Depuis son arrivée au pouvoir après un coup d’État, la junte militaire birmane est accusée d’exactions contre la minorité chrétienne, qui représente 6 % de la population du pays. Images à l’appui, des ONG locales dénoncent la destruction des lieux de culte chrétiens.
Les minorités chrétiennes en Birmanie étaient discriminées bien avant le coup d’État militaire du 1er février 2021. Mais leur situation a empiré avec l’arrivée de la junte au pouvoir, selon nos Observateurs.
Plusieurs villages des États à majorité chrétienne de Chin et de Kayah, où vivent de nombreux chrétiens, sont le théâtre de violents affrontements entre l’armée birmane et des mouvements de résistance opposés au coup d’État. Dans ces régions, des dizaines d’églises ont été bombardées, brûlées ou saccagées, et des civils ont été tués.
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Des images qui circulent sur les réseaux sociaux montrent des églises aux murs noircis par la fumée ou criblés d’impacts, au sol jonché de débris ou encore de bibles et autres symboles religieux endommagés.
Des photos d’églises aux murs criblés d’impacts dans l’Etat de Kayah, en juin 2021
Géolocalisation ici
On peut voir l’église en parfait état en 2018 via sa géolocalisation sur google maps.
Près de la ville de Demoso, dans l’État de Kayah, il ne reste de l’église Saint-Matthieu que la façade calcinée, après le passage de l’armée birmane, le 15 juin 2022. David Eubank, ancien militaire Texan et fervent chrétien à l’origine de l’association d’aide humanitaire “Free Burma Rangers”, était présent le jour où de violents affrontements ont éclaté ce jour-là, entre l’armée et des résistants birmans. “L’armée tirait vers nous, c’était difficile de voir quoi que ce soit. J’ai entendu plusieurs “boom” puis l’église a pris feu. Avant de partir, ils [les militaires] ont laissé plusieurs mines anti-personnel autour de l’église, un jeune birman de 16 ans a marché dessus, nous avons heureusement pu le sauver.”
L’église de Saint-Matthieu , le 15 juin 2022. On peut voir les rebelles karenni en tenue militaire .
Plusieurs églises ont été détruites dans les villages de l’État de Kayah, où l’armée mène régulièrement des frappes aériennes et des opérations au sol pour tenter de mater la résistance des rebelles karennis (ethnie majoritaire dans l’État de Kayah). David Eubanks affirme que lui et ses équipes ont assisté à plusieurs attaques dirigées contre des églises chrétiennes, qu’il a documentées en image.
Situé à la frontière indienne dans l’ouest du pays, L’État de Chin, à majorité chrétienne, est également en proie à des affrontements entre l’armée birmane et des mouvements de résistance.
“L’église où j’allais enfant a été détruite”
Sala Za Uk Ling est vice-président de l’organisation des droits de l’Homme de l’État de Chin. Catholique, il documente avec ses équipes les exactions commises par l’armée birmane. Ils ont dénombré plus de 50 attaques contre des églises depuis février 2021 dans l’État de Chin, depuis le 1er février 2021, entre bombardements aériens et saccage par les troupes au sol.
Quand l’armée arrive dans une église, ils détruisent tout, ils récupèrent les objets de valeur, notamment les offrandes et l’argent de la quête.
Ces destructions d’églises surviennent généralement quand l’armée se déplace en convoi, et passe dans des villages. Dans l’État de Chin, l’armée contrôle essentiellement les villes. À ces endroits, les chrétiens peuvent se rendre à l’église sans risque.
Myanmar junta has destroyed nearly 40 Christian churches in Chin State, of which 11 churches have been burnt down in Thantlang town alone in the past year. @StateDept dubbed Burma Country of Particular Concern, one of the worst violators of religious freedom in the world in 2021. pic.twitter.com/7A0Xnllc5C
— ChinHumanRightsOrg (@ChinHumanRights) June 11, 2022
Dans la ville de Thantlang, ouest de l’État de Chin, onze églises ont été prises pour cible par la junte selon la Chin Human Rights Organization (CHRO).
