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Législatives au Sénégal : la campagne s’ouvre après des mois de tension

La campagne pour les législatives au Sénégal s’ouvre dimanche dans un climat de tension politique. En toile de fond, la principale figure de l’opposition, Ousmane Sonko, fait face au président Macky Sall, alors que la situation socio-économique s’est dégradée. Explications.

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Coup d’envoi de la campagne des législatives au Sénégal. Les différentes coalitions politiques se lancent, à partir du dimanche 10 juillet, à la conquête des électeurs dans l’objectif de conforter ou d’obtenir, le 31 juillet, la majorité des 165 députés à l’Assemblée nationale.

L’hémicycle est actuellement largement dominé par la coalition présidentielle Benno Bokk Yakaar (BBY ou “Unis pour un même espoir”), qui compte 125 députés soutenant Macky Sall. Mais la coalition Yewwi Askan Wi (YAW ou “Libérez le peuple”) ambitionne de contester dans les urnes cet ordre établi, en s’appuyant sur une jeunesse sénégalaise en quête de changement. Elle est menée par la principale figure de l’opposition, Ousmane Sonko, qui avait terminé à la troisième place lors de la présidentielle 2019.

Ces deux camps politiques, au-delà de l’enjeu électoral à venir, sont aussi les acteurs principaux d’une période préélectorale incandescente dans le pays.

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“L’enracinement de ce climat de tension remonte à l’année dernière”, précise Caroline Roussy, chercheuse à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). La spécialiste de l’Afrique de l’Ouest fait référence au mois de mars 2021, quand Ousmane Sonko a été arrêté pour trouble à l’ordre public alors qu’il se rendait à une convocation au tribunal. Visé par une plainte pour viol par une employée d’un salon de massage de Dakar, le député de 46 ans a alors dénoncé un “complot” judiciaire orchestré par Macky Sall visant à l’empêcher de briguer la présidentielle de 2024. Des manifestations pour réclamer sa libération avaient rapidement dégénéré en émeutes, bilan : 14 morts et des centaines de blessés.

Pénuries et frustrations

La dégradation de la situation socio-économique durant l’année écoulée n’a rien arrangé. “Sur le plan économique, le pays a été affecté par la pandémie de Covid-19 avec une diminution de son fret et des échanges, ce qui a, entre autres, entraîné une augmentation du prix des denrées alimentaires de base”, explique Caroline Roussy. La guerre en Ukraine a aussi assombri l’horizon : le Sénégal subit, à l’instar du continent africain, “une pénurie de céréales et d’engrais”.

>> Macky Sall sur France 24 : “Nous vivons une pénurie de céréales et d’engrais sur le continent africain”

“À cela s’ajoutent les nombreuses frustrations dues au délitement des services sociaux de base, notamment dans la santé”, poursuit la chercheuse. Un tragique fait divers, qui a provoqué une vive émotion dans l’opinion publique sénégalaise, est récemment venu illustrer ce problème : onze bébés sont morts dans l’incendie, provoqué par un court-circuit, d’une maternité à l’hôpital public de Tivaouane (dans l’ouest du pays). Un drame qui a rappelé ce qui s’était passé en avril 2021 à Linguère, dans le Nord, lorsque quatre nourrissons ont aussi péri, également dans un incendie.

Les candidats titulaires de l’opposition écartés du scrutin

Et au mois de juin, une décision du Conseil constitutionnel est venue s’ajouter à ce contexte socio-économique délicat pour créer un nouveau pic de tension politique entre la majorité et l’opposition.

La plus haute institution judiciaire du pays a créé de l’incertitude en confirmant, le 8 juin, la décision du ministère de l’Intérieur de rejeter la liste nationale des titulaires (mais pas des suppléants) de la coalition Yewwi Askan Wi pour les législatives – ce qui revient à écarter du scrutin certaines figures de l’opposition, dont Ousmane Sonko.

“La décision du Conseil constitutionnel fait désordre et pose énormément de problèmes, que ce soit sur le plan juridique, électoral ou politique de manière générale”, explique Alioune Tine, membre de la société civile sénégalaise. “Le Conseil constitutionnel a pris une décision très controversée et aujourd’hui contestée par les plus grands juristes du Sénégal. Personne ne comprend la manière dont il a partitionné les listes entre les candidats titulaires et suppléants aux législatives.”

