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Ce que l’on sait des images du supposé complot néonazi ukrainien contre un célèbre journaliste russe

Le 25 avril, la Russie a annoncé que son service de renseignement, le FSB, avait empêché la tentative d’assassinat du présentateur de télé progouvernement Vladimir Solovyov, par un groupe néonazi russe, commandité par les autorités ukrainiennes. Une vidéo de l’arrestation filmée par le FSB a été diffusée dans la foulée par les médias russes. Les réseaux sociaux ont tourné rapidement ces images en dérision, laissant entendre qu’il s’agirait d’une mise en scène maladroite. Pour en savoir davantage, la rédaction des Observateurs a demandé à des spécialistes de l’extrême droite russe de décrypter ces images.

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Le 25 avril, le président russe Vladimir Poutine a annoncé que le FSB avait déjoué un complot du groupe néonazi  NS/WP (“National Socialism/White Power”) visant à assassiner le journaliste vedette pro-Kremlin Vladimir Solovyov, et commandité par le SBU, le service de renseignement ukrainien.

Peu de temps après, les télévisions d’État russes ont diffusé une vidéo de plus de sept minutes censée montrer l’arrestation. Des images qui leur auraient été transmises par le FSB. Le service de renseignement russe a en outre annoncé sur son site Internet avoir arrêté des membres du groupe néonazi et avoir saisi du matériel et des armes, précisant que les membres de ce groupe étaient passés aux aveux. Au total, six personnes auraient été arrêtées.

Sur ces images, on voit des agents du FSB faire irruption dans un appartement, arrêter plusieurs hommes qui l’occupent, puis fouiller le lieu et saisir divers objets. 

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Certains des hommes arrêtés portent des tatouages avec des symboles néonazis (à 5’57”). 


Vers la fin de la vidéo, à 5’21”, une série de photos est diffusée, notamment celle d’un T-Shirt frappé d’une croix gammée, des armes à feu et un manifeste écofasciste neopaïen rédigé par Aleksey Dobrovolsky, un idéologue néonazi.

Des pistolets (1’23), une photo d’Adolf Hitler (5’50), des symboles nazis (4’08) et ce qui semble être des sachets contenant de la drogue (5’40”) sont également filmés. 

Extrait de la vidéo de Ria Novosti montrant un collier avec une croix gammée gravée sur la pierre (à 4’08)
Extrait de la vidéo de Ria Novosti montrant un collier avec une croix gammée gravée sur la pierre (à 4’08) © Observateurs

Extrait de la vidéo de Ria Novosti montrant un sachet de drogue retrouvé dans le logement à 5’40
Extrait de la vidéo de Ria Novosti montrant un sachet de drogue retrouvé dans le logement à 5’40 © Observateurs

Extrait de la vidéo de Ria Novosti montrant un manifeste néopaïen écrit par un idéologue néonazi retrouvé dans le logement à 5’40
Extrait de la vidéo de Ria Novosti montrant un manifeste néopaïen écrit par un idéologue néonazi retrouvé dans le logement à 5’40 © Observateurs

Sur Twitter, des utilisateurs mettent rapidement en doute ces images et parlent de mise en scène. Pour eux, le nombre de symboles nazis “retrouvés” dans le logement, et l’incongruité de certains objets saisis, comme des jeux vidéos “Sims 3”, font douter de la véracité de ces images.

Extrait de la vidéo de Ria Novosti montrant des jeux vidéos “Sims 3” retrouvé dans le logement à 5’31
Extrait de la vidéo de Ria Novosti montrant des jeux vidéos “Sims 3” retrouvé dans le logement à 5’31 © Observateurs

Pour en savoir davantage sur cette vidéo, la rédaction des Observateurs de France 24 a interrogé deux spécialistes de l’extrême droite en Russie et en Ukraine.

“Il y a des choses franchement absurdes […] comme la perruque verte, les trois copies du jeu vidéo Sims.”

Michael Colborne, journaliste et chercheur à Bellingcat, est spécialiste des mouvements d’extrême-droite en Ukraine :

“Je pense qu’il s’agit d’un groupe réel, ou de quelques individus réels, mais pas d’un vrai complot.

J’ai vu beaucoup de matériel, des vêtements aux livres en passant par les photos et la propagande, de groupes d’extrême droite et néonazis de Russie, d’Ukraine et du Bélarus, voire d’Europe centrale et orientale. Tout dans les photos publiées dans cette vidéo semble faux, trop superficiel, comme si l’on essayait d’inventer des preuves d’un groupe néonazi. 

À mon avis, on peut supposer qu’il s’agit probablement d’une “false flag-operation” [une opération militaire dans laquelle des éléments sont utilisés pour faire accuser un autre camp], et d’une opération particulièrement incompétents. 

“La vidéo montre un T-shirt [à 4’10] d’un groupe néonazi basé en Ukraine et dirigé par des Russes (appelé moloth, ou m8l8th), le leader est un vétéran d’Azov, originaire de Russie. C’est un T-shirt qui n’est pas difficile à acheter en ligne.

