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Éco-anxiété : une jeunesse face aux angoisses écologiques

L’éco-anxiété, cette angoisse vis-à-vis de l’avenir de notre planète, a gagné la moitié de la jeunesse, dans une dizaine de pays, dont la France. Cette détresse du XXIe siècle reflète des périls environnementaux grandissants. Mais quels sont les mécanismes qui l’alimentent ? France 24 est allée à la rencontre de jeunes éco-anxieux et de psychologues ou thérapeutes confrontés à l’explosion du phénomène.

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“Des nuages de cendres incandescentes s’élevaient au-dessus d’étendues de forêts entièrement dévorées par les flammes, comme dans un film de fin du monde”

Sauf qu’ici, “pas de fond vert, jamais de clap de fin” raconte cette jeune bordelaise avec amertume : “ce jour-là, mercredi 20 juillet, dans les Landes, ce sont les paysages de mon enfance qui disparaissaient, sous mes yeux”. 

Sous ses yeux, Solène, 17 ans, qui se définit comme “une éco-anxieuse” a vu ses peurs devenir réalité. Dès 2018, l’adolescente avait pris conscience des défis écologiques en voyant sa grande sœur participer aux manifestations de Fridays for Future, qui réunissaient des jeunes clamant leur aspiration à une “justice climatique et sociale”.

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Photo prise près de Landiras, dans le sud-ouest français, le 14 juillet, fournie par les pompiers girondins (SDIS 33)
Les feux de juillet 2022 ont amputé la forêt de pins des Landes de 20 800 hectares, soit deux fois la superficie de Paris intra-muros.
Photo prise près de Landiras, dans le sud-ouest français, le 14 juillet, fournie par les pompiers girondins (SDIS 33)
Les feux de juillet 2022 ont amputé la forêt de pins des Landes de 20 800 hectares, soit deux fois la superficie de Paris intra-muros.
© AP

Théorisée dans les années 90, très récemment médiatisée, l’éco-anxiété fait référence à un sentiment d’inquiétude chronique ressenti face aux menaces écologiques, une angoisse à l’idée que celles-ci condamnent la vie sur notre planète telle que nous la connaissons. 

45 % des jeunes touchés

D’après une étude menée dans une dizaine de pays, dont la France, 45 % des jeunes souffrent aujourd’hui d’éco-anxiété. Bien qu’exclue du champ des pathologies psychologiques, celle-ci peut s’accompagner de troubles du sommeil, de pertes de poids, ou de comportements dépressifs.

Elle est généralement décrite comme une inquiétude “anticipatoire”.

Mais si “nous faisons aujourd’hui face à un nombre croissant d’éco-anxieux, explique Charline Schmerber, praticienne en psychothérapie, “c’est parce que la multiplication de phénomènes tels que les canicules empêche désormais d’arguer que le dérèglement climatique serait pour demain”. 

Responsable de la destruction de la moitié de la biomasse et de la disparition de 7 % des espèces vivantes, l’humain pourrait initier la sixième extinction de masse de l’histoire du vivant.

Sentiment d’impuissance

Avec des phénomènes tels que la montée des eaux, l’extension des contrées exposées au stress hydrique, le recul galopant des terres arables amplifiant l’insécurité alimentaire d’un monde toujours plus peuplé, c’est la vie humaine elle-même qui s’invite au cœur des préoccupations écologiques. 

L’angoisse n’est plus pour demain, mais concerne bien notre présent, si l’on se réfère à des études telles que celle parue en 2022 dans The Lancet Planetary Health : 9 millions de personnes meurent déjà chaque année du fait des différents types de pollution, soit 16 % de la mortalité mondiale. 

