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En Irak, le Kurdistan rattrapé par le chaos politique

Loué pour sa stabilité dans un pays en proie au chaos, le Kurdistan irakien semble céder au contexte de tensions politiques qui plombent l’Irak. La violente dispersion d’une manifestation anti-pouvoir et l’arrestation de parlementaires d’un mouvement d’opposition y trahit une certaine nervosité des autorités locales.

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Que se passe-t-il au Kurdistan, considéré par les Occidentaux comme un rare havre de stabilité et d’ouverture en Irak ? Ces derniers jours, le territoire autonome kurde semble avoir été rattrapé par le chaos et le bras de fer politique qui paralysent le pays depuis les législatives d’octobre 2021.

Samedi 6 août, des rassemblements anti-pouvoir, organisés dans les principales villes de la région, ont été violemment dispersés à coups de balles en caoutchouc et de gaz lacrymogène par les forces de l’ordre, notamment à Souleimaniye.

Six députés et un élu local du Parlement régional ont été interpellés avant d’être libérés au bout de quelques heures. Ils ont la particularité d’être tous élus sous l’étiquette “Nouvelle génération”, le parti d’opposition de l’homme d’affaires Shaswar Abdulwahid, auteur de l’appel à manifester pour exiger l’amélioration des conditions de vie et appeler à la tenue des élections régionales à la date prévue. Selon le mouvement, 40 de ses membres ont été arrêtés sur un total de 600 personnes interpellées.

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En outre, “au moins 60 journalistes ont été ciblés par les forces de l’ordre” lors de ces manifestations, selon l’ONG Reporters sans frontières. Sur les 26 interpellations de journalistes, “au moins 10 concernent à elles seules des journalistes de la chaîne de télévision NRT, dont Shaswar Abdulwahid est le propriétaire”, précise RSF dans un communiqué publié le 9 août.

Nervosité apparente des autorités locales

Ces événements, qui trahissent une certaine nervosité du pouvoir kurde partagé entre le Parti démocratique du Kurdistan (PDK) et l’Union patriotique du Kurdistan (UPK), les deux grands partis historiques, ont provoqué de vives réactions du côté des partenaires occidentaux de la région autonome.

Ainsi l’ambassade américaine à Bagdad, a exprimé, le 8 août, son “inquiétude” face au recours à la violence des forces de sécurité et exhorté les autorités locales à “réexaminer ces actions et à réaffirmer les rôles vitaux qu’une presse libre, des rassemblements pacifiques, et l’État de droit jouent en démocratie”.

Une inquiétude partagée par plusieurs pays européens, dont la France, qui a appelé, via un communiqué publié le 7 août par son consulat général à Erbil, le gouvernement régional du Kurdistan irakien (GRK) “à faire prévaloir les libertés publiques”.

Ces dernières années, les autorités locales ont été plusieurs fois pointées du doigt par des ONG, dont Human Rights Watch, dénonçant des violations des droits humains.

“Les principaux partenaires occidentaux du Kurdistan ont très rapidement protesté contre les événements du week-end parce que, depuis 2003, et jusqu’à récemment, le GRK incarnait à leurs yeux un modèle de stabilité alternatif par rapport au pouvoir en place dans la région”, souligne Adel Bakawan, directeur du Centre français de recherche sur l’Irak (Cfri). “Sa principale force, si ce n’est l’unique, est cette image, cultivée depuis des décennies, d’une terre de diversité culturelle et politique, très symboliquement consacrée par la visite du pape à Erbil en mars 2021“.

Or, selon Adel Bakawan, également auteur de “L’Irak, un siècle de faillite, de 1921 à nos jours” (éd. Tallandier), “ces marqueurs de l’identité et de la particularité du GRK semble moins à l’ordre du jour actuellement”.

“Il faut reconnaître qu’il y a une certaine nervosité au sein du GRK, qui peut s’expliquer par plusieurs facteurs, comme un contexte international bouleversé par la guerre en Ukraine et ses conséquences économiques et géopolitiques, mais aussi par le chaos politique en Irak, qui peut basculer à tout moment vers une guerre civile et menacer directement la stabilité et la sécurité du Kurdistan”.

