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Défense de Mohamed Abrini : “vous n'oublierez jamais qu'il n'a pas cessé de douter”

Au 146e jour du procès des attentats du 13-Novembre, la défense de Mohamed Abrini, qui est accusé d’avoir participé aux attaques, a demandé, jeudi, une réduction de peine à trente ans de prison, contre la perpétuité requise par le parquet. Pendant plus de deux heures, les deux avocats de “l’homme au chapeau” ont surtout tenu à rappeler “l’humanité” de l’accusé.  

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“Jamais nous n’oublierons les souffrances”, lâche maître Marie Violleau, à l’endroit des victimes, au début de sa plaidoirie fleuve consacrée à la défense de son client, Mohamed Abrini, jeudi 23 juin. Une brève concession qui laisse vite place à un long plaidoyer, visant à rappeler à la mémoire de tous les membres de la cour, l’humanité de son client.

Dans les journaux, il est celui que l’on a pris l’habitude d’appeler “l’homme au chapeau”. Bob vissé sur la tête, il avait été filmé par les caméras de vidéosurveillance lors des attentats de Bruxelles en mars 2016, poussant un chariot avec deux autres kamikazes. Abrini s’était ensuite enfui sans se faire exploser. Meilleur ami de Salah Abdeslam, ce Belgo-Marocain de 37 ans est aussi celui qui a accompagné les membres du commando à Paris la veille des attaques du 13 novembre 2015. Lors du procès, il a expliqué qu’il était “prévu pour le 13” après avoir finalement renoncé à mourir.

Pour son avocate, il est avant tout “un homme, avec des parents, des grands-parents, un homme qui a du sang qui coule dans ses veines.” Avant de poursuivre : “il a essayé de porter des chemises quand il pouvait, quand elles étaient propres et bien repassées”, pour se présenter devant la cour. Une précaution qu’il ne semble pas avoir prise en ce jour d’audience. T-shirt noir, pantalon noir, cheveux noirs coupés court, l’accusé au regard tout aussi noir, écoute attentivement, son avocate, depuis son box.

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“Qui est Mohamed Abrini ? “C’est l’incertitude”

Tout au long du procès, “il a essayé de rester digne, il a essayé de répondre à toutes les questions. Il respecte cette institution, il respecte la cour d’assises, contrairement à ce que j’ai pu entendre dans les réquisitions.” Et de relancer plus fort : “qui est Mohamed Abrini ? C’est l’incertitude. Il parle, mais trop peu. C’est un poète. Il nous fait passer des petits papiers parfois avec des poèmes”, décrit l’avocate.

Une chose est sûre, assure la juriste : “Mohamed Abrini n’est pas un soldat de l’État islamique. Mohamed Abrini est coupable, vous allez le juger coupable et il va être condamné. Mais vous n’oublierez jamais qu’il n’a pas cessé de douter”.

Comme pour justifier ses approximations et ses absences aux audiences, la magistrate rappelle que l'”on attendait de lui qu’il adopte un comportement normal. Mais quand on sort de 70 mois d’isolement et que du jour au lendemain, on arrive à cette place, comment vous voulez qu’on soit normal…”, tempête l’avocate. On l’a jeté dans cette salle clinique en préfabriqué aux lumières blanches, il avait mal aux yeux, ses grands yeux noirs.”

Raillant les spécialistes du terrorisme, la magistrate tacle les témoignages des chercheurs qui se sont succédé à la barre ces dernières semaines. “Ils ont été séduisants, parfois imprécis. On a beaucoup aimé Hugo Micheron mais il y connaît quoi à Mohamed Abrini ?”, demande l’avocate. “Vous, vous êtes plus compétents que cela”, poursuit-elle en direction de la cour. “Vous, vous savez les hommes”.

“La mort de son frère en Syrie, le point de bascule”

Déterminée à ce que l’assistance comprenne mieux son client, la magistrate est aussi revenu sur son enfance. Sa passion pour le foot, les jeux vidéo, les petits délits, la chambre partagée avec son frère. Et ce jour où tout a basculé avec la mort de ce cher frère. “Il était désespéré du départ de son frère en Syrie. Quand il a disparu, on a eu envie d’aller le chercher. Il est là le basculement : le départ et la mort du frère”.

