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Au Burkina Faso, la ruée vers l’or menacée par les groupes armés

Après deux décennies de progression fulgurante, l’industrie de l’or commence à montrer des signes de faiblesses au Burkina Faso, pays durement touché par la crise sécuritaire. Inquiets, les professionnels tentent tant bien que mal de sécuriser ce secteur qui représente plus de 70 % des exportations du pays. 

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 Confronté à une recrudescence d’attaques jihadistes, le Burkina Faso compte ses morts. Le pays a entamé, mardi 14 juin, trois jours de deuil national après l’attaque contre le village de Seytenga qui a fait 79 morts, le plus lourd massacre depuis un an.     

Depuis 2015, plus de 2 000 civils auraient été tués lors d’attaques imputées à des groupes armés affiliés à Al-Qaïda et à l’organisation État islamique. Si cette crise sécuritaire pèse lourdement sur l’économie du pays, elle a jusqu’ici peu affecté la production l’or : le premier produit d’exportation du Burkina avait continué de croître.   

Confronté en 2022 à une baisse de son activité, le secteur craint désormais que l’insécurité galopante fasse fuir les investisseurs étrangers.  

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Menaces contre les mines d’or industrielles    

Le 9 juin à l’aube, plusieurs dizaines d’hommes armés s’introduisent sur le complexe minier de la société Riverstone Karma, dans la province du Yatenga, et ouvrent le feu sur ses occupants. Un soldat ainsi qu’un employé perdent la vie dans cette attaque, finalement repoussée par les forces de sécurité.   

Le raid contre la mine de Karma, près de la frontière avec le Mali au nord du pays, marque une nouvelle étape dans la crise sécuritaire qui frappe le secteur aurifère au Burkina Faso. Car si les intérêts miniers sont régulièrement visés par les groupes jihadistes, les attaques directes contre des mines industrielles y sont extrêmement rares. Plusieurs journalistes locaux ont indiqué que le raid de Karma était le premier de ce type depuis l’arrivée de la menace terroriste dans le pays, en 2015.  

“Nous avons décidé de suspendre les opérations pour concentrer nos efforts à la sécurisation de l’ensemble des collaborateurs, de nos sous-traitants et du site”, a annoncé l’entreprise suite à l’attaque.      

Un mois plus tôt, le groupe russe Nordgold a, quant à lui, annoncé la fermeture définitive de sa mine à Taparko. En activité depuis 2007, ce site privé industriel est l’un des plus anciens et des plus importants du pays. Dans un communiqué, l’entreprise a déploré “l’impossibilité absolue” de poursuivre ses activités du fait de “l’insécurité généralisée” autour de ses exploitations.    

Ces évènements récents suscitent la crainte d’une perte de recettes pour l’État, alors que la production d’or a enregistré un important recul au premier semestre 2022 par rapport à l’année précédente.     

La fin de l’âge d’or ?    

Si les perspectives s’assombrissent aujourd’hui pour l’industrie aurifère burkinabè, celle-ci a longtemps affiché une insolente croissance qui semblait perméable à toutes les crises.    

Amorcé à partir de 2003 par la libéralisation du secteur, le boom de l’extraction a permis à l’or de détrôner le coton dès 2008 comme premier produit d’exportation du pays. Une croissance fulgurante qui s’est poursuivie depuis et fait la fierté de ses acteurs.    

“Le Burkina Faso a fait un bond prodigieux, un record quasiment inégalé, avec un ratio de 1,2 mine par an, de 2009 à aujourd’hui. Aucun pays au monde, y compris les grands pays miniers comme le Canada, l’Australie, n’ont connu de telles performances” se félicitait Adama Soro, président de la Chambre des mines du Burkina, dans une interview en juillet 2021.      

Durant la crise sanitaire, le secteur a poursuivi son ascension, porté par la montée du cours du précieux métal et l’exploitation de deux nouvelles mines industrielles –  portant à 17 leur nombre total dans le pays. Mais, dans le même temps, la sécurité du personnel et des infrastructures est devenue de plus en plus difficile, nécessitant de gros investissements financiers.        

En novembre 2019, la mort de 40 employés de la mine d’or de Boungou, à l’Est, lors d’une embuscade contre leur bus, a suscité une onde de choc dans le secteur. Depuis, plusieurs entreprises organisent le transport de leurs salariés par voie aérienne depuis la ville jusqu’aux sites miniers. D’autres ont fait le choix de renforcer les escortes de leurs convois de travailleurs. Une mesure qui n’a pas suffi à endiguer ce type d’attaques, dont la dernière en date s’est déroulée le 6 juin dans l’est du pays.    

Les orpailleurs, terreau fertile de recrutement 

Comment expliquer cette recrudescence d’attaques visant les intérêts aurifères ? Pour Tongnoma Zongo, chercheur au Centre national de la recherche scientifique et technologique du Burkina Faso, la crise sécuritaire reflète le fossé qui s’est graduellement creusé entre l’industrie et l’opinion publique.    

“Les citoyens ont bien conscience que le secteur profite avant tout aux entreprises étrangères. L’or représente 70 % des exportations du pays mais il ne contribue qu’à hauteur de 11 % du PIB national”, souligne-t-il. “Confrontées aux conséquences néfastes de ces exploitations sur l’environnement et l’agriculture, les populations locales ont le sentiment de subir les inconvénients de cette activité sans en voir les bénéfices”.      

En marge du développement de l’industrie aurifère, la pratique de l’orpaillage a elle aussi connu une forte croissance au cours des dernières décennies. Les autorités estiment que plus d’1,3 million de personnes – soit environ 6 % de la population burkinabè – travaillent sur quelque 700 sites miniers artisanaux exploités dans le pays, le plus souvent en-dehors de tout contrôle de l’État. Peu sécurisés, ces sites sont des cibles de choix pour les groupes armés. Ils constituent également un terreau fertile de recrutement.    

“Les orpailleurs fonctionnent beaucoup par le bouche-à-oreille pour repérer les bons filons”, explique Tongnoma Zongo. “Une fois qu’ils ont identifié un site, ils doivent investir de l’argent pour mener les recherches. Or, bien souvent, lorsque ces sites se révèlent riches en or, ils sont récupérés par les entreprises aurifères qui chassent les orpailleurs sans leur octroyer de compensations, puisque ceux-ci travaillent sans permis. Cette situation, qui génère beaucoup de ressentiment, est exploitée par les jihadistes pour grossir leurs rangs”.    

Conscient de ces problèmes, le ministère des Mines a ouvert, le 10 juin, des concertations sur la situation sécuritaire. Parmi les priorités du gouvernement : la réorganisation de l’artisanat minier “pour éviter que les sites aurifères artisanaux ne servent de refuge et de sources de financement aux groupes armés terroristes“. 

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