Publié le : 24/06/2022
Compétences linguistiques insuffisantes, impossibilité de faire reconnaître en France des diplômes obtenus hors de l’Union européenne, mal-logement : pour les réfugiés en France, décrocher un emploi est un parcours du combattant. Mais à l’heure où les employeurs font face à des pénuries de main-d’oeuvre, les entreprises se disent prêtes à se tourner vers “ce nouveau vivier de recrutement”. Interview.
Réfugié rime souvent avec sans-emploi. Du moins, pour l’instant. Mercredi 22 juin, un parterre de décideurs et de patrons bien décidés à inverser cette réalité s’est réuni lors d’un événement organisé par l’agence des Nations unies pour les réfugiés à la Chambre de commerce et d’industrie de Paris. L’occasion d’affirmer que l’insertion professionnelle des réfugiés était une de leurs priorités, à l’heure où la France est confrontée à un manque de main-d’œuvre.
“Non seulement nous devons agir, mais nous devons agir plus”, a affirmé Isabelle Giordano, déléguée générale de la fondation BNP Paribas, banque qui a débloqué 17 millions d’euros pour faciliter cette “intégration”. Les entreprises ont “tout intérêt à aller chercher de nouveaux viviers de recrutement, et les réfugiés en sont un”, a déclaré de son côté Odile Menneteau, qui représentait le Medef lors de cette journée. Si embaucher un réfugié a longtemps été vu comme un acte de “solidarité”, “maintenant, ça doit être pris en compte comme une politique d’emploi”, a-t-elle poursuivi.
Selon l’enquête “Besoins en main d’œuvre” menée par Pôle emploi, plus de trois millions de recrutements seraient en projet pour 2022, soit une hausse de 12 % par rapport à 2021.
À titre comparatif, l’Ofpra et la CNDA ont accordé un statut de protection à quelque 54 094 personnes en France en 2021, selon des chiffres de la Direction générale des étrangers en France (DGEF). La grande majorité d’entre elles n’ont pas accès au marché du travail, enlisées dans des difficultés logistiques et matérielles.
Entretien avec Jean-Christophe Dumont, chef de la division des migrations internationales auprès de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
InfoMigrants : Actuellement, quel est le laps de temps moyen pour qu’un réfugié trouve du travail ?
Jean-Christophe Dumont : Selon les données disponibles, on constate qu’il faut 10 ans pour que la moitié des réfugiés en Europe soit employée. Attention, quand on dit “employée”, ça ne veut pas forcément dire que la personne a obtenu un CDI. Cela peut être tout type d’emploi, même un emploi précaire. En gros, 10 ans après l’arrivée d’un groupe de réfugiés, seulement la moitié d’entre eux ont accédé, d’une manière ou d’une autre, à un emploi. C’est très long, beaucoup trop long.
IM : Pourquoi une telle durée ? Quels sont les obstacles auxquels ils sont confrontés ?
J-C.D : Il y a beaucoup de paramètres qui entrent en compte. Un bénéficiaire de la protection internationale a, par définition, subi des traumatismes. Il a dû fuir son pays sans crier gare, sans pouvoir planifier quoi que ce soit, parfois même sans ses papiers. Tout cela le déstabilise et le rend vulnérable. La précipitation du départ n’est par ailleurs pas propice à une bonne intégration dans le pays de destination, à laquelle la personne n’a pas le temps de se préparer.
Des réfugiés peuvent donc arriver en France sans maîtriser la langue ni les codes du pays. Ils ne connaissent pas forcément le marché du travail, la façon dont se déroule un entretien d’embauche ou le rôle des différentes institutions. Et ils peuvent se retrouver très isolés.
>> À (re)lire : Emploi en France : dans quels secteurs les réfugiés trouvent-il le plus un emploi ?
Autre point problématique : même si un réfugié a pu emmener avec lui ses diplômes, il y a des risques que l’employeur doute de leur validité [les diplômes délivrés en dehors de l’Union européenne doivent faire l’objet d’une vérification administrative afin qu’ils soient reconnus conformes aux standards français, ndlr].
Trouver un emploi tout seul en ne parlant pas très bien français et avec des diplômes qui n’ont pas pu être validés, ça reste une gageure.
Citons aussi les difficultés liées à la localisation géographique. Beaucoup de personnes se retrouvent à leur arrivée en région parisienne et y restent. Or, il y a beaucoup de réfugiés et donc beaucoup de concurrence dans cette zone. On sait que ce n’est pas là que le marché du travail est le plus tendu et qu’il y a le plus d’offres d’emploi non pourvues, mais plutôt en régions.
IM : Concrètement, qu’est-ce qui peut être mis en place pour favoriser cette intégration ?
J-C.D : Il y a déjà eu plusieurs choses qui ont été mises en place. Cette année, le programme AGIR, consacré à cette problématique de l’insertion professionnelle, a été lancé [il vise à “systématiser l’accompagnement vers l’emploi et le logement des bénéficiaires de la protection internationale”, comme le précise le site du ministère de l’Intérieur, ndlr].
Les changements apportés au Contrat d’insertion républicaine (CIR) depuis 2018 devraient par ailleurs commencer à porter leurs fruits. L’offre en matière de formations linguistiques a notamment été doublée. On est passé de 200 à 400 heures. Selon les profils, cela peut aller jusqu’à 600 heures. Ce changement est fondamental car la langue reste un pré-requis pour s’intégrer sur le marché du travail.
>> À (re)lire : Emploi : pour les réfugiés en France, des conditions de travail “précaires, instables et insatisfaisantes”
Il y a également des avancées notables en ce qui concerne la coopération entre l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) et Pôle Emploi. Ils ont commencé à se coordonner en réaction à la crise ukrainienne [et à l’arrivée de réfugiés ukrainiens, ndlr] pour aider cette population à trouver rapidement du travail. On peut espérer que cela fasse tâche d’huile pour les autres réfugiés.
L’intégration est un processus : il faut acquérir la langue, trouver un logement satisfaisant, etc. Cela ne se fait pas du jour au lendemain. Il peut y avoir des difficultés, des rechutes, des pertes d’emploi. Il faut accompagner les gens dans la durée et les comprendre. Pour les entreprises et la puissance publique, c’est un marathon, et pas un sprint.
IM : Qu’en est-il de la reconnaissance des diplômes étrangers ? Des mesures ont-elles été mises en place en ce sens ?
J-C.D : Ça, c’est vraiment le trou dans la raquette. La France est sous équipée en matière de reconnaissance des diplômes étrangers et de validation des acquis et des expériences professionnelles. Il n’y a pour l’heure rien qui est fait, même si les autorités ont compris le problème.
>> À (re)lire : Emploi : le secteur de l’aide à domicile fait le pari de l’immigration
C’est très dommage, car ceux qui obtiennent le statut de réfugié sont des gens qui sont souvent très motivés à l’idée de reconstruire leur vie. Quand ils arrivent à s’insérer sur le marché du travail, ce sont des gens qui ont un gros potentiel, ils ont une forte envie d’apprendre et d’être autonomes rapidement. Ils ne sont absolument pas dans une logique d’assistanat. Quand le marché du travail est trop fermé pour eux, certains se lancent en entrepreneurs, et ce que l’on a pu constater dans différents pays européens, c’est qu’en général, ils réussissent de manière exemplaire.