Se sont succédé ensuite les arguments visant à relativiser son implication jihadiste. Son séjour en Syrie qui ne permet rien d’affirmer, son court séjour en Angleterre, la relation avec sa petite amie. Jusqu’à son renoncement à se faire exploser le soir des attaques du 13-Novembre. Certes, “il a loué une voiture. Il est, à ce moment-là, un soutien moral et matériel. Il apporte une aide à la cellule. C’est de la complicité, il sera condamné pour cela. Mais dans sa tête, il ne veut plus y aller. Ce n’est pas rien de renoncer à ce stad là. Il s’en va, il claque la porte. Il ne tiendra pas de kalachnikov entre les mains. Le 13-Novembre, il ne tuera personne”.

“L’isolement, c’est la prison dans la prison”

C’est la raison pour laquelle son avocate récuse la prison à perpétuité formulée quelques semaines plus tôt par les trois avocats généraux. “La perpétuité, c’est un mot plein de fantasme, presque jupitérien, qui ne dit rien mais qui fait tout. La perpétuité plane au-dessus de nos têtes comme un rapace. La perpétuité c’est enlever le morceau de ciel entre les barreaux, c’est prendre un homme et le ramener au statut d’animal. C’est se prendre pour Dieu. On ne ferme les yeux qu’aux morts”, assène l’avocate au milieu d’une assistance silencieuse.

“En plus de la prison, pour un homme estampillé terroriste, il y a l’isolement. En prison, on est libre de rien. Même l’intimité la plus absolue, vous en êtes privé. […] Le pire statut pour un détenu, c’est l’oubli, l’oubli dans la crasse. L’isolement, c’est ce qui fait honte aux États”. Et de reprendre de plus belle : “aujourd’hui, la prison dans la prison, c’est sa vie. Gardez en tête que c’est un homme qui assume. Il a toujours douté, jusqu’à ne pas y aller. La perpétuité, c’est trop quand on connait l’homme, trop pour un homme qui est capable d’écrire des poèmes”.

Pour toutes ces raison, Maître Violleau propose “une peine de 30 ans avec la sûreté que vous voulez”. “N’oubliez pas les paroles de l’accusé au milieu de tout ce qu’il a pu dire ‘Si j’avais pu, j’aurais acheté la paix universelle’, c’est ça aussi Abrini”, a-t-elle conclu.

“Il a un cœur qui bat”

Après une suspension de séance, c’est au tour du deuxième avocat belge de Mohamed Abrini, Stanislas Eskenazi, de prendre la parole. Comme sa consœur, quelques minutes plus tôt, sa plaidoirie s’ouvre par une pensée aux victimes. Souriant, presque jovial, il commence par évoquer le souvenir d’un couple qui a perdu un enfant, croisé au hasard des rues à Paris. “On a échangé quelques mots, c’était doux”, raconte l’avocat. Et puis comme sa consœur, il revient sur le caractère humain de son client. “Ça fait six ans que je partage soixante-dix visites en prison avec lui. Pendant que les victimes sont venues déposer à la barre, faudrait être fou pour dire qu’il n’a rien ressenti. Il a un cœur qui bat”.

Il retrace aussi le décor de son enfance. “Molenbeek ce n’est pas un camp Rohingya et on y mange à notre faim, mais on doit essayer de comprendre pourquoi nous, Belges, détenons le record du nombre de départ par habitants en Europe. Il s’agit d’expliquer les choix”, explique Stanislas Eskenazi qui raconte les cafés bruxellois où l’on se croise, les jeux de dés, le thé, le shit.

“La lâcheté c’est ce qu’il y a de plus humain”

Après avoir retracé son parcours, il adresse un dernier conseil à la cour : “Vous devez garder en mémoire que monsieur Abrini a renoncé. J’ai entendu par mes contradicteurs la lâcheté de monsieur Abrini. La lâcheté, c’est ce qu’il y a de plus humain. Cela nous rappelle qu’il a les pieds bien sur terre et pas dans le ciel. Cela doit vous rassurer.”

Pour conclure, il reprend les mots d’Abdelhamid Abaaoud, commanditaire des attentats, qui a dit à Abrini le 12 novembre 2015 : “Tu finiras ta vie en prison si tu n’y vas pas. Donnez tort à Abaoud”, assène-t-il comme un ultime défi lancé à la cour.

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