Après avoir échoué à obtenir la majorité absolue au second tour des élections législatives, dimanche, la coalition Ensemble ! va devoir nouer une coalition ou trouver des “majorités d’idées” pour légiférer. Une situation inédite sous la Ve République qui replace l’Assemblée nationale au centre du jeu politique français. Explications.
“Nous travaillerons dès demain (lundi) à construire une majorité d’action, il n’y a pas d’alternative à ce rassemblement pour garantir à notre pays la stabilité et conduire les réformes nécessaires.” Ce sont les mots de la Première ministre Élisabeth Borne, prononcés dans la soirée du dimanche 19 juin une fois qu’il était clair que la coalition Ensemble ! ne disposerait que d’une majorité relative à l’Assemblée nationale.
“À partir du moment où Élisabeth Borne considère qu’il n’existe pas de majorité, c’est que l’action qui serait la sienne sera d’essayer, en fonction des textes de loi, de construire des ‘majorités d’idées’ qui réunissent des gens qui, quelle que soit leur appartenance politique, peuvent se retrouver dans un programme d’action”, explique Arnaud Benedetti, professeur associé Paris-Sorbonne et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire.
“La réalité, c’est qu’au lendemain du second tour des législatives, il n’y a pas de majorité claire pour la première fois sous la Ve République”, poursuit le politologue. Les cartes sont en effet rebattues dans l’hémicycle : avec 245 députés, il manque 44 sièges à la coalition affiliée au gouvernement pour pouvoir voter les réformes – un projet de loi sur le pouvoir d’achat, la réforme des retraites, entre autres – que comptait initier l’exécutif dans les prochains mois.
“Ma hantise, c’est que le pays soit bloqué”, a souligné lundi matin sur France Inter la porte-parole du gouvernement, Olivia Grégoire. Interrogée pour savoir si la France était, à la suite de ce scrutin, gouvernable, elle a reconnu que cela allait être “compliqué”.
Une prudence dont ne s’est pas embarrassé sur LCI le député de la Nupes François Ruffin, tout juste réélu dimanche soir : “Le pays est bloqué. Emmanuel Macron n’a pas de légitimité pour imposer son projet, Marine Le Pen n’a pas de légitimité pour imposer son projet. Mais il faut le dire, nous (les députés de la Nupes, NDLR) n’avons pas non plus de majorité et de légitimité pour imposer notre projet”.
Avec trois forces politiques qui se neutralisent, la nouvelle configuration de l’Assemblée nationale est inédite. L’exécutif ne pourra disposer d’une majorité absolue que de deux manières, selon Arnaud Benedetti : “Ce sera soit au cas par cas, en fonction des textes qui seront discutés à l’Assemblée nationale, soit au moyen d’une coalition avec d’autres forces politiques charnières”. La première option avait été suivie lors des deux législatures avec des majorités relatives qu’a connues la Ve République, sous le Général de Gaulle (de 1958 à 1962) et sous François Mitterrand (de 1988 à 1993) : à chaque fois, des alliés politiques étaient identifiés pour le vote de chaque loi – ce qui n’est pas encore le cas aujourd’hui.
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Numériquement, l’équation d’Ensemble ! pourrait se résoudre par une coalition avec les Républicains (61 députés). Mais le président du parti, Christian Jacob, a clairement prévenu dès dimanche : “Nous sommes dans l’opposition, nous resterons dans l’opposition”.
Reste que dans une République qui goûte peu les coalitions, l’option “au cas par cas” semble avoir la faveur de l’exécutif, dont la cheffe a évoqué la “majorité d’action” – qui rappelle les “majorités d’idées”, un concept qui remonte à Edgar Faure, ministre sous de Gaulle et Pompidou.
Premier test grandeur nature à l’Assemblée nationale le 5 juillet
Cette situation politique trouble signe en tout cas le retour des parlementaires au centre de la vie politique française. “Il est clair que l’Assemblée nationale retrouve une influence et un poids certains”, explique le politologue. Là où la majorité disposait de plus de 300 députés en 2017, elle n’en compte plus que 245 en 2022 – la majorité absolue étant fixée à 289. À l’inverse, des groupes d’opposition se trouvent renforcés par ce scrutin : la Nupes totalise 131 députés, quand la gauche au sens large en comptait 72 il y a cinq ans. Le Rassemblement national est passé, quant à lui, de 8 à 89 députés.
Durant le précédent quinquennat, l’opposition à La République en Marche déplorait que l’Assemblée nationale soit devenue “une chambre d’enregistrement des désirs du Président”. Selon Arnaud Benedetti, “le gouvernement est techniquement, maintenant, à la merci de votes négatifs. Si l’ensemble des autres forces politiques se met à voter comme un seul homme contre un texte, le gouvernement sera mis en minorité.”
Le premier test grandeur nature aura lieu dans l’hémicycle le 5 juillet : Élisabeth Borne doit alors prononcer devant les députés une déclaration de politique générale pour exposer les grandes orientations politiques du gouvernement, et à l’issue de laquelle l’Assemblée nationale pourrait être sollicitée pour un vote de confiance (ce dernier n’est constitutionnellement pas obligatoire).
C’est aussi ce jour-là que la Nupes entend déposer une motion de censure contre le gouvernement, a annoncé la coalition de gauche lundi sur Twitter. Le vote de cette motion à la majorité des députés pourrait conduire à un renversement du gouvernement : cette option est maintenant théoriquement possible, dans l’hypothèse où toutes les forces d’opposition se réuniraient pour obtenir 289 votes. Avant cela, cet outil parlementaire pourrait surtout amener une clarification sur les bancs de l’hémicycle, comme l’a expliqué Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel, sur France Inter : “Ce sera très intéressant de voir qui votera cette motion de censure et qui s’abstiendra. Il y a aura là une première mesure des rapports de force à l’Assemblée nationale.”
La coalition Ensemble ! disposera-t-elle, d’ici le 5 juillet, d’une majorité absolue ? Sans cela, le blocage pourrait être encore plus important qu’actuellement. Et en cas de situation indépassable, “le président de la République dispose d’une arme institutionnelle majeure : la possibilité de dissoudre”, rappelle Arnaud Benedetti. “Mais le risque, c’est qu’après un retour aux urnes, il se retrouve avec une Assemblée nationale qui amplifierait encore le mouvement constaté après ces dernières élections législatives. Il ne semble pas qu’il y aura de dissolution possible avant un certain temps.”