À l’évocation de ces chiffres, qu’elle connaît depuis plusieurs années, Solène est prise de vertige. Comme pour d’autres éco-anxieux, son mal-être s’accompagne d’un tourbillon d’émotions, nourri par la peur : colère, culpabilité, abattement, ainsi qu’un sentiment d’impuissance. Ce dernier s’empara d’elle lors de ses premières prises de conscience écologiques, quand elle avait 13 ans :  “J’étais comme “nanifiée” par une montagne d’anxiété, par la puissance de tout ce que je ne pouvais pas contrôler à mon échelle individuelle”

Un classique chez les éco-anxieux, que reçoit Geneviève Beaulieu-Pelletier, psychologue clinicienne, à Montréal : “mon travail consiste à les aider à tolérer l’incertitude qui entoure la façon dont la situation environnementale, ou les décisions politiques vont évoluer”.

Le “plus douloureux” chez les patients de Charline Schmerber, précise cette dernière, “c’est de constater que des gens connaissent l’urgence, tout en ayant le sentiment que cela n’enclenche pas la moindre action.”

“L’inertie d’Emmanuel Macron me remplit carrément d’angoisse”, confie Solène, “quand il déclare, avec solennité, que son second quinquennat “sera écologique ou ne sera pas”, après un premier mandat qui fut, sur ce plan, une farce”.

Ce n’est pas là une question d’idéologie pour l’adolescente, mais de “faits et des chiffres” documentés :”la France elle-même” n’a pas respecté les accords (signés lors de la Cop21 en 2015) âprement négociés et conclus dans sa propre capitale. “Ce décalage entre les priorités politiques et la réalité me terrifie.”

Difficulté à “envisager un futur”

“Nice” – c’est son pseudonyme au sein du mouvement social écologiste Extinction Rébellion – a manifesté aux côtés des Jeunes pour le climat, en 2019. Cette jeune fille, 16 ans alors, découvre le militantisme dans une douloureuse prise de conscience : “j’ai réalisé avoir du mal à envisager un futur. Sur un plan collectif, se dire que les souffrances du monde, déjà grandes, vont forcément être décuplées, c’est très dur.”

Son éco-anxiété orienta ses choix professionnels : “Je me suis dit qu’en apprenant à coudre, je saurai faire quelque chose de mes mains, et développerai là un savoir utile aux autres.”

“Ce mal-être fait traverser une crise existentielle, au cours de laquelle beaucoup remettent en cause leurs choix de vie” note Charline Schmerber. Certains s’interrogent : “À quoi bon faire une école de commerce, si c’est pour entretenir un système toxique ?”, rapporte la thérapeute.

Les pressantes inquiétudes écologiques qu’elle ressentit elle-même en 2018 poussèrent cette jeune femme vers une question : “Comment puis-je me rendre utile, en tant que thérapeute, face à cette crise ?”

Charline Schmerber décide alors d’ouvrir la porte de son cabinet de psychothérapie aux éco-anxieux, et de développer des techniques pour les accompagner. Elle est aussi l’auteure d’un guide pratique sur la question, dont la publication est prévue en septembre 2022.

Plus informés, plus inquiets

Beaucoup de jeunes rencontrés par France 24, étayent leurs propos d’arguments issus de la littérature scientifique officielle.

J’ai beaucoup de mal à comprendre pourquoi on accorde si peu de crédit aux rapports du Giec”, explique Isaac, 22 ans, étudiant en archéologie :  “Le pire, c’est qu’en parler peut être perçu comme un positionnement politique, alors qu’il s’agit d’études scientifiques, internationales, et neutres.”

Le monde a encore une chance d’éviter le pire, concédaient ces experts climat de l’ONU, dans le rapport paru le 4 avril. Mais le délai imparti, en comparaison aux alertes des années précédentes, est drastiquement réduit : la communauté internationale n’a plus que trois ans pour conserver un monde “vivable”.

À la lecture de ces pages, Solène fut submergée, confie-t-elle, par “une indescriptible vague d’anxiété”.

“Plus tu es informé, plus tu es inquiet”, résume Nice. À la faveur de l’été passé dans sa Drôme natale, la jeune fille retrouve un peu de sérénité, se déconnectant du torrent de mauvaises nouvelles qui inonde d’accoutumée son smartphone.