Je suis né et j’ai grandi à Thantlang et la ville entière a été attaquée plus de 30 fois, depuis septembre 2021. L’église où j’allais enfant a été détruite. L’armée y maintient une présence et il est dangereux d’y retourner.
Géolocalisation ici
Sala Za Uk Ling poursuit :
[Dans l’État de Chin], la junte cible des églises, des hôpitaux et des écoles… Nous savons, grâce à des témoignages d’anciens membres de l’armée que nous avons recueillis, que les militaires ont comme instruction de “dégager tout ce qui pourrait être sur leur chemin”. Les combats entre la junte et la résistance se déroulent en grande partie là où vivent les ethnies chrétiennes (État de Chin, Karen et Kayah), beaucoup d’églises et infrastructures ont donc été touchées.
Le 24 décembre 2021, veille de Noël, l’armée avait notamment massacré 35 personnes dans un village chrétien de l’État de Kayah.
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Le porte-parole de l’armée birmane a assuré que les lieux de cultes n’étaient pas ciblés, sauf lors de raid, quand ils avaient des informations selon lesquelles des “terroristes” (rebelles) se cachaient à l’intérieur. Une version contestée par de nombreux témoins et par notre Observateur :
Ce sont les militaires qui, lorsqu’ils arrivent dans un village, utilisent les églises comme base, parce qu’ils savent que les chrétiens des forces de résistance ne les attaqueront pas dans l’église.
“Tout ce qui n’est pas bouddhiste peut être vu comme suspect”
Sala Za Uk Ling documente depuis 27 ans les violations des droits de l’Homme dans l’État de Chin et pour lui, ce genre de discrimination n’a rien d’inédit.
La discrimination sur la base de l’identité d’origine chrétienne a toujours été un problème pour les Chins [et les autres ethnies à majorité chrétienne] tout comme la destruction des édifices chrétiens. C’est une façon pour eux [l’armée] de détruire physiquement le christianisme. La junte avait déjà retiré dans le passé plusieurs grandes croix plantées au sommet des collines. (en 2005 et en 2010, quand l’armée était déjà au pouvoir avant l’arrivée d’Aung San Suu Kyi, NDLR). Plusieurs édifices religieux avaient également été détruits sous les précédents régimes.
Tout ce qui n’est pas bouddhiste peut être vu comme suspect, vu comme des religions étrangères. La majorité bouddhiste a toujours été valorisée, il y a une vision très nationaliste de la religion.
Des analystes de Myanmar Witness, un projet qui documente les violations des droits humains en Birmanie, ont expliqué à la rédaction des Observateurs qu’il était difficile de savoir si les églises sont ciblées volontairement par l’armée birmane, ou si elles font partie des dégâts collatéraux des affrontements avec les mouvements de résistance.
Au cours du mois de juin, le pape François et les chefs religieux chrétiens de Birmanie ont appelé la junte à ne plus s’en prendre aux édifices religieux.
Les différentes minorités ethniques et religieuses au Myanmar ont de longue date été discriminées par les régimes successifs bouddhistes. Avec au premier plan, la minorité musulmane rohingya, rendue apatride par une loi de 1982, et considérée comme une des minorités les plus persécutées au monde. Depuis le coup d’État militaire, l’armée est également accusée d’occuper et de brûler des mosquées.
L’armée birmane est en majorité de confession bouddhiste, et s’est engagée à protéger le bouddhisme, ce qui pour nos Observateurs pourrait expliquer qu’ils n’aient pas d’état d’âme à détruire des églises. Néanmoins, l’armée birmane a aussi été accusée d’avoir détruit une centaine de monastères bouddhistes.
Photos d’un monastère détruit par l’armée, selon la résistance karenni
Selon un rapport du Conseil des droits de l’Homme des Nations unies daté de mars 2022, 1 600 civils ont été tués par l’armée birmane depuis février 2021. L’armée birmane est accusée de crimes de guerre et contre l’humanité.