Des négociations sont en cours au Burkina Faso entre des leaders communautaires et des groupes armés locaux pour tenter de sortir de “l’impasse” des violences jihadistes qui gangrènent le pays depuis 2015.
Des leaders communautaires et des combattants de groupes armés locaux ont entamé des pourparlers à l’issue incertaine au Burkina Faso, avec l’aval de la junte militaire qui a pris le pouvoir dans ce pays confronté à la violence jihadiste depuis 2015.
Début avril, la junte qui a renversé le 24 janvier le président élu Roch Marc Christian Kaboré, a annoncé la création de “comités locaux de dialogue” avec des groupes burkinabè n’ayant pas de liens avec Al-Qaïda et l’organisation État islamique (EI) qui déstabilisent par la violence le Mali, le Niger et le Burkina depuis plusieurs années.
Au Burkina seul, les violences jihadistes ont fait en sept ans plus de 2 000 morts et contraint au moins 1,8 million de personnes à fuir leurs foyers.
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Quand les attaques jihadistes ont débuté, l’ennemi “traversait essentiellement les frontières”, note François Zoungrana, commandant de l’Unité spéciale d’intervention de la gendarmerie nationale (USIGN), fer de lance dans la lutte antijihadiste.
“Actuellement, l’ennemi est essentiellement composé de citoyens burkinabè” et “est très souvent invisible et confondu à la population”, affirme-t-il, ce qui “oblige à repenser la guerre, la façon de mener la guerre”.
Les services de renseignement ont dénombré une dizaine de “groupes endogènes” nés au Burkina et n’ayant a priori pas ou plus de liens avec les organisations transnationales que sont Al-Qaïda et l’EI.
Ces groupes sont “une sorte de métastase du phénomène terroriste” qui contrôle “des pans entier du territoire” et obligent “les autorités à explorer d’autres options comme le dialogue, au lieu du tout militaire”, note Drissa Traoré, enseignant et analyste politique.
Sortir de “l’impasse”
Ce constat, ainsi que la volonté exprimée par certains jeunes combattants de ces groupes de parler à leurs leaders traditionnels, religieux et coutumiers, a conduit à la mise en place des comités de dialogue, selon le ministre burkinabè de la Réconciliation nationale, Yéro Boly.
“La raison de ce dialogue, c’est qu’on est dans l’impasse” a-t-il souligné récemment, en ajoutant : “Le chemin dans lequel ils se sont engagés est un chemin sans avenir, c’est le constat fait par ces jeunes” combattants.
Ce sont eux qui, “détenant des armes et évoluant au sein de groupes armés contre leurs propres villages (…) ont manifesté le désir de parler”. “Le dialogue s’est instauré et suit son cours”, a-t-il ajouté.
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Selon une source sécuritaire, “il y a déjà eu des contacts entre des combattants de groupes armés et des leaders communautaires dans les zones à fort défi sécuritaire”, essentiellement dans le nord et l’est où sont concentrées les attaques.
Signe apparent du début de pourparlers, des combattants ont levé leur blocus instauré depuis février sur Djibo, chef-lieu de la province du Soum, dans le nord, permettant à l’armée de convoyer le 20 avril vers la ville une centaine de camions de vivres et de marchandises diverses, selon des habitants.
Le dialogue doit préparer un retour des combattants dans leurs localités pour y reprendre des activités comme l’élevage.
“Combien sont ces jeunes qui désirent déposer les armes ? Parlent-ils en leur nom ou celui des groupes armés ?”, s’interroge cependant Drissa Traoré, pour qui ils représentent une “faible minorité au regard de la dizaine de groupes jihadistes actifs sur le sol burkinabè”.
Non à “l’impunité”
Selon lui, “il est quasi certain que ce dialogue ne concerne pas les deux grandes organisations que sont l’État islamique et Al-Qaïda, mais plutôt des petits groupuscules”.
Il estime qu’il convient de “faire la part entre les combattants des groupes armés, les bandits de grands chemins, les contrebandiers et les leaders terroristes”, car “on ne négocie pas avec tout le monde, notamment ceux qui ont les mains tachées de sang, au risque de dresser le lit d’une impunité qui va davantage affecter la cohésion sociale et déboucher sur d’autres crises”.
“Les populations veulent le retour de la paix et pouvoir rejoindre leurs localités qu’elles ont dû fuir. Mais tous se demandent comment cohabiter avec des gens qui ont tué vos parents, vous dépouillant ensuite de tout”, renchérit Moussa Diallo, membre de la coordination des jeunes du Sahel.
Selon Yéro Boly, il n’est pas question pour l’État de “dialoguer directement avec des chefs terroristes encore moins de négocier”, en notant que parallèlement au dialogue, l’armée “continue son travail” par opérations militaires antijihadistes.
Moussa Diallo se rappelle qu’il y a déjà eu par le passé “des dialogues informels menés par les communautés locales” qui n’ont abouti qu’à “une brève accalmie”, car “certains engagements” n’ont pas été tenus. “Pour finir, ces personnes reprennent les armes et deviennent encore plus violentes”.
“Il faudra aussi que les autorités pensent aux jeunes des localités qui n’ont pas rejoint les groupes armés, sinon ce sera une sorte d’injustice”, ajoute-t-il avant de s’interroger : “Qui sait si ces jeunes qui seront délaissés au profit des anciens combattants, ne vont pas à leur tour prendre des armes ?”
Avec AFP