Peu après l’arrivée de la présidente de la Chambre américaine des représentants, Nancy Pelosi, à Taïwan, mardi, les autorités chinoises ont lancé des “actions militaires ciblées” et des manœuvres inédites autour de l’île. “Des menaces d’une rare intensité”, note le chercheur Jean-François Di Meglio, qui révèlent, selon lui, un sentiment d’insécurité de Pékin à la veille du Congrès du Parti communiste.
À peine Nancy Pelosi, la présidente de la Chambre américaine des représentants avait-elle posé un pied sur le tarmac de l’aéroport de Taïwan, à Taipei, mardi 2 août, que Pékin laissait éclater sa colère. Pour cause, en 25 ans, jamais une élue américaine aussi haut placée ne s’était rendue dans l’archipel. Un affront clair, pour les autorités chinoises, qui s’insurgent contre tout geste qui signifierait une reconnaissance officielle de Taïwan comme territoire indépendant.
Le soir même, Pékin annonçait ainsi des mesures de représailles d’une intensité inédite, avec des exercices militaires autour de l’île et de sévères sanctions économiques. “Il n’arrivera rien de bon à ceux qui jouent avec le feu. Ceux qui offensent la Chine devront être punis, de façon inéluctable”, a insisté, mercredi, le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi. Peu après, sa porte-parole, Hua Chunying, évoquait des “mesures de rétorsion” : “Il y aura tout le nécessaire. Ces mesures seront fermes, énergiques et efficaces. La partie américaine et les partisans de l’indépendance de Taïwan vont les sentir sur la durée”, a-t-elle assuré.
Une période de tensions exacerbées
Depuis plusieurs années, l’exaspération monte à Pékin devant le rapprochement à l’œuvre entre Washington et Taipei. La Chine estime ainsi que les États-Unis ne respectent plus ce qu’elle considère comme un principe fondamental des relations bilatérales, la politique “d’une seule Chine”. Elle dénonce aussi des ventes d’armes américaines à Taipei et des visites officielles de plus en plus fréquentes à Taïwan de représentants politiques étrangers.
“Or, depuis janvier 2020, nous sommes dans une période de tensions exacerbées dans le détroit de Taïwan avec des manœuvres militaires chinoises de plus en plus fréquentes”, rappelle sur France 24 Stéphane Corcuff, chercheur au centre français sur la Chine contemporaine à Taipei. “Et, face à cela, Taïwan est d’autant plus à la recherche constante de signes de soutien de la part des États-Unis. Avec la venue de Nancy Pelosi, ce soutien est implicitement réitéré.”
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Détourner le regard des problèmes économiques
Selon Jean-François Di Meglio, président du think thank Asia Centre, cette réponse agressive de la Chine révèle un sentiment d’insécurité de la part de Pékin. “Nous sommes à un moment important. Nous approchons du XXe Congrès du Parti communiste chinois et les dirigeants ont besoin d’affirmer qu’ils sont toujours aux commandes dans une période où l’économie est en berne du fait de la pandémie de Covid-19″, explique-t-il. Organisé cet automne, le XXe Congrès du Parti communiste devrait confirmer Xi Jinping pour un troisième mandat à la tête du pays, une longévité inédite depuis Mao Zedong.
“Dans cette situation, Xi Jinping, comme tout autocrate, est inquiet de menaces sur sa légitimité”, poursuit Jean-François Di Meglio. Jouer sur les sentiments nationalistes est ainsi une parfaite diversion face à une économie en berne et une population qui s’impatiente après plus de deux ans de mesures strictes liées à sa politique zéro Covid.
Une analyse partagée par Willy Lam, analyste de politique chinoise basé à Hong Kong. “Le Parti communiste chinois trouve sa légitimité dans deux piliers : la croissance économique et le nationalisme”, rappelle-t-il auprès de l’AFP. La passe d’armes autour de Taïwan permet donc de “dévier l’attention du public chinois des problèmes économiques”.
“Pékin a pris plus de risques que Nancy Pelosi”
“Mais, avec cette posture offensive, Pékin a pris plus de risques que Nancy Pelosi”, estime Jean-François Di Meglio. “Son agressivité et ses menaces ont été tellement fortes que cela pourrait se retourner contre lui. Car, sauf surprise, les actes ne seront pas à la hauteur des menaces.”
Pékin avait en effet haussé le ton dès que le projet de visite de Nancy Pelosi avait été évoqué dans les médias. Lors d’un échange téléphonique entre le président américain, Joe Biden, et Xi Jinping, le dirigeant chinois avait ainsi prévenu son homologue que “ceux qui jouent avec le feu se brûlent à mort”. Le lendemain, de nouveaux exercices militaires étaient lancés dans le détroit de Taïwan. “Mais cela n’a pas réussi à dissuader Nancy Pelosi de venir…”, note Jean-François Di Meglio.
Maintenant que la visite s’est concrétisée, les menaces sont encore montées d’un cran. Parmi les exercices militaires annoncés par Pékin, certains devraient s’approcher à 20 km des côtes taïwanaises, menaçant plusieurs zones urbaines, selon le ministère taïwanais de la Défense.
Du côté des sanctions commerciales, les douanes chinoises ont décidé de suspendre l’importation des agrumes et de certains poissons de Taïwan. De son côté, le ministère du Commerce a annoncé “suspendre” l’exportation de sable naturel vers Taïwan”, sans donner d’explications – un matériau dont Taïwan dépend majoritairement de la Chine pour s’en fournir.
“Face à des menaces militaires importantes, Taïwan ne va pas reculer. Nous allons continuer à préserver notre souveraineté et à tenir la ligne de défense de la démocratie. Nous souhaitons coopérer avec toutes les démocraties du monde”, a rétorqué la présidente de Taïwan, Tsai Ing-wen.