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“On sait qu’on va mourir d’un cancer” : la vie dans une “zone sacrifiée” au Chili

Des centaines de personnes, dont une majorité d’enfants, ont été intoxiquées depuis le début du mois de juin dans les villes chiliennes de Quintero et Puchuncaví. En cause : la pollution émanant des industries locales. De nombreux autres cas d’intoxication avaient déjà été répertoriés à cet endroit dans le passé, connu pour être une “zone sacrifiée” du pays. Une enseignante dénonce l’enrichissement de ces industries “au prix de la santé” des habitants. 

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ACTUALISATION (18 juin 2022) : Gabriel Boric, le président du Chili, a annoncé, dans la soirée du 17 juin, la fermeture graduelle de la fonderie Ventanas, qui appartient à l’entreprise publique Codelco. Il s’agit de l’une des industries opérant dans la zone de Quintero et Puchuncaví. La décision a été prise en raison des problèmes récurrents d’intoxication dans la zone.

Au moins 105 personnes, dont une majorité d’enfants, ont été intoxiquées entre le 6 et le 8 juin à Quintero et Puchuncaví, villes situées à une centaine de kilomètres au nord-ouest de la capitale chilienne. Les victimes ont présenté divers symptômes – vertiges, maux de tête, problèmes respiratoires, picotements aux yeux, nausées, etc. – en raison du pic de dioxyde de soufre enregistré dans la zone, dans la matinée du 6 juin.

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Ces personnes ont été prises en charge dans des centres médicaux et les établissements scolaires de la zone ont été fermés plusieurs jours. “Pour les enfants, cela a été la double peine : ils ont été intoxiqués et privés d’éducation”, estime Manuel Pizarro Pérez, habitant de Quintero et directeur de l’ONG Red Infancia Chile (“Réseau Enfance Chili”).

Du gaz visible au niveau de l’une des industries opérant dans la zone de Quintero y Puchuncaví.

“Quintero. Des élèves du collège Santa Filomena ont été transférés vers des centres de santé, présentant des symptômes que l’on peut attribuer à une intoxication respiratoire. […]” 

Une semaine plus tard, de nouvelles intoxications ont été répertoriées à Quintero. Le 15 juin, le maire a déclaré qu’environ 265 enfants avaient été admis à l’hôpital. Le 16 juin, la presse a rapporté une vingtaine de cas supplémentaires.

Déjà de nombreux cas d’intoxication dans le passé

De tels problèmes sont récurrents dans cette zone, peuplée d’environ 50 000 habitants. Par exemple, en 2018, plus de 1700 personnes avaient déjà été intoxiquées, et en 2011, une trentaine d’enfants étaient également tombés malades.

La pollution causée par le parc industriel local est pointée du doigt. Développé par l’État dans les années 1950, ce parc abrite actuellement des centrales électriques à charbon, raffineries de cuivre et de pétrole, ou encore des usines chimiques. D’où le surnom de “Tchernobyl chilien” donné par Greenpeace à ce lieu, considéré comme l’une des cinq “zones sacrifiées” du Chili, à cause de la pollution.

À propos du pic de pollution enregistré le 6 juin, la Superintendance de l’Environnement a indiqué le 8 juin qu’il n’était “pas encore possible de déterminer” son origine précise. Elle a toutefois ordonné à huit entreprises locales de prendre des mesures pour réduire la pollution, de façon temporaire. Mais aucune d’entre elles n’a fourni d’explications concernant ce pic.

Vue du parc industriel de la zone de Puchuncaví et Quintero (2022).
Vue du parc industriel de la zone de Puchuncaví et Quintero (2022). © Gladys Olivares.

Puerto Ventanas et Codelco, deux industries de la zone de Puchuncaví et Quintero (2022).
Puerto Ventanas et Codelco, deux industries de la zone de Puchuncaví et Quintero (2022). © Gladys Olivares.

“Les enfants ont très souvent mal à la tête mais ils s’y sont habitués”

Gladys Olivares, 56 ans, est enseignante à l’école La Greda à Puchuncaví, où elle vit depuis 24 ans.

