Selon les résultats officiels publiés par le ministère de l’Intérieur, l’union de la gauche emmenée par Jean-Luc Mélenchon est arrivée en deuxième position du premier tour des élections législatives. Une “manipulation”, accusent les cadres de la Nupes qui contestent les calculs de la place Beauvau.
C’est peut-être un détail pour vous, mais pour l’union de la gauche, cela veut dire beaucoup. Les résultats officiels du ministère de l’Intérieur ont placé la Nupes en deuxième position du premier tour des élections législatives, juste derrière Ensemble!, qui regroupe les partis proches de la majorité présidentielle.
D’après la place Beauvau, 5 857 561 bulletins Ensemble! ont été glissés dans les urnes dimanche (25,75 %), contre 5 836 202 suffrages pour la Nouvelle union populaire écologique et sociale (25,66 %). Mais ces résultats sont vivement contestés par des cadres de la France Insoumise qui revendique 300 000 voix supplémentaires pour elle et ses alliés socialistes, communistes et écologistes.
“Ces chiffres sont faux ! [Le ministère de l’Intérieur] nous supprime des candidats sans aucun doute”, s’est emporté Alexis Corbière, le député LFI de Seine Saint-Denis, lundi 13 juin, sur RMC.
Manuel Bompard, candidat de la Nupes dans la 4e circonscription des Bouches-du-Rhône, a également sonné l’”alerte à la nouvelle manipulation de Darmanin”, le ministre de l’Intérieur, qui aurait voulu faire “apparaître artificiellement le parti de Macron en tête”.
ALERTE À LA NOUVELLE MANIPULATION DE #DARMANIN
Alors que la #NUPES réalise 6 101 968 voix (soit 26,8%), le ministère de l’intérieur ne lui attribue que 5 836 202 voix (soit 25,7%) pour faire apparaître artificiellement le parti de #Macron en tête.
Allo le Conseil d’Etat ?
— Manuel Bompard (@mbompard) June 13, 2022
“Allô le Conseil d’État ?”, a-t-il lancé, six jours après une décision de l’institution qui, saisie en référé par plusieurs partis de gauche, avait enjoint le ministère de l’Intérieur de prendre en considération la Nupes comme “une nuance politique à part entière” lors du scrutin et non “une alliance de circonstance”.
Ce n’est qu’après ce recours que la place Beauvau avait été contrainte de compter sous une seule et même bannière les voix des candidats investis ou soutenus par l’union de la gauche au lieu de les répartir entre les différents partis qui composent la Nupes.
Que répond le ministère de l’Intérieur ?
Comment comprendre alors la différence entre les chiffres du ministère de l’Intérieur et ceux avancés par la France Insoumise (LFI) ? L’explication tient à l’étiquetage retenu pour certains candidats.
Dans plusieurs circonscriptions des Outre-mer, aucun prétendant à un poste de député ne bénéficie de l’étiquette officielle “Nupes”. Ces derniers sont classés “divers gauche”.
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Joint par France 24, le ministère de l’Intérieur précise que “c’est la direction de campagne de Nupes qui, par un mail adressé le 8 juin 2022, a listé l’ensemble des candidats à qui il conviendra d’attribuer la nuance “Nupes”. Dans cette liste pourtant très complète ne figurait aucun candidat outre mer. Ces candidats ne figurent pas non plus sur leur site officiel“.
Certains candidats de Corse et d’Outre-mer, territoires hors accord national de la Nupes, n’ont donc pas été comptabilisés. C’est le cas de Karine Le Bon dans la 2e circonscription de La Réunion (42,9 %) ou encore du député sortant insoumis Jean-Hugues Ratenon dans la 5e (36,38 %).
De son côté, LFI assure que ces candidats ont fait campagne pour la Nupes, défendant le programme de Jean-Luc Mélenchon et de ses alliés, et devraient donc être comptabilisés dans les résultats du premier tour.
Exemple de manipulation des résultats. Jean-Hugues Ratenon siège 5 ans au groupe LFI à l’Assemblée. Il n’est pas classé « #NUPES » par Darmanin mais « divers gauche ». Il est arrivé en tête de la 5e circo de La Réunion.
— Jean-Luc Mélenchon (@JLMelenchon) June 13, 2022
Le ministère de l’Intérieur apporte également des précisions pour trois candidats classés en divers gauche “initialement investis par la Nupes mais qui avaient déclaré vouloir renoncer à cette investiture”. Il s’agit d’Hervé Saulignac (1re circonscription de l’Ardèche), Dominique Potier (5e de Meurthe-et-Moselle) et Joël Aviragnet (8e de Haute-Garonne).
“Ce n’est pas une nouveauté. À chaque fois qu’il y a une nouvelle alliance, il y a toujours des contestations sur les candidats situés dans les ‘zones grises’. Par exemple, ceux qui n’ont pas été désignés juridiquement mais qui ont invoqué le nom de l’alliance”, analyse le politologue Arnaud Leclerc. “Dans ce cas, le ministère de l’Intérieur a l’habitude depuis 40 ans de construire des chiffres qui plaident en faveur du pouvoir”, estime le professeur de science politique à l’université de Nantes.
“Tout ça n’a pas d’importance”
Enfin, la place Beauvau assure que tous les partis sont logés à la même enseigne citant l’exemple de Damien Abad, “dont on peut légitimement penser qu’il est soutenu par Ensemble” mais “est comptabilisé en divers droite”. Qualifié au second tour dans l’Ain, le ministre des Solidarités est désormais “en congé” des Républicains, étiquette sous laquelle il avait été élu député en 2017.
“Certains candidats qui venaient d’autres partis politiques ne se sont pas déclarés en Préfecture (sous l’étiquette) Ensemble et n’ont donc pas été comptabilisés dans les chiffres Ensemble”, a résumé sur France Inter Gabriel Attal, le ministre des Comptes publics et candidat qualifié dans les Hauts-de-Seine.
Au-delà du symbole d’occuper la place du premier parti en nombre de voix au premier tour, ces différences de calcul n’auront toutefois aucune conséquence sur la composition de la future Assemblée nationale lors de ce scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Par ailleurs, les candidats étiquetés “divers gauche” ou dissidents devraient au final rejoindre les rangs de la coalition de la Nupes.
“C’est essentiellement une affaire de posture et de communication pour mobiliser les électeurs” au second tour, note Arnaud Leclerc. “C’est pour cela que cette place de numéro 1 peut avoir une importance pour la dynamique que Jean-Luc Mélenchon chercher à créer”, ajoute le politologue.
“Tout ça n’a pas d’importance”, assure sur France Info l’eurodéputé EELV David Cormand. Selon lui, “la réalité, c’est que c’est le pire score pour un parti présidentiel à une législative qui suit une élection présidentielle. Ça veut dire qu’il n’y a pas d’attente vraiment populaire par rapport à Emmanuel Macron”.
Cette bataille de chiffres apparaît surtout comme le dernier épisode d’une campagne particulièrement âpre entre une majorité présidentielle bousculée et une gauche en quête de cohabitation.
Selon les projections d’Ipsos/Sopra Steria pour France 24, la Nupes obtiendrait entre 150 et 190 sièges. De son côté, la République en marche et ses alliés (Ensemble!) devraient se contenter de 255 à 295, faisant craindre au gouvernement la perte de la majorité absolue à l’Assemblée nationale, soit 277 députés.
Un enjeu considérable qui pourrait tendre encore un peu plus le climat politique ces prochains jours et même au-delà du deuxième tour des élections législatives prévu le 19 juin.