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Dans le procès Twitter-Elon Musk, le rôle crucial de la Cour de chancellerie du Delaware

Dans le très attendu procès entre Elon Musk et Twitter, il y a un acteur dont il est rarement question : la Cour de la chancellerie du Delaware qui va trancher le litige. Ce tribunal, vieux de 230 ans, est pourtant un personnage principal de cette saga qui fonctionne selon des règles très particulières.

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L’un des atouts maître de Twitter dans sa bataille judiciaire contre Elon Musk, le patron de Tesla, s’appelle Leo Strine. L’expérience de cet avocat du cabinet américain Wachtell, Lipton, Rosen & Katz (WLRK) recruté par Twitter pourrait s’avérer décisive dans l’issue de la plainte déposée le 12 juillet pour forcer Elon Musk à finaliser l’acquisition du réseau social. 

Une ligne du CV de cet homme de loi doit, en effet, donner des sueurs froides au patron de Tesla qui ne veut plus racheter Twitter : Leo Strine a passé 16 ans comme juge à la Cour de la chancellerie du Delaware.  

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Un atout de taille pour le Delaware

Rares sont les avocats à avoir une connaissance aussi intime du fonctionnement de ce tribunal très particulier, appelé à trancher le litige entre les deux poids lourds de la Silicon Valley.

Ce tribunal quasi unique en son genre – il n’y en a que trois aux États-Unis (Mississippi, Delaware, Tennessee) – s’est forgé au cours de ses 230 années d’existence une place de premier plan dans l’arène de la guerre commerciale entre grands fauves de l’économie américaine. 

“Presque tous les accords de fusion et acquisition aux États-Unis contiennent une clause qui stipule que tout litige relatif à ce contrat devra être réglé devant la Cour de la chancellerie du Delaware”, souligne le Delaware News Journal.

Cette popularité vient avant tout du fait que ce tribunal se situe dans l’État du Delaware, un État qui compte moins d’habitants – un peu plus de 950 000 – que d’entreprises qui y ont élu leur domicile fiscal (1,5 million). Les deux tiers des groupes de la liste Fortune 500, qui établit chaque année un classement des 500 principales entreprises cotées aux États-Unis, y ont leur adresse et se tournent tout naturellement vers lui en cas de litige.

Et si toutes ces entreprises ont choisi le Delaware, ce n’est pas seulement à cause des douceurs de sa fiscalité de ce petit État pour les entreprises, qui lui vaut d’être considéré comme un paradis fiscal. “L’existence de la Cour de la chancellerie” en elle-même “est l’un des principaux attraits de cet État pour les grands groupes”, peut-on lire sur le site de l’Université de Santa Clara (Californie), qui a rédigé un historique de cette juridiction hors-norme.

L’équité en héritage

Hors-norme tout d’abord parce qu’elle est l’une des dernières descendantes directes de la Haute cour de la chancellerie Britannique, qui a joué un rôle important au Royaume-Uni entre le 14e et 19e siècle. Son but était de permettre de saisir le chancelier du Roi d’Angleterre afin de lui demander de trancher des litiges particulièrement épineux en fonction de la “conscience” du monarque, censée avoir le dernier mot quand le droit commun ne suffisait pas. 

La parole royale était souvent jugée plus “équitable” dans des affaires qui avaient trait à des questions d’héritage, de tutelle de personne ou encore de certains conflits commerciaux.

C’est cette tradition que la Cour de la chancellerie perpétue depuis sa création en 1792. Ses juges – qui se font appeler chanceliers – sont censés pouvoir se fonder sur les “principes d’équités” plutôt que sur les règles de droit.

Pour autant la Cour de chancellerie n’est pas au-dessus des lois. Elle les applique, mais ses juges se réservent la possibilité de trancher en vertu des “principes d’équité” quand les textes de loi ne sont pas suffisamment clairs. 

C’est pourquoi cette juridiction est si prisée en cas de litiges autour d’accords de fusion et acquisition, car les clauses de ces contrats sont souvent rédigées en termes très généraux, nécessitant une interprétation au cas par cas par des experts en la matière. Un savoir-faire dont ce tribunal à fait sa spécialité en plus de deux siècles d’existence.

Pas de jury

Un autre avantage est que l’équité permet “de trancher autrement qu’en allouant des dommages et intérêts, ce qui est la norme dans les affaires civiles”, explique Charles Elson, spécialiste de la gouvernance d’entreprise à l’Université du Delaware, interrogé par le New York Times

Les juges peuvent ainsi décider qu’il est “équitable” d’obliger une partie à honorer son offre de rachat ou de l’en absoudre… Une question au cœur de la bataille entre Twitter et Elon Musk et qui a été portée à l’attention de la Cour de chancellerie de nombreuses fois depuis le début du 21e siècle, a constaté la chaîne économique Bloomberg.

Les grands groupes apprécient aussi une autre particularité de ce tribunal : il ne fait pas appel à un jury et laisse les juges décider de tout. Il y a donc beaucoup moins de publicité autour de ces audiences, souvent très pointues, techniques et beaucoup plus expéditives que devant les tribunaux civils traditionnels. Une certaine intimité qui sied parfaitement à des sociétés qui ne veulent, généralement, pas que les détails de leurs affaires s’étalent dans les médias.

Ce qui ne veut pas dire que ce tribunal n’a jamais eu à se pencher sur des affaires ayant eu des répercussions médiatiques importantes. La Cour a jugé, en 2021, que l’impact économique de la pandémie de Covid-19 n’était pas un motif suffisant pour permettre à une société de revenir sur une promesse de rachat faite à un autre groupe. C’est aussi cette juridiction qui a départagé, en 2020, le géant du luxe LVMH qui ne voulait plus racheter l’enseigne américaine de bijoux de luxe Tiffany.

Elon Musk lui-même a déjà eu affaire à la Cour de la chancellerie. En avril 2022, il a eu gain de cause devant cette juridiction face à des actionnaires de Tesla qui voulaient l’empêcher de racheter SolarCity, une entreprise spécialisée dans l’énergie solaire.

Une victoire qui ne présage en rien de l’issue de son procès contre Twitter. La Cour de chancellerie apparaît, en effet, très réticente à permettre à un acheteur de revenir sur une offre acceptée. 

Bloomberg n’a ainsi trouvé qu’un seul cas où les juges ont considéré qu’il y avait eu un “événement défavorable important” justifiant de revenir sur les termes du contrat. En 2018, le tribunal a trouvé que le groupe pharmaceutique allemand Fresenius avait le droit revenir sur son engagement d’acquérir le fabricant américain de médicaments Akorn, dont les revenus avaient chuté de près de 30 % deux mois seulement après avoir signé l’accord de rachat. 

Pas sûr que les juges trouvent l’argument d’Elon Musk – qui reproche à Twitter de lui avoir caché le nombre réel de faux comptes – aussi convaincant qu’une baisse d’un tiers des revenus.

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