Lundi 6 juin, une dizaine de mes élèves ont commencé à se sentir mal en classe : ils avaient des maux de tête, des douleurs au ventre et des vertiges. Moi-même, j’ai eu mal au crâne. J’ai prévenu la directrice mais ils n’ont pas été emmenés aux urgences, car elles ne pouvaient s’occuper que des cas les plus graves. Au final, l’école a été fermée trois jours.

En 2011 déjà, il y avait eu des cas d’intoxication à l’école : les enfants s’étaient sentis mal, une collègue s’était évanouie… Personnellement, mon cœur s’était mis à battre si vite que j’ai cru qu’il allait s’arrêter, et que je n’allais plus pouvoir respirer. Pour la première fois, le problème de la pollution dans la zone a alors été médiatisé. Ensuite, l’école a été fermée durant deux ou trois mois. Puis nous avons dû faire classe dans des conteneurs, et au bout de deux ou trois ans, l’école a rouvert, quelques kilomètres plus loin. À l’époque, des examens sanguins avaient révélé des traces de pollution dans les corps des enfants.

Depuis que l’école a été déplacée, elle ne reçoit plus autant de poussière de charbon, mais il y en a toujours. De plus, le sol de la cour est en terre, donc quand les élèves jouent, la terre se soulève, ce qui est problématique car elle contient des métaux lourds et du charbon.

Des enfants jouant dans la cour de l’école “La Greda”, à Puchuncaví (2022).
Des enfants jouant dans la cour de l’école “La Greda”, à Puchuncaví (2022). © Gladys Olivares.

Ici, les enfants ont très souvent mal à la tête, mais ils s’y sont habitués. Ils en parlent seulement s’ils se sentent vraiment mal, par exemple s’ils vomissent. Par ailleurs, certains ont des problèmes cognitifs comme des déficiences intellectuelles ou des troubles de l’apprentissage. C’est lié à la pollution.

Du côté des adultes, beaucoup souffrent d’hypertension. C’est mon cas, et en plus de cela, j’ai des problèmes rénaux, une rhinite chronique, des allergies, et on a dû me retirer un ovaire et une trompe, car j’avais une boule. L’une de mes collègues, âgée de 54 ans, est morte d’un cancer en décembre. En 2011, lorsque nous avions réalisé des analyses, elle avait pourtant moins de métaux lourds dans le sang que moi. Nous sommes résignés, nous savons que nous allons mourir d’un cancer. Ici, les industries gagnent de l’argent au prix de notre santé.

La vue depuis la localité de Chocota, à Puchuncaví, où vit Gladys Olivares (2022).
La vue depuis la localité de Chocota, à Puchuncaví, où vit Gladys Olivares (2022). © Gladys Olivares.

La centrale thermique Campiche, l’une des industries présentes dans la zone de Puchuncaví et Quintero (2022).
La centrale thermique Campiche, l’une des industries présentes dans la zone de Puchuncaví et Quintero (2022). © Gladys Olivares.

“Je suis déterminée à sensibiliser mes élèves au fait qu’ils ont droit à la santé et à l’éducation, au fait de pouvoir vivre dans un environnement non pollué…”

Déménager est compliqué, car je vis ici depuis longtemps, j’ai mis des années à avoir une maison, et de toute façon, les métaux lourds sont déjà dans mon corps. De plus, je suis déterminée à sensibiliser mes élèves au fait qu’ils ont droit à la santé et à l’éducation, au fait de pouvoir vivre dans un environnement non pollué…  J’ai d’ailleurs un ancien élève qui étudie le droit, pour défendre cela.

J’ai l’impression que les industries ne fermeront jamais. Par contre, au niveau de l’école, on devrait au minimum modifier le sol de la cour. De plus, on devrait organiser un suivi médical des enfants.

“Ça, ce n’est pas un nuage naturel”, indique Gladys Olivares, qui a pris cette photo à Puchuncaví (16 juin 2022).
“Ça, ce n’est pas un nuage naturel”, indique Gladys Olivares, qui a pris cette photo à Puchuncaví (16 juin 2022). © Gladys Olivares.

Cela fait des années que les habitants et les autorités locales dénoncent la pollution dans la zone, et l’inaction de l’État pour la diminuer.


“Des travailleurs de la municipalité de Quintero [protestent] en raison des derniers épisodes de pollution.”

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