Publié le : 04/07/2022
Dernière modification : 05/07/2022
Le photojournaliste Michael Bunel était à bord du Geo Barents, le navire humanitaire de Médecins sans frontières, quand ce dernier a été appelé en urgence pour un sauvetage en mer Méditerranée, lundi 27 juin. Arrivé sur les lieux, Michael Bunel a assisté au sauvetage in extremis – et miraculeux – d’un nourrisson de 4 mois suspendu à l’épaule d’un rescapé. Il raconte.
InfoMigrants : Votre photo d’un nourrisson accroché à l’épaule d’un migrant en mer est particulièrement forte. Racontez-nous la genèse de ce cliché. Vous étiez en reportage sur le navire humanitaire quand vous avez reçu un appel de détresse ?
Michael Bunel : Oui. Nous avons reçu un message vers midi d’Alarm phone [la plateforme d’appel d’urgence pour les migrants en mer, ndlr]. Nous étions le 27 juin. Ils nous ont indiqué qu’un bateau en détresse se trouvait à trois heures de route de notre position. Le capitaine du Geo Barents s’est dirigé vers la zone tout de suite. On savait juste que la situation était critique.
Le navire humanitaire allait vite, il accélérait pour essayer de gagner des minutes. On est arrivés sur le dernier lieu connu du naufrage en deux heures. On a cherché le naufrage. Des membres de l’équipe des sauveteurs étaient sur le pont avec des jumelles, nous étions face au soleil, c’était compliqué de repérer quelque chose.
Puis, à un moment, un sauveteur a vu un point au loin. C’était l’embarcation. Tout le monde s’est activé sur le bateau, s’est équipé. En quelques minutes, les humanitaires étaient prêts. Je me rappelle que l’opération a commencé à 15h.
Quand on s’est approchés du canot, on a remarqué qu’il s’était affaissé par le milieu. En fait, le socle du canot en plastique était constitué de deux planches en bois. Elles se sont cassées durant le périple, l’embarcation a donc commencé à prendre l’eau de toute part.
Les membres de l’équipage me diront plus tard que ce fut l’un des pires sauvetages auquel ils ont assisté.
IM : Au milieu du chaos, les sauveteurs ont repéré le nourrisson tout de suite ?
MB : Non… Au début, on est arrivés sur le “lieu principal” du naufrage, là où il y avait le canot affaissé. Mais d’autres personnes avaient dérivé plus loin. C’était tellement compliqué de secourir les gens à l’eau que les sauveteurs ont lancé des gilets de sauvetage à tout le monde, très vite, un peu partout dans la mer pour sauver un maximum de personnes.
Je me souviens aussi que les humanitaires ont lancé une énorme bouée à la mer [un long boudin flottant de plusieurs mètres, ndlr] pour aider le plus de naufragés possible.
C’est un peu après qu’on a vu plus loin, trois personnes. En s’approchant d’elles, on a de nouveau repéré trois autres personnes, encore plus loin…
On est aussi allés dans leur direction. On a aperçu deux hommes et une femme accrochés à des bouts de bois dans l’eau. On n’a pas remarqué le bébé tout de suite. Mais on a entendu un des hommes crier : “Il y a un enfant ! Il y a un enfant !”
Et là on a vu une masse sur son épaule.
Ce fut encore une fois très difficile. La vedette des sauveteurs ne pouvait pas s’approcher trop près pour ne pas créer de vagues et rendre la situation des naufragés encore plus critique. Il ne fallait pas les toucher pour ne pas risquer de les faire couler.
On a tout de suite récupéré le nourrisson. C’était l’urgence absolue. Quand on l’a sorti de l’eau, il ne respirait plus. Un des sauveteurs l’a saisi immédiatement pour lui faire un massage cardiaque, il lui tapait dans le haut du dos pour le réanimer. Au bout d’un temps qui m’a paru infini, le bébé s’est mis à crier dans les bras de l’humanitaire. Peut-être 5 ou 6 secondes s’étaient écoulées, je ne sais plus.
IM : Vous avez sorti les autres naufragés de l’eau juste après ?
MB : Non, c’est ça qui est difficile pendant les sauvetages. Il fait prioriser les urgences. L’enfant était vivant mais dans un état très critique. On a dû dire aux trois personnes dans l’eau qu’on reviendrait les chercher. On a foncé vers le navire pour faire examiner le bébé par un médecin à bord. Le choix a été fait comme ça.
Ensuite, la vedette des sauveteurs est reparti récupérer les autres naufragés.
IM : L’homme qui portait l’enfant sur son épaule était son père ?
MB : Non, on a appris par la suite que le bébé avait été sauvé par un garçon de 17 ans. Il était un des seuls à savoir nager, un jeune Togolais. Il a secouru des dizaines de personnes en les aidant à s’accrocher aux débris du canot.
Il a secouru la mère de l’enfant dans un premier temps, puis a vu le nourrisson dans l’eau, l’a récupéré et l’a confié, au hasard, à l’homme accroché à un bout de bois – qui l’a hissé sur son épaule. Le jeune de 17 ans est ensuite retourné aider d’autres migrants qui ne savaient pas nager. Ce jeune est un héros !
IM : Comment vont le bébé et sa maman aujourd’hui ?
MB : La mère et le bébé vont bien. Ils ont été secourus tous les deux. Vers 2h du matin, le Geo Barents a demandé l’évacuation en urgence du nourrisson par mesure de sécurité. Il a été transporté avec sa mère vers un hôpital de Malte.
Avant cela, l’opération de sauvetage s’est terminée vers 18h. Le soleil se couchait et on ne voyait plus rien. Nous n’avons pas eu le choix que de stopper les recherches. Nous savions que nous ne pourrions plus retrouver qui que ce soit, la nuit tombée.
IM : Lors de ce naufrage, une trentaine de personnes sont mortes noyées en mer, selon les rescapés. Les équipes ont-elles pu remonter les corps des victimes à bord du Geo Barents ce jour-là ?
MB : Hélas non, parce que nous n’en avons pas trouvé… Nous avions, plus tôt, récupéré une femme enceinte inanimée pendant le sauvetage. Malheureusement, les équipes n’ont pas pu la réanimer. C’est le seul corps qui a été ramené à terre, en Italie.
Le navire a débarqué les 71 rescapés, dont certains sont “très faibles”, dimanche 3 juillet, au port de Tarante, dans le sud de l’Italie. “Au moins 15 % des survivants souffrent de brûlures moyennes à graves et nécessitent un suivi supplémentaire”, a fait savoir le chef de l’équipe médicale MSF à bord. Tous sont “traumatisés et très choqués” par le naufrage.
*Les photographies ont été produites dans le cadre de la grande commande nationale “Radioscopie de la France : regards sur un pays traversé par la crise sanitaire” financée par le Ministère de la culture et pilotée par la BnF.