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Après la dédiabolisation, le Rassemblement national ouvre la page de la normalisation

La séquence des élections législatives et de la mise en place de la nouvelle Assemblée nationale a été marquée par une nouvelle étape dans la stratégie du Rassemblement national, qui souhaite désormais montrer qu’il est un parti de gouvernement.

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Petit à petit, Marine Le Pen et le Rassemblement national (RN) se rapprochent de leur objectif. Avec 89 députés élus le 19 juin et deux postes de vice-présidents de l’Assemblée nationale obtenus par Sébastien Chenu et Hélène Laporte, le Rassemblement national est presque devenu en quelques semaines un parti comme les autres. Une évolution spectaculaire quand on se souvient qu’il y a à peine deux mois, lors de l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle, Emmanuel Macron appelait les électeurs à voter pour lui afin de faire barrage à l’extrême droite.

Entre temps, le RN a mené une campagne à bas bruit et de terrain en vue des élections législatives. Une stratégie payante qui, combinée à la mort du front républicain dans les duels de second tour opposant le RN à Ensemble ou à la Nupes, a permis l’élection de 89 députés.

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>> À lire : Législatives : la mort du front républicain permet une percée historique du Rassemblement national

“Une étape supplémentaire dans notre accession aux responsabilités est désormais accomplie. Une nouvelle ère s’ouvre pour nous. Tout commence”, affirmait le 23 juin le président par intérim du Rassemblement national, Jordan Bardella, lors d’une conférence de presse.


Longtemps marginalisé, le parti de Marine Le Pen entend désormais profiter de son nouveau statut à l’Assemblée nationale pour poursuivre la dédiabolisation impulsée il y a dix ans. Il s’agit maintenant de se normaliser, voire de s’institutionnaliser. Le mot d’ordre a été dicté dès le soir du second tour des législatives par l’ancienne candidate à l’Élysée : “Nous incarnerons une opposition ferme, c’est-à-dire sans connivence, mais une opposition responsable, c’est-à-dire respectueuse des institutions et toujours constructive parce que notre seule et unique boussole est l’intérêt de la France et du peuple français”, a lancé la députée du Pas-de-Calais le dimanche 19 juin.

“Montrer que le RN peut gouverner”

C’est ainsi que le RN a réclamé les postes auxquels il estimait avoir droit en tant que principal groupe d’opposition, devant les 75 députés La France insoumise (LFI) – mais derrière les 151 députés réunis de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) dont fait partie LFI. Un objectif en partie atteint puisque, si Jean-Philippe Tanguy a échoué à se faire élire à la tête de la commission des finances, Sébastien Chenu et Hélène Laporte, en revanche, ont bien été élus vice-présidents de l’Assemblée nationale, avec les voix de députés de la majorité présidentielle qui plus est.

“C’est une nouvelle étape pour Marine Le Pen qui trouve à l’Assemblée nationale une tribune inespérée. Pour elle, il s’agit désormais de faire de son groupe la vitrine d’un parti qui veut montrer qu’il peut gouverner alors que les Français n’en sont pas convaincus. Et ce faisant, persuader les électeurs qu’elle ne représente pas un danger pour la démocratie”, explique le politologue Jean-Yves Camus, spécialiste de l’extrême droite, co-directeur de l’Observatoire des radicalités politiques à la Fondation Jean-Jaurès.

>> À lire : Un rajeunissement de l’Assemblée nationale porté par la Nupes et le RN

Cela passe notamment par les symboles et une étiquette de parti d’extrême droite dont Marine Le Pen voudrait tant se défaire. Cette dernière a ainsi demandé au bureau de l’Assemblée nationale que son groupe ne soit pas placé à l’extrémité droite de l’hémicycle, mais plutôt à gauche des députés Les Républicains (LR), selon l’AFP. En vain.

Par ailleurs, si Marine Le Pen progresse à chaque élection présidentielle – 17,90 % des voix en 2012, 21,30 % puis 33,90 % au second tour en 2017, 23,15 % puis 41,45 % au second tour en 2022 –, elle reste confrontée à un plafond de verre. Celui-ci pourrait sauter si elle parvenait à convaincre l’électorat LR de lui faire confiance. D’où ses accusations visant les députés Les Républicains ayant rendu possible selon elle l’élection de l’insoumis Éric Coquerel à la présidence de la commission des finances : “L’extrême gauche la plus sectaire et la plus radicale a été élue à la tête de la commission des finances grâce à la droite, qui une nouvelle fois a fait preuve de lâcheté. Je suis persuadée que leurs électeurs n’oublieront pas cette nouvelle trahison”, a-t-elle tweeté jeudi 30 juin.


“Le défi de cette mandature, ce sera d’être crédible”

Gagner en crédibilité aux yeux de l’électorat de droite passera également par l’activité des députés RN au Palais Bourbon. “Le travail parlementaire des députés RN va être particulièrement scruté, juge Jean-Yves Camus. Celui-ci s’effectue essentiellement en commission avec des élus qui se spécialisent sur certains sujets en étant très assidus et très sérieux. Or, le travail en commission ne pardonne pas. Si vous êtes nul ou si vous ne faites rien, ça se voit. Il y a là un enjeu majeur pour Marine Le Pen car si ses députés ne sont pas au niveau, ses adversaires et la presse ne manqueront pas de le souligner.”

“Avec 89 députés, nous allons pouvoir travailler correctement, assure le député européen du Rassemblement national Thierry Mariani, ancien élu et ministre LR, rallié au RN en 2019. Nous aurons des collaborateurs pour préparer les textes, du temps de parole, des niches parlementaires qui vont nous permettre de fournir un vrai travail parlementaire. Le défi de cette mandature pour nous, ce sera d’être crédible et de prouver que le RN n’est pas un danger, mais une opportunité.”

>> À lire : Diversité : “L’Assemblée se rapproche petit à petit de la France qu’on croise dans la rue”

Pour Thierry Mariani, être une opposition constructive, comme le souhaite Marine Le Pen, passe par une opposition aux textes du gouvernement en proposant à la place “des choses réalistes” et en évitant une “obstruction inutile” par le dépôt de milliers d’amendements. La France insoumise n’est pas citée mais est clairement visée : il s’agit pour le RN de prendre le contrepied de LFI.

En attendant de voir ses élus à l’œuvre, le RN peut compter sur une majorité présidentielle pour qui le “cordon sanitaire” autrefois établi entre partis républicains et extrême droite semble oublié. Entre la stratégie d’Ensemble, lors de la campagne des législatives, de renvoyer dos à dos la Nupes et le Rassemblement national, les déclarations de certains représentants de la macronie comme le ministre Éric Dupond-Moretti se disant prêt à travailler avec les députés RN ou encore les affirmations d’élus Renaissance comme Éric Woerth préférant voir la présidence de la commission des finances tomber dans les mains du RN plutôt que dans celles de LFI, plusieurs digues sont tombées ces dernières semaines. La preuve que le parti créé par Jean-Marie Le Pen est bel et bien en train de changer de statut.

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