Tué ce week-end par un drone américain, le chef égyptien d’Al-Qaïda laisse derrière lui une organisation plus décentralisée que jamais, aux antipodes de l’internationale jihadiste dont rêvait son prédécesseur Oussama Ben Laden. Jugé terne par les uns, le théoricien du jihad a pourtant assuré la survie de la nébuleuse. Analyses croisées.
Leader peu charismatique à la tête d’Al-Qaïda, comparé à son prédécesseur Ben Laden, l’Égyptien Ayman al-Zawahiri, dont la mort a été annoncée, lundi1er août, par Joe Biden, a théorisé l’essaimage des franchises jihadistes sans vraiment les contrôler.
S’il fut l’un des concepteurs des attentats du 11 septembre 2001, “beaucoup d’observateurs minimisent son rôle” constate Wassim Nasr, journaliste de France 24 et spécialiste des mouvements jihadistes. Il a tout de même “permis à al Al-Qaïda de survivre à l’État islamique, tout en maintenant de très bonnes relations avec les Taliban, y compris après la mort d’Oussama Ben Laden” nuance Wassim Nasr sur France 24.
Mais pour se faire, ce penseur a dû multiplier les “franchises” et les allégeances de circonstances, de la péninsule arabique au Maghreb, de la Somalie à l’Afghanistan, en Syrie et en Irak. Et accepter que celles-ci s’émancipent peu à peu.
Le théoricien à la barbe fournie et aux larges lunettes, aisément reconnaissable à sa bosse sur le front, aura survécu à plus de 40 ans de jihad, une rarissime longévité, avant d’être tué à 71 ans dans une attaque de drone.
Annoncé mort ou mourant à plusieurs reprises, il avait multiplié récemment les signes de vie. “L’aisance et la capacité de communication apparemment accrues de Zawahiri ont coïncidé avec la prise de contrôle de l’Afghanistan par les Taliban”, selon un rapport de l’ONU publié à la mi-juillet.
Le retours des anciens maîtres de Kaboul lui offre un cadre de vie – une maison cossue dans un quartier aisé de la capitale, celui des ambassades – dont le militant islamiste n’aurait “jamais pu rêver” autrefois, note Farhad Khosrokhavar, ancien directeur d’études à l’EHESS. Pour ce spécialiste du jihadisme, ces faveurs “révèlent au grand jour” l’originelle “complicité” entre Taliban et Al-Qaïda.
Malgré son rôle dans les attentats de 2001, la signature fondamentale d’Al-Qaïda, il n’aura jamais acquis l’aura macabre d’Oussama Ben Laden. Paradoxalement, les États-Unis offraient 25 millions de dollars pour sa capture, un record, tout en semblant, presque, se désintéresser de lui. Jusqu’à l’annonce par le président américain en personne de sa mort, lors d’une “opération antiterroriste” ce week-end.
Un dénouement qui peut s’expliquer par la volonté “de clore un chapitre douloureux de l’histoire américaine”, selon Farhad Khosrokhavar, interviewé par France 24 : en éliminant le co-commanditaire des attentats contre les tours jumelles, Joe Biden prouve qu’il traque tous ceux qui ont intenté à la vie d’Américains.
“Les franchises” d’Al-Qaïda au cœur de son pouvoir
Né le 19 juin 1951 à Maadi, près du Caire, au sein d’une famille bourgeoise, – son père était un médecin réputé et son grand-père un grand théologien de la mosquée d’Al-Azhar dans la capitale égyptienne –, Ayman al-Zawahiri devient chirurgien.
Ses convictions sont précoces: il intègre la confrérie des Frères musulmans dès l’adolescence. Impliqué dans l’assassinat, en 1981, du président égyptien Anouar el-Sadate, il est emprisonné pendant trois ans puis rejoint l’Arabie saoudite et le Pakistan au milieu des années 1980, où il soigne les jihadistes combattant les Soviétiques et rencontre Ben Laden. Longtemps à la tête du Jihad islamique égyptien (JIE), il ne rejoindra Al-Qaïda qu’à la fin des années 90.