Le directeur du Cfri estime que le retour en force, en Irak, des jihadistes de l’organisation État islamique (OEI) fait lui aussi peser une menace sur le territoire autonome kurde. Il en est de même pour les fréquents bombardements turcs contre les rebelles kurdes turcs du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) dans le nord du pays, qui font de nombreuses victimes civiles.

“Le GRK, également sous pression en raison des tensions avec Bagdad sur la gestion des richesses pétrolières du Kurdistan, semble donc privilégier l’approche sécuritaire pour traiter un certain nombre de questions et maintenir en priorité la sécurité et la stabilité du territoire. Et ce, au détriment du dialogue et de l’interaction”, indique-t-il.

Contester l’hégémonie des deux partis historiques

Outre ce contexte international et national qui génère des tensions, le territoire kurde est également secoué par des rapports de force politiques internes. “Il faut garder à l’esprit le caractère hautement politique des événements du 6 août, que les deux camps, le GRK et Nouvelle génération, tentent d’instrumentaliser”, décrypte Adel Bakawan.

Ce dernier rappelle que l’appel à manifester lancé par Shaswar Abdulwahid est intervenu au moment où, à Bagdad, les partisans de l’influent leader chiite Moqtada Sadr poursuivaient leur sit-in dans les jardins du Parlement irakien, pour protester contre une candidature au poste de Premier ministre présentée par leurs rivaux, l’alliance du Cadre de coordination.

“Un appel à la mobilisation qui n’a pas été suivi par la population kurde, puisque les rassemblements étaient composés essentiellement de partisans et des élus de ce parti”, poursuit Adel Bakawan. “Même si la mobilisation contre la corruption et les conditions de vie sont des motifs totalement légitimes, la démarche de Nouvelle génération a été jugée démagogique et politicienne par ceux, parmi la population, qui rejettent toute la classe politique et ne croient plus aux beaux discours”.

Le directeur du Cfri confie que le parti qui se veut une alternative au pouvoir en place laisse perplexe. “Notamment parce qu’il est dirigé par un richissime homme d’affaires considéré comme un membre du système, sans une aucune ligne définie : est-il un parti nationaliste irakien ? Un mouvement kurde ? Est-il libéral ? Ce n’est pas clair. À titre d’exemple, Shaswar Abdulwahid soutient fortement le leader chiite Moqtada al-Sadr, tout en s’opposant résolument à son allié kurde… le PDK”, souligne Adel Bakawan.

Nouvelle génération, qui a remporté 9 des 64 sièges attribués aux kurdes dans le Parlement irakien, tente de contester dans les urnes et dans la rue le leadership des grandes familles rivales, les Barzani (nord), dont est issu l’actuel président du GRK (élu en mai 2019), Netchirvan Barzani, et les Talabani (sud). Deux familles respectivement à la tête du PDK et de l’UPK, fondé en 1975 par le défunt président irakien Jalal Talabani.

“C’est surtout dans le sud, dans le fief des Talabani, que Nouvelle génération a arraché la grande majorité de ses 9 sièges de députés, un chiffre important puisque l’UPK n’a obtenu que 18 sièges, note Adel Bakawan. Ce bras de fer politique, relativement brutal, entre l’UPK, bien installés historiquement, financièrement, militairement et administrativement, et Nouvelle génération, qui ne dispose pas des mêmes moyens, se traduit par des tensions sur le terrain”.

D’un point de vue purement politique, la répression des manifestations du 6 août laisse toutefois croire que le pouvoir se méfie grandement de Nouvelle génération, à l’approche des prochaines législatives régionales, prévues début octobre, et que les autorités ont repoussé à une date ultérieure. Elles ont toutefois précisé qu’elles seront tout de même organisées avant la fin de l’année, précise Adel Bakawan.

“L’UPK et le PDK, deux rivaux qui se voient comme les bâtisseurs du Kurdistan et les garants de sa stabilité, craignent certainement de perdre une partie de leur électorat au profit d’autres forces politiques, alors même que ce scénario paraît peu probable tant l’opposition est divisée entre différents courants laïc, islamiste et libéraux difficile à réunir dans un même bloc”, conclut Adel Bakawan.”

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