Composée de juges centrafricains et internationaux, la Cour pénale spéciale (CPS), créée en 2015 avec le soutien de l’ONU, ouvre son premier procès mardi à Bangui après un long parcours semé d’embûches. Si cette nouvelle juridiction constitue pour certains un modèle à exporter dans d’autres pays en guerre civile, elle fait aussi l’objet de nombreuses critiques pour son manque d’efficacité.
Elle aura la lourde tâche de faire la lumière sur d’éventuels crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis depuis 2003 en Centrafrique. La Cour pénale spéciale (CPS) entre dans le vif du sujet, mardi 19 avril, à Bangui, avec la tenue d’un premier procès.
Sur le banc des accusés : Issa Sallet Adoum, Ousman Yaouba et Tahir Mahamat. Membres d’un des plus puissants groupes armés – les 3R, pour “retour, réclamation et réhabilitation” – qui terrorisent les populations depuis des années, ils sont soupçonnés d’avoir participé au massacre de 46 civils dans des villages du nord-ouest du pays.
Ce premier procès constituera un test crucial pour la CPS, tribunal hybride composé de magistrats nationaux et internationaux, originaires notamment de France, du Togo et de République démocratique du Congo. Pour l’ONG Human Rights Watch, la CPS doit permettre “d’élargir le champ des personnes qui seront amenées à rendre des comptes pour les atrocités commises”, au-delà des deux enquêtes en cours menées par la Cour pénale internationale dans ce pays ravagé par des décennies de guerre civile et dont les deux tiers du territoire sont contrôlés par des groupes armés.
Le défi s’annonce considérable pour cette juridiction qui peine à affirmer son autorité face au président Faustin-Archange Touadéra. Réélu fin 2020 dans un contexte d’insécurité croissante, le chef de l’État centrafricain est en froid avec les pays occidentaux, qui l’accusent d’avoir livré le pays à la Russie en échange de la protection des miliciens du groupe Wagner.
“L’évasion” d’Hassan Bouba
Un épisode illustre de manière frappante la défiance qui existe entre la CPS, soutenue par l’ONU et appuyée par la Minusca, et le pouvoir centrafricain. En novembre dernier, le ministre de l’Élevage, Hassan Bouba, est arrêté par des policiers de la CPS. Cet ex-chef rebelle est soupçonné d’avoir joué un rôle dans l’attaque d’un camp de déplacés en novembre 2018 qui s’était soldée par la mort d’au moins 112 villageois, dont 19 enfants.
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Alors qu’il doit être présenté à un magistrat, la garde présidentielle empêche l’accès au centre de détention et le ministre est finalement raccompagné à son domicile. “Une évasion organisée”, s’insurgent alors des défenseurs des droits humains dans une tribune parue dans le journal Le Monde.
Comble de l’histoire, Hassan Bouba est décoré quelques jours plus tard de la médaille de l’Ordre du mérite par le président Touadéra, ce qui suscite un tollé au sein de l’opposition. Interrogé par Jeune Afrique, l’entourage du chef de l’État dénonce à l’époque “une “instrumentalisation” de la CPS et “une “manipulation”, assurant que le ministère de la Justice n’a pas été informé de la procédure.
“La CPS se heurte à des obstacles dressés par le pouvoir, parfaitement illustrés par l’affaire Hassan Bouba”, déplore Nicolas Tiangaye, avocat et porte-parole de la Coalition de l’opposition démocratique 20-20 (COD 20-20), qui regroupe la quasi-totalité des partis de l’opposition non armée.
Cet épisode rocambolesque soulève de sérieux doutes sur la volonté du pouvoir centrafricain de lutter contre l’impunité, demande pourtant fondamentale de la population lors du Forum de Bangui, vaste consultation populaire organisée en 2015 pour trouver les voies du dialogue et de la réconciliation dans ce pays meurtri.
Faire exécuter les mandats d’arrêts, un défi
Si la CPS est louée par certains comme un modèle de justice à exporter dans d’autres pays en pleine guerre civile ou qui s’en relèvent, d’autres doutent de son efficacité tant elle a tardé à ouvrir son premier procès et tant elle peine à faire respecter ses décisions.
“Les décisions des juges doivent être appliquées par d’autres entités, il y a au moins 25 mandats d’arrêt mais ni la Minusca, ni les autorités centrafricaines ne les exécutent alors que cela fait partie de leur mandat”, souligne Alice Banens, conseillère juridique à Amnesty International.
“La véritable question maintenant est de savoir si nos mandats, y compris ceux destinés aux gros poissons, seront exécutés”, admet auprès de l’AFP le président centrafricain de la Cour, Michel Landry Louanga.
Au-delà de ces difficultés, la CPS souffre d’une logistique défaillante qui explique en partie l’extrême lenteur de sa mise en place. La Cour doit faire beaucoup avec peu : disposant d’un budget de seulement 14 millions de dollars (environ 13 millions d’euros) en 2022, la juridiction a des moyens relativement limités.
“La situation de la CPS est particulière : c’est une juridiction qui fonctionne alors qu’il y a encore des affrontements. Nos détracteurs l’oublient”, plaide le président Louanga. “Malgré tout, nous réussissons à monter des procédures pour crimes de guerre, et ça n’arrive nulle part ailleurs. Il n’y a pas de comparaisons dans le monde.”
Avec AFP