Les États-Unis le mettent sur leur “liste noire” pour avoir soutenu les attentats contre les ambassades des États-Unis au Kenya et en Tanzanie en août 1998. Il est également condamné à mort par contumace en Égypte pour de nombreux attentats, dont celui de Louxor, en 1997 (62 morts dont 58 touristes étrangers).
En 2002 puis en 2007, il est annoncé mort mais réapparaît. Devenu le bras droit de Ben Laden, il est également son médecin. Il “n’est pas intéressé par le combat dans les montagnes. Il réfléchit plus sur le plan international”, disait de lui Hamid Mir, biographe de Ben Laden, cité par le think tank Counter-Extremism Project (CEP).
Depuis 2011, il a vécu terré entre Pakistan et Afghanistan, limitant ses apparitions à des vidéos de prêches monotones. Orpheline d’Oussama Ben Laden, Al-Qaïda est devenue de plus en plus décentralisée, comme l’explique Wassim Nasr : sous Zawahiri, en Somalie ou au Yémen par exemple, les filiales de la nébuleuse terroriste recevaient certes “des directives” de la maison-mère, mais agissaient comme bon leur semble, et si elles survivent aujourd’hui, c’est “par leurs propres moyens”. Ce sont même ces franchises qui alimentent “Al-Qaïda-centrale” et non l’inverse, poursuit le journaliste.
Zawahiri, leader du déclin ?
“Aucun attentat ou presque n’a été commis au nom de Zawahiri ni en Europe, guère plus qu’aux États-Unis. Et même en Afghanistan, il n’a pas été très important” estime Farhad Khosrokhavar, pour qui Al-Qaïda n’est plus que “l’ombre de ce qu’elle était”. Celui dont on annonce la mort aujourd’hui est un “symbole du passé”, insiste le spécialiste du jihadisme.
Son élimination venge pourtant un notable fait d’armes contre Washington – quoique le seul à son actif – tempère Afzal Ashraf, maître de conférences à l’université de Luffborough : l’opération-suicide perpétrée en décembre 2009 sur la base militaire de Chapman, en Afghanistan, où sept agents de la CIA ont péri dans une “opération des plus sophistiquées”.
Mais l’énergie de Zawahiri fut aussi investie dans “une guerre menée contre un de ses propres “affiliés”, le groupe État islamique. Et ce notamment en 2016, quand le leader s’efforça de galvaniser son réseau jihadiste, “sans grand succès” toutefois, poursuit Afzal Ashraf, sur l’antenne anglophone de France 24 :
Qu’il soit responsable de son déclin ou qu’il ait réussi à l’amortir, il laisse à tout le moins une organisation aux antipodes de l’internationale jihadiste en guerre contre les États-Unis, dont rêvait Ben Laden.
La suite? Saïf al-Adel, ex-lieutenant-colonel des Forces spéciales égyptiennes et figure de la vieille garde d’Al-Qaïda, est souvent cité pour reprendre les rênes. Sauf si une jeune génération venait à émerger.
Le prochain chef aura face à lui un choix stratégique, explique Wassim Nasr : poursuivre dans l’imbrication au sein de dynamiques locales, ou reprendre le flambeau de Ben Laden en faisant du combat anti-américain sa priorité.
Dans tous les cas, la nébuleuse devra encore s’imposer vis-à-vis du groupe État islamique, avec lequel elle continue de s’affronter, idéologiquement et militairement, sur de multiples terrains de prédation.
Selon la dernière évaluation de l’ONU, le contexte international est toutefois “favorable à Al-Qaïda, qui entend à nouveau être reconnu comme le fer-de-lance du jihad mondial (…) et pourrait à terme constituer une menace plus importante”.
Avec AFP