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Assemblée nationale : quelques députés d'extraction populaire parmi une forêt de cadres supérieurs

Femmes de ménage, ouvriers… quelques députés ont un profil socioprofessionnel bien différent de la majorité des parlementaires qui vont siéger sur les bancs de l’Assemblée nationale élue le 19 juin. Leur élection reste une rareté dans un hémicycle largement dominé par les cadres supérieurs, toujours surreprésentés.

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Législatives 2022
Législatives 2022 © Studio graphique FMM

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Les femmes de ménage Rachel Keke (LFI) et Lisette Pollet (RN), l’ouvrier qualifié Laurent Alexandre (LFI), le chauffeur-livreur Jorys Bovet (RN) ou encore le téléconseiller Andy Kerbrat (LFI)… Plusieurs députés, employés ou ouvriers de profession, ont fait leur entrée cette semaine au palais Bourbon dans des groupes de gauche et d’extrême droite.

Des élus dont le profil détonne, ces catégories socioprofessionnelles étant largement sous-représentées à l’Assemblée nationale : les ouvriers et les employés totalisent respectivement 0,9 % et 4,5 % de l’ensemble des députés, contre 12,1 % et 16,1 % dans la population française. Au sein de la Nupes, ces catégories représentent 2 % et 7 % des députés élus. Au Rassemblement national, 7 % et 11 %.

Une différence notable avec les autres forces politiques qui est à chercher dans “un positionnement social différencié des partis”, selon Sébastien Michon, sociologue au CNRS et spécialiste de la sociologie du personnel politique : “On voit clairement que les députés de la majorité présidentielle, des Républicains et du Parti socialiste sont globalement souvent issus des couches supérieures de l’espace social. Mais c’est un peu moins le cas des députés du Rassemblement national et de La France insoumise.”

>> À lire aussi : Diversité : “L’Assemblée se rapproche petit à petit de la France qu’on croise dans la rue”

Cette différence de composition socioprofessionnelle entre les groupes politiques à l’Assemblée nationale peut s’expliquer par les liens entre les partis et leur électorat. “L’électorat du RN et de LFI est plus populaire ou plus ancré dans les catégories intermédiaires. Il y a une logique à vouloir présenter des candidats qui ressemblent à son électorat”, poursuit le sociologue. “Ainsi, on retrouve plus les élites économiques du côté de la majorité présidentielle ou de LR, et davantage de gens issus des catégories intermédiaires à LFI ou au RN.”

Il existe aussi une différence entre les insoumis et les députés d’extrême droite quand on regarde de plus près la répartition sociologique des deux partis. “Celle du RN est plus conforme aux profils des classes populaires et moyennes : pas mal d’employés, de cadres intermédiaires, des petits commerçants et artisans”, note Arnaud Benedetti, professeur associé à Paris-Sorbonne et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. “LFI a aussi ces profils – qui ont été largement mis en avant sur le plan médiatique – mais ils ont plus de fonctionnaires dans leurs rangs.”

“La politique a toujours été considérée comme une affaire de diplômés”

L’arrivée au compte-goutte de profils plus populaires dans l’hémicycle coexiste avec une autre réalité socioprofessionnelle : les bancs de l’Assemblée nationale sont majoritairement peuplés de députés appartenant à la catégorie des cadres supérieurs ou plus. Pour cette nouvelle législature, plus de 50 % des élus (316 sur 577) sont des cadres d’entreprise, des cadres de la fonction publique, professions intellectuelles et artistiques, ainsi que des chefs d’entreprise de dix salariés ou plus. À titre de comparaison, les cadres supérieurs représentaient 20 % de la population française en 2020.

Cette dynamique sociale n’est pas un phénomène nouveau mais dure depuis des décennies, selon Arnaud Benedetti : “La surreprésentation des cadres a commencé dans les années 1970, puis s’est renforcée dans les années 1980, avec une sociologie de cadres moyens et supérieurs à l’Assemblée nationale qui est souvent très présente dans les groupes politiques.” Ce fut aussi le cas au début de la précédente législature, en 2017 : les cadres dans le privé faisaient partie des catégories socioprofessionnelles les plus représentées.

>> À lire aussi : Un rajeunissement de l’Assemblée nationale porté par la Nupes et le RN

“La politique a toujours été considérée comme une affaire de diplômés, donc l’intérêt à ce sujet est davantage situé dans les catégories supérieures”, explique Sébastien Michon. “Cela se retrouve aussi dans les partis : les gens qui militent dans les partis sont aussi pour beaucoup issus des catégories sociales supérieures.”

Différentes raisons peuvent expliquer ce manque de diversité socioprofessionnelle dans le milieu de la politique. La sélection des candidat.e.s opérée par les différentes formations politiques avant les scrutins renvoie à une sorte de “savoir-faire” qui favorise les classes sociales supérieures. “La prise de parole en public est, par exemple, plus évidente pour un certain nombre de catégories professionnelles : enseignants, avocats, journalistes”, note le sociologue.

L’origine sociale modeste peut aussi créer un sentiment d'”illégitimité” chez les principaux intéressés pour s’engager et briguer un mandat. “C’est un phénomène d’autocensure connu sociologiquement“, rappelle Arnaud Benedetti. “Quand des gens viennent d’une classe sociale populaire, ils se sentent moins enclins à prétendre à un certain nombre de responsabilités.”

“Faire émerger des enjeux considérés comme périphériques”

Même si le phénomène semble marginal au palais Bourbon, l’accès à la représentation nationale de plusieurs personnes issues de classes sociales modestes (femme de ménage, téléconseiller, ouvrier qualifié, chauffeur-livreur) peut susciter de nouveaux débats et prises de position dans l’hémicycle.

“Ces nouveaux profils de députés peuvent orienter les débats parlementaires et faire émerger des enjeux qui, jusqu’à présent, sont considérés comme périphériques : le manque de moyens, le manque d’aménagement du territoire ou encore le manque de services”, relève le politologue. Après l’élection de Rachel Keke et Lisette Pollet, des femmes de ménage ont notamment expliqué au Parisien leur espoir de ne plus être “invisibles”.

>> À lire aussi : Législatives : les femmes en recul “historique” à l’Assemblée nationale

La diversité socioprofessionnelle des députés pourrait être finalement, à plus long terme, une des clés permettant de “dépasser la crise actuelle de la représentation politique” en France, selon Arnaud Benedetti : “Il faudrait avoir un hémicycle à l’image de ce qu’est le pays sociologiquement. Quand les classes populaires ne se sentiront plus exclues de la représentation nationale, cela sera un des moyens pour résoudre cette crise.”

Mais pour cette XVIe législature, l’hémicycle semble toujours loin du compte : les catégories populaires (ouvriers et employés), malgré leur représentativité dans la composition de la société française, restent encore marginales parmi les élus. Bien loin de la première législature (1946-1951) où elles comptaient 98 députés sur 522, un record inégalé à ce jour.

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