Le Sri Lanka a clos, samedi, un chapitre de plusieurs mois de contestation après l’envahissement de la résidence de son président par des dizaines de milliers de manifestants antigouvernementaux. Le président Gotabaya Rajapaksa cherche à quitter le pays et a promis de démissionner mercredi, ouvrant peut-être la voie à un “renouvellement politique”. Entretien.
La puissante famille Rajapaksa est aujourd’hui poussée vers la sortie. Après des mois de protestation, qui ont atteint un point culminant le 9 juillet, Gotabaya Rajapaksa a promis de démissionner mercredi 13 juillet pour assurer une “transition pacifique du pouvoir”.
En attendant, le président sri-lankais envisageait mardi de quitter le pays en bateau après avoir été refoulé de façon humiliante de l’aéroport de Colombo par les agents de l’immigration, selon des sources officielles. Cette chute de la dynastie Rajapaksa, qui a dominé la vie politique au Sri Lanka pendant près de deux décennies, ouvre un nouvel horizon pour la population, même si cela “ne sera pas facile” à concrétiser. Entretien avec Olivier Guillard, chercheur et spécialiste de l’Asie à l’Université du Québec à Montréal.
France 24 : Comment la colère sociale, qui secoue le Sri Lanka depuis des mois, a-t-elle fini par provoquer la chute de Gotabaya Rajapaksa le week-end dernier ?
Olivier Guillard : Les 23 millions de Sri-Lankais ont finalement perdu patience. Ce n’est pas tous les jours qu’un événement de ce type se produit au Sri Lanka – même si le pays a connu de nombreux épisodes politiques difficiles, dont une guerre civile (1983-2009).
Là, il y a eu une sorte de séquençage symbolique de la chute des personnes au pouvoir. Le 9 mai, Mahinda Rajapaksa – ancien chef de l’État et frère de l’actuel président – a été contraint de remettre sa démission en tant que Premier ministre. Le 9 juin, c’est un autre frère du président qui a été contraint de quitter ses fonctions. Et le 9 juillet, les forces de sécurité ont laissé une foule s’en prendre au palais présidentiel et à la résidence du Premier ministre.
La population en avait assez des atermoiements d’une équipe au pouvoir qui ne cessait de dire qu’elle resterait aux affaires aussi longtemps que les circonstances l’exigeraient. Elle a perdu confiance en la dynastie Rajapaksa, dont la conception du pouvoir était dépassée pour les Sri-Lankais. La population était à bout de souffle, elle n’en pouvait plus de cet environnement politique fait de carences économiques et de mauvaise gouvernance.
Pour tourner la page, il a été acté qu’en précipitant les choses dans la rue, le Sri Lanka pourrait s’ouvrir à un système avec des personnes peut-être moins entachées de clientélisme et de mauvaises pratiques.
Quel est l’avenir politique du Sri Lanka maintenant ?
Au moment où on parle, on a toujours une situation ubuesque avec un président qui tente de quitter le Sri Lanka mais est toujours “retranché” dans une salle d’embarquement à l’aéroport de Colombo, alors qu’on lui refuse de monter à bord d’un avion [des sources officielles indiquaient mardi qu’il pourrait quitter le pays par bateau, NDLR].
Mais même dans ce moment agité, le Sri Lanka a un cadre constitutionnel qui tient la route et qui est respecté. En cas de destitution ou de démission – ce que Gotabaya Rajapaksa a promis de faire mercredi 13 juillet, ce qui serait une première dans l’histoire du pays –, la charge temporaire de la nation revient au président du Parlement, Mahinda Yapa Abeywardena.
Ce dernier a fixé au 20 juillet la désignation du prochain chef de l’État, qui assurera l’intérim jusqu’au terme du mandat du président actuel [en 2024, NDLR]. Cela devrait être quelqu’un qui est bien vu par l’opposition, qui n’a pas sa réputation entachée de divers mandats précédents ou de malversations quelconques. Sajith Premadasa a de bonnes chances de figurer parmi les candidats les plus crédibles. Il avait été défait par Gotabaya Rajapaksa à la présidentielle de 2019, il est connu et s’est beaucoup mobilisé ces derniers mois contre le pouvoir en place.
Va-t-on assister à terme à un renouvellement du personnel politique ? La dynastie Rajapaksa a-t-elle dit son dernier mot ?
Il s’agit simplement de savoir si la population a les ressources morales et le courage politique pour renouveler le personnel politique. Il suffirait simplement de revoir les codes électoral et parlementaire sri-lankais pour réserver l’exercice de la politique à celles et ceux dont le nom n’est pas ressorti dans des affaires ou qui n’ont pas eu à faire à la justice.
Au Sri Lanka, occuper des fonctions politiques rime bien souvent avec rentabilité économique. Cela peut aussi garantir une immunité judiciaire le temps d’un mandat. Ce processus de renouvellement ne sera pas facile à faire. C’est un chantier très complexe qui ne devrait pas être la priorité des priorités pour les Sri-Lankais, qui cherchent actuellement à ce que les gens puissent simplement manger.
Le futur président par intérim n’incarnera probablement pas un renouvellement politique profond, mais la prochaine élection présidentielle pourrait faire émerger des profils nouveaux briguant la présidence.
La dynastie Rajapaksa n’a, quant à elle, pas dit son dernier mot, bien qu’elle soit passée de héros à bête noire de la population sri-lankaise. Des membres de cette famille pensent encore qu’elle peut rebondir demain, et qu’aujourd’hui elle fait l’objet de calomnies et d’une vendetta politique qui ne sont pas méritées.