Extrait de la vidéo de Ria Novosti montrant un T-shirt avec les inscriptions “M8L8TH’, retrouvé dans le logement à 4’10
Extrait de la vidéo de Ria Novosti montrant un T-shirt avec les inscriptions “M8L8TH’, retrouvé dans le logement à 4’10 © Observateurs

Il y a un pli au milieu du T-shirt [rouge] et il a l’air très neuf….

Il y a quelques éléments qui me font penser que c’est très étrange, pour ne pas dire plus. Il y a des choses franchement absurdes […] comme la perruque verte, les trois copies du jeu vidéo Sims, par exemple”.

Extrait de la vidéo à 5’33 relayée par les médias russes, montrant les objets saisis par le FSB lors de l'arrestation
Extrait de la vidéo à 5’33 relayée par les médias russes, montrant les objets saisis par le FSB lors de l’arrestation © Observateurs

Une arrestation “reconstituée” ?

Pour Adrien Nonjon, chercheur à l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO), spécialiste de l’Ukraine, de l’extrême droite et du nationalisme ukrainien, l’arrestation ressemble à une reconstitution : 

” Tout est propre dans cette arrestation. La façon de rentrer dans l’appartement n’est pas naturelle, la personne leur ouvre sans regarder par le judas [car il ouvre immédiatement après que le FSB frappe à la porte, à 0’08, NDLR]. Les forces du FSB rentrent assez lentement, alors que ce sont sensés être des gens dangereux, armés. D’où cette idée de reconstitution.

En Russie, et ce même avant la guerre, le néonazisme est passible de sanctions. Pour arrêter des membres de ces groupes et leur donner un jugement expéditif, on brandit la menace terroriste, et on rajoute des objets à charge sur la scène de crime, comme des éléments de ces milieux ultranationalistes”.

Extrait de la vidéo publiée par l’agence de presse russe Ria Novosti montrant ce qui semble être des membres du FSB frapper à la porte du domicile.
Extrait de la vidéo publiée par l’agence de presse russe Ria Novosti montrant ce qui semble être des membres du FSB frapper à la porte du domicile. © Observateurs

Adrien Nonjon observe également que le FSB a filmé ce qui semble être de la drogue retrouvée sur les lieux. Pourtant, le groupe néonazi cité par le FSB est connu pour militer contre l’usage de la drogue. 

“Le T-shirt a un style assez straight edge [un sous-genre musical du punk hardcore dont les adhérents ne consomment pas de drogue]. Enfin le livre vert sur le lit [à5’31] est un manifeste éco-fasciste neopaïen d’un prêtre qui condamnait l’usage de la drogue. Drôles de vêtements et de lectures pour quelqu’un qui prendrait de la drogue dure. C’est d’autant plus bizarre que ce serait des membres russes du NS/WP dont le programme est antidrogue”.

Le T-shirt “straight edge” qui apparaît dans la vidéo publiée par l’agence de presse russe Ria Novosti le 25 avril.
Le T-shirt “straight edge” qui apparaît dans la vidéo publiée par l’agence de presse russe Ria Novosti le 25 avril. © Observateurs

Le NS/WP est un groupe néonazi russe, créé en 2009 et considéré comme l’un des gangs néonazis les plus violents du pays. En 2014, le groupe avait été condamné pour dix meurtres.

Contactée par la rédaction des Observateurs de France 24, la chaîne Telegram du groupe néonazi russe NS/WP n’a pas souhaité s’exprimer sur cette arrestation mais a confirmé que les personnes arrêtées font partie du groupe.

Attention à ces éléments qui “prouveraient” que la vidéo est un faux

Certains éléments de la vidéo, qui étonnent également, ne permettent pourtant pas d’en conclure à une vidéo montée. Des internautes et enquêteurs en ligne ont souligné le fait étrange que des jeux vidéo “Sims 3” aient été placés avec les objets à charge montrés par le FSB. D’autres internautes ont remarqué sur la vidéo qu’un livre, dont la couverture n’est pas visible sur les images, porte la mention “signature illisible”. Ils y ont vu l’erreur d’un membre du FSB, qui aurait appliqué une instruction de façon littérale, et qui aurait écrit en toutes lettres “signature illisible” au lieu de signer d’un trait inintelligible.   


Aric Toler, chercheur à Bellingcat, dément cette hypothèse. En effet, si l’on cherche sur Google “signature illisible”, on peut voir qu’il s’agit d’une manière standard pour le groupe néonazi NS/WP de signer ses publications sur les réseaux sociaux.

Le SBU, service de renseignement ukrainien, a démenti avoir commandité une telle opération. Dans un communiqué du 25 avril, le service de renseignement a déclaré qu’il “n’a pas l’intention d’assassiner V. Solovyov” et “n’a pas l’intention de commenter sérieusement les nouveaux fantasmes des services de renseignement russes, qui inventent des opérations pour un public russe”.

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