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Guerre en Ukraine : Joël Lautier, une star française des échecs sur la liste noire américaine

Les États-Unis ont ajouté en mars un Français, Joël Lautier, à la liste des personnes visées par les sanctions contre la Russie, ont rapporté Les Échos mercredi. Une décision qui peut sembler surprenante et qui touche une ex-star tricolore des échecs.

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C’est un nom qui ressort du lot. Sur les plus de 340 individus sanctionnés par les États-Unis le 24 mars en lien avec la guerre en Ukraine, un seul n’est pas russe, mais français : Joël Lautier, un ancien champion international d’échecs devenu conseiller en fusion-acquisition.

Son inscription sur cette liste noire américaine qui n’en finit pas de s’allonger est passée totalement inaperçue jusqu’à ce que le quotidien Les Échos l’évoque dans un article publié mercredi 20 avril. Ce dirigeant d’un cabinet de conseil en fusions et acquisitions apparaît en réalité deux fois sur la liste des sanctions américaines : une fois sous son nom français (Joël Raymond Lautier) et une fois sous la version “russifiée” de son patronyme, Zhoel Raimon Lote.

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Pourquoi Joël Lautier ?

Il a même droit à une mention spéciale du Trésor américain puisqu’il est cité à part dans un communiqué de presse faisant état des efforts de Washington pour cibler “l’élite des proches de Vladimir Poutine”. Ce Français de 48 ans y est mis presque dans le même sac qu’une quinzaine de riches Russes, dont Gennady Timchenko, un homme d’affaires et ami de Vladimir Poutine depuis le début des années 1980.

>> À lire aussi : Guerre en Ukraine : viser les oligarques russes, une stratégie condamnée à faire pschitt ?

Presque – car Joël Lautier n’est pas visé par les sanctions spécifiquement pour s’être enrichi grâce à sa proximité avec le maître du Kremlin, contrairement aux oligarques qui se retrouvent dans le viseur des autorités américaines et européennes. Il doit ce discutable privilège au fait qu’il est devenu, en 2020, directeur non-exécutif au conseil d’administration et membre du comité de surveillance de la banque russe Sovcombank.

Cet établissement financier, l’une des banques d’importance “systémique” en Russie, est soupçonné d’avoir aidé l’élite russe à s’enrichir illégalement. Elle a été l’une des premières cibles des sanctions américaines, dès le début de l’invasion russe en Ukraine, le 24 février.

Un mois plus tard, Washington s’est donc décidé à accentuer la pression sur Sovcombank en ciblant individuellement tous ses dirigeants, y compris les membres du conseil d’administration.

Selon Les Échos, il est “bizarre” que Joël Lautier subisse ainsi les foudres de Washington. D’abord, souligne le quotidien, parce qu’il avait démissionné de son poste à la Sovcombank le 25 février, au lendemain de l’inscription de cette banque sur la liste des sanctions. Alors certes, cette décision n’est effective qu’après “une assemblée générale [des actionnaires]”, souligne Les Échos. Depuis les sanctions américaines, toute référence aux membres du conseil d’administration a disparu du site de la banque.

Il semble, en outre, y avoir eu deux poids deux mesures à Washington. Joel Lautier a été sanctionné officiellement parce qu’il était membre du conseil d’administration de Sovcombank. Mais l’Allemande Regina von Flemming est devenue directrice non-exécutive de la banque russe en 2020, occupait encore ce poste juste avant le début de la guerre… et n’apparaît pourtant pas sur la liste des sanctions américaines. Contacté par France 24, le Trésor américain n’a pas commenté cet “oubli”.

De champion d’échecs à homme d’affaires en Russie

Joël Lautier, contacté par Les Échos, n’a, de son côté, pas souhaité réagir à son inscription sur la liste des sanctions. Elle signifie que les éventuels avoirs qu’il détient aux États-Unis ou dans une banque américaine peuvent être saisis, et qu’il ne peut pas faire affaire avec des Américains.

Ironiquement, Joël Lautier a été mis sur la liste des sanctions américaines le même jour qu’Anatoli Karpov, l’ex-champion du monde d’échecs qui, devenu député russe, a voté en faveur de la guerre en Ukraine. Ces deux-là se sont affrontés par le passé à plusieurs reprises… sur l’échiquier.

Le tropisme russe du Français vient en partie de sa carrière échiquéenne. Jusqu’en 2006, Joël Lautier était, en effet, la plus grande star tricolore des échecs. Il a été champion du monde junior, a participé à plusieurs reprises au tournoi des candidats au titre de champion du monde. Joël Lautier est aussi l’un des très rares joueurs à avoir un score positif (2 victoires, 1 défaite, 7 nuls) contre la légende vivante des échecs Garry Kasparov.

Son amour du plateau à 64 cases l’a amené à de nombreuses reprises en Russie, qui reste le pays historiquement le plus important pour les échecs. Il a aussi appris la langue en dévorant les livres d’échecs des grands maîtres russes.

Et finalement, lorsqu’il prend sa retraite des échecs en 2006 pour se tourner vers la finance, “la Russie m’a offert la meilleure passerelle pour passer des échecs aux affaires !”, avait-il déclaré en 2016 aux Échos. Il profitait alors aussi de cette tribune médiatique pour dénoncer, deux ans après l’annexion de la Crimée par la Russie, la “diabolisation de la Russie en Europe” et appelait à tisser davantage de liens commerciaux avec Moscou.

Il fonde dès 2006 son cabinet de conseil en fusion et acquisition RGG (Russia goes global – la Russie s’ouvre au monde) qui se spécialise dans l’achat et la vente d’actifs en Russie. En parallèle, il suit une formation à Skolkovo, la principale école de management de Moscou.

Depuis lors, il a conseillé plusieurs grands groupes russes dans des secteurs aussi divers que le pétrole, l’électricité ou encore le domaine pharmaceutique. Outre son rôle à la Sovcombank, Joël Lautier a aussi été directeur non-exécutif pour Evropeyskaya Elektrotekhnica, une société russe de matériel électronique.

C’est, peut-être, cette accumulation qui a fini par retenir l’attention du Trésor américain. L’ex-champion des échecs à trop poussé ses pions en Russie en oubliant l’une des règles d’or de ce jeu : les pions sont les seules pièces qui ne peuvent revenir en arrière.

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