Plusieurs études scientifiques indiquent que les femmes – surtout au-dessus de 65 ans – ont davantage de risques de mourir durant les périodes de canicule. Une inégalité de sexe qui commence à être prise au sérieux et dont on comprend encore très mal les raisons.
Des centaines de personnes ont déjà trouvé la mort à cause des fortes chaleurs qui étouffent l’Europe en cet été 2022. De quoi faire craindre le pire sur le nombre de décès provoqués par cette canicule. En France, celle de 2003 – période durant laquelle la France a enregistré un excès de décès de 15 000 personnes – a poussé les autorités à multiplier les mises en garde.
Sans surprise, les efforts de sensibilisation ont visé en priorité les personnes âgées et celles présentant des comorbidités, qui sont les plus touchées par les épisodes de canicule. Mais il semblerait qu’il n’y ait pas qu’une inégalité liée à l’âge face aux fortes chaleurs.
“Les risques sanitaires sont aussi plus grands pour les femmes que pour les hommes”, écrit le quotidien britannique The Guardian. L’hypothèse que la canicule tue davantage les femmes est relativement récente.
Risque sanitaire plus grands pour les femmes âgées
Elle avait connu une première illustration en France en 2003. “Quand on observe des populations dans différentes tranches d’âges, on constate que durant cet épisode caniculaire le taux de mortalité chez les femmes était en moyenne 15 % plus élevé que chez les hommes”, ont écrit des chercheurs néerlandais qui, dans un article publié en 2018, ont analysé une soixantaine d’études entre 2000 et 2016 s’intéressant à la mortalité pendant les canicules.
Une autre étude, toujours menée aux Pays-Bas en 2021, affine un peu ce constat. En s’intéressant au taux de mortalité lié à des températures extrêmes dans le pays, les scientifiques de l’université d’Amsterdam ont constaté que l’écart entre le nombre de décès chez les hommes et les femmes pendant les périodes les plus chaudes augmentait avec l’âge, surtout après 65 ans.
La littérature scientifique consacrée à ce phénomène n’est pas encore très touffue, et “il est donc encore trop tôt pour tirer de conclusions définitives, mais les données pointent très sérieusement vers une corrélation entre le sexe et le risque de décès pendant les canicules”, note Simon Cork, spécialiste de physiologie à l’université d’Anglia Ruskin de la ville de Cambridge.
Le corpus scientifique a, en tout cas, semblé suffisant au gouvernement britannique qui a ajouté les femmes aux personnes de plus de 75 ans, aux jeunes enfants, et aux individus souffrant d’une maladie grave ou d’un trouble psychiatrique important sur la liste des citoyens les plus à risques durant la canicule.
Moins de transpiration et une plus longue longévité ?
Les autorités britanniques n’indiquent pas, cependant, pourquoi les femmes risquent ainsi davantage de mourir de chaud. Pas étonnant : la raison de cette inégalité des sexes face aux fortes températures demeure encore largement un mystère.
Les scientifiques ne manquent pas d’hypothèses. À commencer par une longue liste de facteurs physiologiques qui pourraient jouer un rôle. “L’explication la plus simple est d’ordre physique et tient au fait que le corps des femmes, généralement plus petit que celui des hommes, chauffe plus vite”, souligne Mike Tipton, chercheur à l’université de Portsmouth qui a étudié les réactions du corps dans des situations extrêmes.
Dans cette hypothèse, comme le corps se réchauffe plus vite, le cœur se met plus rapidement en branle pour réagir au choc thermique, “ce qui augmenterait le risque d’accident cardiovasculaire”, résume ce scientifique.
Les femmes transpirent aussi moins que les hommes, “surtout quand elles sont plus âgées”, souligne Simon Cork. Et pourtant, “c’est pratiquement le seul mécanisme naturel de refroidissement du corps, puisqu’il s’agit du processus d’évaporation de l’eau corporel qui s’est réchauffé sous l’effet de l’effort ou de la chaleur”, explique ce spécialiste.
Pour parfaire ce tableau, “il ne faut pas oublier que la sensation de soif s’atténue avec l’âge, ce qui fait que les personnes âgées peuvent avoir tendance à oublier de s’hydrater”, ajoute Simon Cork. C’est donc un cocktail de facteurs physiologiques qui permettrait de mieux comprendre pourquoi les femmes d’un âge avancé sont plus à risque.
“On peut ajouter à cela, le fait qu’elles ont tendance à vivre plus longtemps que leur partenaire”, avance Mike Tipton. Elles se retrouvent donc plus souvent seules chez elles, et “on sait que l’isolement joue un rôle dans la mortalité en période de canicule” car les personnes seules font moins d’effort pour prendre soin d’elles, souligne le scientifique de l’université de Portsmouth
Un problème de toilettes publiques en Asie
Mais “je pense que les facteurs sociaux et environnementaux jouent un rôle tout aussi important pour expliquer cette surmortalité féminine”, assure Ilan Kelman, spécialiste des questions de santé à l’University College de Londres (UCL) qui travaille sur l’impact sanitaire des catastrophes naturelles.
Les différences de comportements entre hommes et femmes, liés à des contextes sociaux, “a souvent joué un rôle important pour expliquer les écarts de mortalité lors des catastrophes naturelles”, note ce spécialiste. Il explique ainsi que l’une des raisons pour lesquelles il y a davantage d’hommes qui décèdent durant les feux, c’est parce que ce sont eux qui interviennent souvent en première ligne (le métier de pompier étant très masculin, par exemple). Durant les épidémies, ce sont souvent les femmes qui sont les premières touchées dans les sociétés où elles occupent majoritairement les emplois de soignantes et d’infirmières.
Les canicules ne seraient pas si différentes des autres catastrophes naturelles à cet égard. “En Asie, par exemple, on s’est aperçu qu’il y avait davantage de femmes qui mouraient durant les vagues de chaleur à cause, notamment, d’un problème d’accès aux toilettes publiques”, souligne Ilan Kelman. En effet, plus il fait chaud, plus il faut s’hydrater et plus on a envie d’uriner. “Pour les hommes, l’absence de toilettes publiques est moins grave car c’est socialement mieux accepté qu’ils se soulagent en public, tandis que ce n’est pas le cas pour les femmes dont une partie va préférer ne pas boire pour minimiser le risque d’avoir à trouver des toilettes”, résume le chercheur de l’UCL.
Cet exemple peut paraître anecdotique, mais il prouve que la question de l’inégalité des sexes face à la canicule “relève probablement d’un mélange de facteurs physiologiques, comportementaux et sociaux”, estime Mike Tipton.
Pour lui, “tant qu’on ne sera pas fixé” sur les raisons pour lesquelles les canicules sont plus meurtrières pour les femmes, “il sera impossible d’apporter réponse efficace”. On ne saura pas, par exemple, s’il vaut mieux développer des traitements pour favoriser la transpiration, travailler sur des médicaments qui agissent mieux sur le rythme cardiaque ou s’il est presque plus efficace de seulement rendre visite à sa grand-mère vieillissante pour s’assurer qu’elle prenne soin d’elle en s’hydratant.