Le 8 juin, toujours, des milliers de Sénégalais ont manifesté à Dakar contre le rejet de la liste de la coalition YAW, et plus généralement contre le pouvoir. Ousmane Sonko, sur place, avait déclaré son intention de défier l’invalidation de sa candidature. “Quand un ordre est manifestement illégal, il faut désobéir”, avait-t-il lancé. “Cette manifestation est un avertissement à Macky Sall. Nous lançons aujourd’hui notre précampagne. Notre seul ennemi est Macky Sall”.

Le président sénégalais, accusé de vouloir empêcher l’opposition de participer aux législatives sous couvert d’une décision institutionnelle, a réfuté ce propos. Sur France 24, il a rappelé qu'”une liste qui ne respecte pas ce que dit la loi, est éliminée”. Avant d’ajouter : “Si on est un pays stable, ce n’est pas un hasard. Nous avons un code électoral, il a été discuté pendant des mois.”

Mais l’escalade verbale entre la majorité et l’opposition a finalement tourné à l’affrontement. Une nouvelle manifestation, qui avait été interdite par les autorités notamment pour risque de trouble à l’ordre public, a dégénéré le 17 juin, faisant fait trois morts et plusieurs blessés.

Alioune Tine rappelle que “les manifestations sont un droit constitutionnel au Sénégal”. “Elles sont autorisées et sécurisées par les autorités publiques, alors que celles que nous avons vues (ces dernières semaines, NDLR) ont été interdites, il y a eu beaucoup de désordre, des morts et des blessés ainsi que pas mal de biens saccagés”, déplore celui qui préside aussi l’Afrikajom Center – un think tank qui travaille notamment sur le respect de la démocratie ou encore de l’État de droit.

La liste AAR Sénégal, qui se revendique comme une troisième voie possible pour les législatives, a pour sa part renvoyé dos à dos les protagonistes de la dernière manifestation mortelle. Dans un communiqué, elle a dit “regretter la prise en otage du pays par deux coalitions BBY et YAW.”

Des signes d’apaisement

Mais contre toute attente, la tension est légèrement retombée. L’opposition a renoncé le 28 juin à ses manifestations, interdites, prévues le lendemain contre le pouvoir. Ousmane Sonko a annoncé l’annulation des regroupements à Dakar et dans plusieurs villes du pays après “des appels du peuple qui a exprimé ses inquiétudes par rapport à la fête de la Tabaski (la plus grande fête musulmane au Sénégal, NDLR)” le 10 juillet et à “la période des examens scolaires”.

La coalition YAW, à rebours de ce qu’elle disait depuis la décision du Conseil constitutionnel, a aussi annoncé qu’elle participerait finalement aux législatives, dans un souci d’apaisement après les heurts meurtriers du 17 juin. “Yewwi Askan Wi ira à ces élections”, a affirmé Ousmane Sonko. “Nous avons notre liste de suppléants et sommes représentés dans les 46 départements (du pays).”

Ce revirement “est un peu étrange”, selon Caroline Roussy, qui juge que “les lignes sont floues de part et d’autre” – que ce soit dans la majorité présidentielle ou dans l’opposition. “Macky Sall ne précise pas ses intentions, s’il souhaite briguer ou non un troisième mandat à la présidentielle 2024, alors que la tension sociale est là. Et Ousmane Sonko joue finalement le jeu des élections législatives, alors que c’était inenvisageable une semaine auparavant.”

Un autre évènement peut aussi être perçu comme un signe d’apaisement : un député d’opposition sénégalais, en détention préventive depuis un mois à Dakar pour “offense au chef de l’État”, a été remis en liberté provisoire, le 8 juillet, après avoir présenté ses “excuses” à Macky Sall. Cheikh Abdou Mbacké Bara Dolly est membre d’une coalition d’opposition, alliée à celle menée par Ousmane Sonko.

Alioune Tine veut voir dans ces derniers jours une période d’accalmie qui s’ouvre. “On va vers un scrutin où il est possible qu’il y ait des changements, avec des forces égales en présence. Et quand les forces sont égales et les enjeux élevés, il y a souvent des tensions de ce type au Sénégal, que ce soit pour les législatives ou pour l’élection présidentielle”, explique-t-il, avant de conclure : “Les gens veulent des élections pacifiques au Sénégal.”

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