Les 16 et 17 juillet 1942, 12 884 juifs étaient arrêtés par la police française à la demande des Allemands à Paris et dans sa banlieue. La veille, des rafles avaient déjà été opérées en zone occupée dans plusieurs départements de l’ouest de la France.
Le 15 juillet 1942, vers 19 h, Victor Perahia, neuf ans, est à table avec sa mère, Jeanne, dans l’appartement familial à Saint-Nazaire, en Loire-Inférieure, lorsqu’un camion se fait entendre. Le père, Robert, un marchand ambulant juif d’origine turque, n’est pas encore rentré. “Il s’est arrêté devant notre maison. Des Allemands en sont descendus et ils sont entrés dans l’immeuble. Ils ont monté les marches très bruyamment et ont frappé brutalement à notre porte”, se souvient Victor, comme si c’était hier. “Ma mère et moi, nous avons eu peur, mais nous avons ouvert. Ils sont entrés en force dans notre appartement”.
Les Felgendarmes demandent où se trouve Robert. Sous la contrainte, son épouse doit aller le chercher. Toute la famille est prise au piège. Tétanisé, le jeune garçon bascule en quelques secondes dans l’horreur : “Les Allemands parlaient très fort d’une manière autoritaire. Il y en avait un qui avait une petite mitraillette. Je sentais mes parents qui étaient très inquiets et qui ne savaient pas quelle attitude prendre. Ils voulaient me protéger, mais ils n’ont rien pu faire pour empêcher mon arrestation”, se remémore-t-il, 80 ans après.
Les Perahia font partie des quelques centaines de juifs arrêtés le 15 juillet 1942 en zone occupée. À la veille de la rafle du Vél d’Hiv, la plus tristement connue, organisée à Paris et dans sa banlieue, des arrestations ont lieu dans l’ouest de la France. Comme le rapporte l’historien Jean-Luc Pinol dans son ouvrage “Convois. La déportation des Juifs de France” (Éditions du Détour), 473 personnes sont arrêtées dans 82 communes différentes de Loire-Inférieure, de la Sarthe, du Maine et Loire, de Mayenne et d’Indre et Loire.
“Il n’y a pas la visibilité des rafles faites à Paris”
Ces rafles s’inscrivent dans le cadre des négociations opérées entre les autorités allemandes et le gouvernement français. Au début de juillet 1942, un accord prévoit la déportation totale d’environ 30 000 à 40 000 juifs de 16 à 45 ans. L’effort doit se porter sur la région parisienne où ils résident majoritairement, mais des arrestations sont aussi planifiées en province.
“Des contacts ont lieu par téléphone entre les autorités allemandes et les préfets de région qui transmettent eux aux préfets de département. La programmation des rafles se fait ensuite au niveau local en fonction des disponibilités en personnel policier par rapport au nombre de juifs à arrêter et au nombre de place pour enfermer les personnes arrêtées”, décrit l’historienne Annie Lambert, coauteur de “Les juifs en Bretagne” (Presses universitaires de Rennes). “En principe, seuls les policiers et gendarmes français devaient effectuer les arrestations. Cependant dans certaines villes, les Feldgendarmes les effectuent eux aussi. Ils le font dans les régions particulièrement surveillées comme les zones côtières (Saint-Nazaire) où la présence des juifs était en principe déjà interdite et dans des départements dont le préfet est particulièrement germanophile, ce qui était le cas du préfet de Loire-Inférieure à cette époque”, précise cette spécialiste de la Shoah dans l’Ouest de la France.
Contrairement aux opérations de la rafle du Vél d’Hiv, la famille Perahia n’est donc pas arrêtée par la police française. Ces rafles en zone occupée passent aussi plus inaperçues qu’à Paris, comme le souligne Annie Lambert : “Dans l’Ouest de la France la population juive n’est pas très nombreuse, environ 2 000 personnes recensées en octobre 1940. Les rafles se font de manière relativement discrète. Il n’y a pas la visibilité des arrestations faites à Paris et en région parisienne, effectuées par plusieurs milliers de gendarmes, avec des bus, ni la concentration de l’essentiel des victimes dans un lieu unique comme le Vélodrome d’Hiver où plus de 8 000 personnes, dont la moitié d’enfants, furent entassées”.
Le convoi n°8 parti d’Angers
Après avoir été conduits à Nantes, Victor et ses parents sont transférés à Angers, lieu de regroupement des juifs arrêtés. Mais là, ils ne sont pas dirigés vers le camp de Drancy, en banlieue parisienne, déjà saturé à cause des rafles massives. Un convoi vers Auschwitz-Birkenau est organisé au départ même de la gare de la préfecture du Maine-et-Loire. Ce convoi, appelé convoi numéro 8, est le seul à partir de province, selon les accords prévus avec les autorités allemandes. Il est constitué de 824 juifs dont 201 possèdent la nationalité française. Ces derniers n’auraient pas dû être arrêtés.
Le 20 juillet, Robert Perahia prend place dans l’un des wagons. Sa femme et son fils échappent provisoirement à la déportation. “Les hommes étaient emportés directement, mais à l’époque on ne déportait pas encore les enfants”, explique Victor Perahia. Avec sa mère, il est interné au camp de la Lande de Monts, en Indre et Loire, puis à Drancy pendant près de deux ans. Jeanne Perahia réussit à faire croire que son mari est prisonnier de guerre et bénéficie d’une relative protection. Mais en juin 1944, à quelques semaines de la Libération, ils sont tous les deux déportés par le convoi 80 vers Bergen-Belsen. Victor et Jeanne sont finalement rapatriés en France au printemps 1945. Le père de famille n’a pas cette chance. Il ne reviendra pas d’Auschwitz-Birkenau. Seuls 19 personnes du convoi n°8 ont survécu à leur déportation.
Quatre-vingt ans plus tard, Victor Perahia continue inlassablement de témoigner pour ne pas qu’on oublie ceux de la rafle du 15 juilllet : “On parle plus du Vél d’Hiv, parce que cela a été la rafle la plus importante, mais il y a eu d’autres arrestations en France. Il s’agissait d’une rafle nationale, pas que parisienne”.