Au terme d’une campagne marquée par l’union de la gauche derrière Jean-Luc Mélenchon, les élections législatives françaises, dont le premier tour se tiendra dimanche, apparaissent plus ouvertes que jamais. L’idée d’une cohabitation, jugée impensable il y a encore six semaines, est devenue un scénario plausible.
Du jamais vu. Pour la première fois depuis l’instauration du quinquennat et l’inversion en 2002 du calendrier électoral – plaçant les législatives dans la foulée de la présidentielle – le président de la République tout juste élu pourrait ne pas obtenir de majorité absolue à l’Assemblée nationale, voire être contraint à une cohabitation.
Jusqu’à présent, l’élection présidentielle a toujours donné le ton, permettant de maintenir intacte la mobilisation de l’électorat du vainqueur pour les législatives tout en démobilisant les vaincus. Jacques Chirac en 2002, Nicolas Sarkozy en 2007, François Hollande en 2012, Emmanuel Macron en 2017 : tous ont obtenu sans grande difficulté, à la suite de leur accession à l’Élysée, une majorité à l’Assemblée nationale. Mais 2022 pourrait mettre un terme à la série.
Les projections en sièges des instituts de sondage donnent la coalition présidentielle Ensemble ! – qui regroupe Renaissance (ex-La République en marche), le MoDem de François Bayrou et Horizons d’Édouard Philippe – en difficulté face à la gauche réunie sous la bannière de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) – au sein de laquelle figurent La France insoumise, Europe Écologie-Les Verts, le Parti socialiste et le Parti communiste.
Ensemble ! est ainsi crédité de 260 à 300 sièges, quand la Nupes pourrait en obtenir entre 175 et 215, selon la dernière projection de notre partenaire, Ipsos Sopra Steria, publiée jeudi 9 juin. Mais surtout, la dynamique est du côté de la gauche : sondages et projections n’accordent plus de majorité absolue – fixée à 289 députés – à la coalition présidentielle et ne cessent de réévaluer à la hausse le nombre de députés que pourrait obtenir la Nupes.
Dynamique en faveur de la Nupes
À “l’encéphalogramme totalement plat” qui caractérisait les rapports de force succède en effet “un début de dynamique plutôt en faveur de la Nupes et une érosion de Ensemble !”, souligne Brice Teinturier, directeur délégué d’Ipsos, cité par l’AFP.
Si bien que l’idée d’une cohabitation, jugée impensable il y a encore six semaines, est désormais envisageable. “Jean-Luc Mélenchon a réussi une opération de communication extraordinaire. Demander aux Français de l’élire Premier ministre, même si c’est un non-sens du point de vue constitutionnel, était une stratégie extrêmement habile qui lui a permis non seulement de prendre la place de Marine Le Pen comme opposant numéro 1 à Emmanuel Macron, mais aussi de changer le visage de la gauche française”, affirmait début mai le politologue Pascal Perrineau, professeur à Sciences-Po.
Le leader de La France insoumise, troisième à l’élection présidentielle avec 21,95 % des suffrages, est en effet parvenu à maintenir l’espoir auprès de l’électorat de gauche en lançant la campagne des législatives dès l’entre-deux-tours opposant Emmanuel Macron (27,85 % au premier tour) à Marine Le Pen (23,15 %), puis en réussissant l’union de la gauche sur son nom.
L’opération a tellement réussi que la Nupes, qui a mis sur la table un programme commun de gouvernement comportant 650 mesures, a été omniprésente dans les médias tout au long du mois de mai, profitant du double effacement du chef de l’État, à qui il a fallu trois semaines pour trouver sa Première ministre, et de Marine Le Pen.
La candidate d’extrême droite n’a pas fait des législatives une priorité, partant en vacances après sa défaite à la présidentielle puis affirmant qu’Emmanuel Macron obtiendrait quoi qu’il arrive une majorité. Pour le Rassemblement national, l’objectif sera donc modeste : obtenir le plus de députés possible, avec a minima une quinzaine d’élus pour former un groupe parlementaire.
Vent de panique à l’Élysée
Plus inaudible encore, le parti Les Républicains, qui comptait 136 députés dans la précédente législature, cherchera à limiter les pertes en comptant sur son ancrage local. Pessimistes, les projections lui accordent entre 35 et 55 sièges seulement.
C’est donc bien un duel entre la coalition présidentielle et la Nupes qui se profile. Un scénario que n’avait pas prévu Emmanuel Macron, par ailleurs affaibli par l’affaire Damien Abad et le chaos de la finale de la Ligue des Champions au Stade de France. Un vent de panique à l’Élysée qui a contraint le président à faire campagne dans la dernière ligne droite.
En déplacement dans le Tarn jeudi, Emmanuel Macron s’est affiché en chef de la majorité, exhortant les électeurs à donner “une majorité forte et claire” aux candidats Ensemble ! et se présentant comme le seul à pouvoir faire rempart aux “extrêmes” de gauche et de droite, renvoyant ainsi dos à dos Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen.
>> À lire : Les députés novices de 2017 : “Leur inexpérience les a pénalisés”
S’amusant de la “fébrilité” du camp présidentiel, Jean-Luc Mélenchon a critiqué, lors d’une conférence de presse express jeudi après-midi, la campagne menée par Emmanuel Macron. “Ce n’est pas au président de la République de mener la campagne législative que ses amis sont incapables de mener, c’est à la cheffe du gouvernement”, a-t-il affirmé, qualifiant la coalition présidentielle de “radeau de la Méduse”.
À deux jours du premier tour, bien malin celui qui sera en mesure de prédire les résultats. Une seule donnée paraît certaine : l’abstention sera à n’en pas douter l’une des clés du scrutin, pour lequel près de 6 300 candidats sont en lice pour 577 sièges. Elle pourrait atteindre de nouveaux records – entre 52 % et 56 % selon les estimations, bien au-delà des 51,3 % du 11 juin 2017.