des écrivains qui avaient reçu des menaces de mort, notamment de la part d”islamistes ou d’extrémistes islamiques’. […] Je suis l’un d’entre eux”, confie sans détour l’écrivain turc Orhan Pamuk dans un article du Point du 15 août 2022. Placé sous escorte permanente, il affirme que “quels que soient la gentillesse des gardes du corps ou les efforts qu’ils déploient pour rester à l’abri des regards, ce n’est pas une expérience agréable.” 

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Traduit dans plus de soixante langues, Orhan Pamuk peut s’enorgueillir d’avoir vendu plus de onze millions de romans et ne compte plus les récompenses littéraires. Auréolé du prix Nobel de littérature en 2006, il est classé la même année par le magazine Time dans la liste des cent personnalités les plus influentes du monde. En somme, Orhan Pamuk est considéré comme l’écrivain turc le plus célèbre dans le monde. Il est également l’un des plus menacés. Contestataire, il refuse d’abord le titre d'”artiste d’État” en 1998. Puis, il dénonce à travers ses romans et articles les dérives actuelles de son pays comme la montée de l’islamisme, les injustices sociales ou encore le manque de liberté d’expression. Il est aussi le premier écrivain du monde musulman à condamner publiquement la fatwa islamique lancée contre Salman Rushdie. Il reconnaît également dans la presse, en 2005, la responsabilité de la Turquie dans les massacres des Kurdes et le génocide arménien, ce qui lui vaut des menaces de mort et une assignation à comparaître devant les tribunaux : l’écrivain est devenu l’ennemi des conservateurs turcs. Le réseau Ergenekon, composé de militants nationalistes, d’officiers de l’armée et de la gendarmerie, de magistrats, de mafieux, d’universitaires et de journalistes, est accusé d’avoir projeté son assassinat. Contraint à l’exil, l’auteur se serait installé en février 2007 aux États-Unis pour échapper à la mort.  

Kakwenza Rukirabashaija
Kakwenza Rukirabashaija © AP

C’est après sa troisième arrestation, quand il a été torturé, que Kakwenza Rukirabashaija a décidé de quitter l’Ouganda. Une série de tweets goguenards ciblant le fils “obèse” et “rouspéteur” du président Yoweri Museveni avait cette fois déclenché la colère des autorités, explique l’écrivain. Affaibli, il fuit son pays dans la clandestinité et franchit à pied la frontière rwandaise avant de gagner l’Europe. “Je n’étais pas en sécurité en Afrique depuis que les dictateurs collaborent pour expulser les dissidents. Maintenant que je suis en Allemagne, je me sens vraiment protégé”, a-t-il déclaré à l’AFP. Mais l’écrivain n’est pas serein pour autant. “J’habite dans une petite maison au bord d’un lac à Munich. Ma femme et mes six enfants sont restés en Ouganda. Ils vivent dans la peur. Le fils du président a menacé de tuer ma famille et mes proches si je montrais mes blessures ou si je parlais aux médias”, relate-t-il.  Arrêté et torturé à plusieurs reprises dans le passé, notamment pour son ouvrage “The Greedy Barbarian” (non traduit en français), un roman satirique salué par la critique qui décrit un pays imaginaire gangréné par la corruption, l’écrivain ne compte pas se taire pour autant. Dans son dernier livre, “Banana Republic : Where Writing is Treasonous” (non traduit en français) publié en 2020, il décrit ses séjours en détention “inhumains et dégradants”. L’année suivante, il reçoit le prestigieux prix PEN Pinter, attribué aux auteurs persécutés pour avoir exprimé leurs convictions. “Il y a un dicton qui dit : “Blessez un écrivain, il saignera de l’encre. Ma seule arme est l’écriture”. 

portrait-nasreen
portrait-nasreen © AP

À l’annonce de l’agression de Salman Rushdie, l’écrivaine bangladaise s’est dite inquiète sur Twitter. Inquiète pour l’homme, inquiète pour le sort de tous les écrivains en exil qui ne peuvent pas compter sur l’éloignement pour gagner un peu de quiétude. Inquiète pour elle-même. En septembre 1993, une fatwa est prononcée contre Taslima Nasreen par des fondamentalistes islamiques. Son crime ?  Avoir écrit un roman, “Lajja” (la Honte), dans lequel elle dénonce les représailles exercées sur la minorité hindoue bangladaise. Elle trouve alors refuge en Inde. Mais à la suite d’une conférence donnée en 2007, une prime de 500 000 roupies est offerte par un groupe islamiste pour qui obtiendra sa décapitation. Fin novembre 2007, elle fuit Calcutta après de violentes manifestations hostile à sa présence.


Les jours suivants, elle est exfiltrée de ville en ville pour ses propos jugés blasphématoires contre l’islam. La force de ses ouvrages et la pugnacité de son combat lui valent de nombreuses récompenses, comme le prix Sakharov en 1994 ou le prix Simone de Beauvoir en 2008. La même année, elle devient citoyenne d’honneur de la ville de Paris, qui l’héberge un temps. C’est également à Paris qu’elle reçoit un “passeport de citoyenneté universelle” au siège de l’Unesco. Protégée en Europe, elle pense tout de même que sa place reste en Asie. “En écrivant et en parlant, j’encourage les femmes à se soulever et à se mobiliser pour leur liberté, explique la militante dans un entretien de Paris Match du 8 juin 2018. Je suis une citoyenne européenne mais j’ai déménagé en Inde car les femmes y sont plus oppressées, pour que je puisse agir, que je puisse informer les femmes de leurs droits et les encourager à lutter pour ceux-là.”

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