“Déni utile”

“Je ne tombe pas facilement dans le déni” explique Lou Attard, 22 ans. Cette future journaliste est une éco-responsable des plus zélées. Pourtant, aborder les périls écologiques lui coûte énormément : “je ne peux plus entendre parler de la destruction de la planète, simplement parce que j’ai l’impression qu’on va tous crever, et que je n’ai pas envie de nous imaginer mourir comme ça.”

À plus forte raison au sein d’une jeunesse surexposée aux médias, le déni constitue un salutaire mécanisme de protection, estime Charline Schmerber. Elle invite les jeunes en souffrance à s’offrir une “détox” médiatique : “Chacun a besoin de break. Un individu ne peut sans conséquences brasser des mauvaises nouvelles à longueur de journée, puis s’endormir sur le rapport du Giec”.

Certains de ses patients persistent dans une surinformation, invoquant  une solidarité envers les pays en développement davantage exposés aux sévices du dérèglement climatique que les pays industrialisés. “Aidez-vous les pays du Sud en vous imposant cette veille ?” questionne Charline Schmerber : “Malsaine, cette culpabilité prive le patient d’une énergie qu’il pourrait investir ailleurs;”

Burn out militant

Témoin d’une planète qui suffoque, Maxence, 23 ans, est envahi par un sentiment d’étouffement, qu’exacerbe sa solitude, dans son école d’ingénieur, à Lyon : “quand on parle d’environnement autour de soi, on est vite classé dans la case écolo-relou”, soupire-t-il.

À chaque éco-anxieux son remède, répètent les psychologues. Le futur ingénieur a trouvé le sien : investi dans la rédaction d’un essai décryptant les mécanismes ayant conduit à l’urgence écologique, Maxence caresse l’espoir de le publier, pour partager son cheminement avec autrui. “Ça me donne un sentiment de contrôle”, explique Maxence, apaisé. 

Mais pour Marie, 20 ans, l’anxiété est tout bonnement concomitante de son engagement écologique, fin 2018, lorsqu’elle découvrait le futur mouvement citoyen Youth for Climate, où elle milite depuis lors. 

À défaut d’agir sur autrui, réduire son impact individuel n’est-il pas source d’apaisement ? “Pas du tout”, répond Nice, d’Extinction Rébellion, végétarienne depuis cinq ans. Au contraire : “ça me stresse de ne pas être irréprochable”

Chez certains, l’action se révèle être une fuite en avant, conduisant à un “burn out” militant, explique Geneviève Beaulieu-Pelletier : “une fois entré dans un cycle d’anxiété, l’action devient négative. On est piégés dans une boucle : le patient agit pour conjurer sa détresse, mais constatant que cela a un impact limité, il agit encore, sans succès, et ainsi de suite.”

Habituellement, le militantisme demeure toutefois une démarche constructive”, explique la psychologue québécoise : “plus ce militantisme est vécu en communauté, plus il dilue la sensation d’impuissance par le nombre”.

L’enfer c’est pas les autres

C’est le ressenti qui anime Solène. “Ce qui apaise mon éco-anxiété, ce sont les autres”, constate-t-elle finalement dans un sourire. 

Me rappeler que je ne suis pas seule : en manifestation, je réalise le nombre de ceux qui sont prêts à se battre pour sauver la planète. De lire des économistes, des philosophes, des journalistes, qui réfléchissent à de nouvelles façons de penser notre système. C’est une bouffée d’oxygène.”

Prix de la lucidité, l’éco-anxiété est une réaction adaptative et fonctionnelle dans un monde dysfonctionnel, estime Charline Schmerber.

Mais sur le thermomètre de nos inquiétudes, il y aurait selon elle un juste “degré” à trouver : celui que cette thérapeute a elle-même jadis cherché, celui qui “permet de se remettre en mouvement. Et de se battre pour demain, sans sacrifier aujourd’hui. Car une seule temporalité demeure en notre pouvoir : c’est le présent”. 

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