La crise du Covid-19 a eu des effets sur d’autres maladies, notamment la rougeole dont les cas sont en forte augmentation dans le monde depuis le début de l’année 2022. En France, la vaccination contre cette maladie très contagieuse a baissé de 10 % en 2021. Pourtant, elle représente toujours un risque, avec des cas sévères et une circulation importante constatés ces dernières années.
Les cas explosent dans le monde, la vaccination recule. On ne parle pas là du Covid-19, mais bien de maladies dites “classiques” comme la rougeole. Si classique qu’on en oublie parfois leur dangerosité. Or, sur les deux premiers mois de l’année 2022, les cas signalés de cette infection virale extrêmement contagieuse ont bondi de 80 % dans le monde, ont averti, mercredi 27 avril, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’Unicef.
En cause, un important retard pris dans la vaccination des enfants lors de la pandémie de Covid-19 faisant craindre aujourd’hui l’apparition de graves épidémies de rougeole qui pourraient, selon les organisations onusiennes, toucher des “millions d’enfants” en 2022.
Au cours des douze derniers mois, 21 épidémies de rougeole ont été constatées, principalement en Afrique et dans la région de la Méditerranée orientale. Parmi les pays les plus touchés, la Somalie, le Yémen, le Nigeria, l’Afghanistan et l’Éthiopie.
En France, la vaccination contre la rougeole est obligatoire, (vaccin ROR – rougeole, oreillons, rubéole), pourtant les injections ont baissé de 10 % en 2021. Un recul, amorcé dès le début de la crise sanitaire liée au Covid-19, qui s’explique par plusieurs facteurs et pourrait conduire à des reprises épidémiques locales.
Un décalage des vaccinations pédiatriques dès le confinement
Hormis la vaccination, pas de moyen de prévenir efficacement la rougeole, rappelle Mircea Sofonea, maître de conférences en épidémiologie et évolution des maladies infectieuses à l’Université de Montpellier. “La rougeole est considérée comme le virus à transmission respiratoire le plus contagieux, avec un nombre de reproduction de base (nombre moyen d’infectés secondaires par personne contagieuse) estimé entre 12 et 18”, précise l’épidémiologiste.
Ainsi, la vaccination doit porter sur une fraction très élevée de la population (95 %), et doit être effectuée dans les premières années de la vie, car c’est avant cinq ans (puis après vingt ans) que les risques sont les plus importants.
Au début de la crise sanitaire liée au Covid-19, le confinement et la peur d’être contaminé par ce nouveau virus ont contribué à décourager les patients de se rendre chez leur médecin, ce qui a mené à une baisse généralisée de la vaccination, explique Mircea Sofonea. “Il y a eu une forme de décalage des vaccinations pédiatriques à partir de ce moment”, dit-il, précisant que ce phénomène est loin d’être propre à la France.
Aussi, selon lui, si la campagne pour la dose de rappel contre le Covid-19 et la vaccination contre la grippe saisonnière, à l’automne 2021, ont été menées avec soin, il n’en a pas été de même concernant la vaccination contre les autres maladies, dont la rougeole. “Il y a eu un focus très important sur le Covid-19, ce qui explique ce décalage et cette baisse de la vaccination” contre les autres maladies.
Or, “la rougeole est la première des maladies qui va rendre ce décalage de vaccination visible”, poursuit-il. “Dès qu’il y a une baisse, il y a une reprise épidémique qui s’observe”, développe Mircea Sofonea. Un phénomène déjà observé à l’échelle locale, notamment aux Pays-Bas où une baisse de la couverture vaccinale dans des communautés protestantes orthodoxes anti-vaccins ont conduit à une baisse locale de l’immunité collective, et donc à des reprises épidémiques récurrentes de rougeole.
“C’est ce qu’on observe aujourd’hui à l’échelle mondiale”, ajoute l’épidémiologiste, “parce que dans chaque pays, vous avez eu une baisse de la vaccination qui, d’un coup, fait remonter le potentiel de contagiosité de la rougeole”.
Le ROR, touché par la méfiance à l’égard des vaccins ?
En France, 10 % de vaccination en moins en 2021. C’est peu par rapport à d’autres pays, mais tout de même, précise Mircea Sofonea, “la rougeole représente toujours un risque dans la mesure où l’on a vu des cas sévères et une circulation importante ces dernières années: la situation de la rougeole en France n’a jamais vraiment été réglée, et elle est toujours à risques”.
Après les confinements et la peur d’être contaminé par le coronavirus, la campagne de vaccination contre le Covid-19 peut, elle aussi, avoir joué un rôle dans cette baisse des vaccinations contre la rougeole. Le scepticisme, voire le rejet, à l’égard du vaccin contre le Covid-19 (plus encore dès lors qu’il a été question de l’injecter aux enfants) a pu alimenter la méfiance à l’égard d’autres vaccins destinés aux plus jeunes.
“La France, par rapport à d’autres pays comme le Portugal ou l’Espagne, n’a pas une politique aussi volontariste que ses voisins européens pour ce qui relève de la vaccination anti-SARS-CoV-2 pédiatrique”, explique Mircea Sofonea, qui évoque des niveaux de couverture vaccinale plus faibles. “Au moment des fêtes de fin d’année, au lieu de mettre en avant la vaccination pour les enfants, on s’est retrouvé avec un protocole scolaire de prévention : cela a créé de la méfiance vis-à-vis de la vaccination pédiatrique, ce qui est dommage parce que ces deux vaccins n’ont rien a voir”, rappelle l’épidémiologiste. “Le ROR fonctionne extrêmement bien contre la rougeole et est inoffensif ; le vaccin contre le SARS-CoV-2 n’est pas plus dangereux mais il est nouveau, et cela participe à une crainte de la population concernant les risques à long terme”.
Reste qu’aujourd’hui, le décalage dans les prises de rendez-vous pour la vaccination contre la rougeole crée transitoirement “un appel d’air pour la rougeole qui circule à bas bruit”, explique Mircea Sofonea. Face à ce phénomène, le virus peut commencer à se propager localement. “C’est inquiétant”, achève-t-il, “parce que la rougeole est une maladie qui peut tuer en l’absence de soins : entre 1 à 2 % de létalité, ce qui correspond à une estimation plus importante que celle du Covid-19 initial.”