En 2017, plus de la moitié de l’électorat de Jean-Luc Mélenchon avait fait barrage à l’extrême droite. Cinq ans plus tard, les électeurs de gauche semblent plus éparpillés que jamais et beaucoup refusent ou hésitent à glisser un bulletin Macron au deuxième tour de l’élection présidentielle.
Ils seront les arbitres du second tour de l’élection présidentielle : les électeurs de gauche sont déjà au cœur de toutes les attentions dans cette campagne d’entre-deux tours. Pour Emmanuel Macron, qui dispose d’une réserve de voix moins importante à droite que Marine Le Pen, convaincre à gauche est même une nécessité pour pouvoir l’emporter.
Or, selon un sondage réalisé le 10 avril par l’institut Ipsos Sopra Steria, les électeurs de la France Insoumise ne sont plus qu’un tiers à vouloir assurer la réélection du chef de l’État face à Marine Le Pen, contre un sur deux en 2017. Chez Benoît Hamon, ils avaient même été plus de 70 % à voter “Macron”.
“En 2017, j’avais glissé avec beaucoup de colère un bulletin Macron au deuxième tour. Cette fois-ci, cela va être humainement impossible de voter pour lui”, explique à France 24 Félix, 31 ans, designer à Dijon, qui pense voter blanc dans deux semaines.
Thierry, 36 ans, avait également fait le choix “républicain” de “faire barrage à l’extrême droite” il y a cinq ans. “Mais cette année, je n’irai pas voter au deuxième tour car j’estime que c’est la fois de trop. On nous propose juste de choisir entre la peste et le choléra”, ajoute ce sympathisant de la France Insoumise.
“Pour ma part, je suis convaincue que Le Pen est bien pire que Macron, mais en même temps je suis en total désaccord avec sa politique. J’ai vraiment l’impression que l’on me tord le bras”, souffle Coraline, 38 ans, rédactrice à Bordeaux, qui se dit confrontée à un véritable “cas de conscience” et hésite à voter blanc le 24 avril prochain.
À fronts renversés
Comme beaucoup d’électeurs de gauche, ils dénoncent un quinquennat “de droite” marqué par “la violence”, “l’absence de dialogue social” avec comme point de non-retour le traitement réservé aux Gilets jaune. Cinq ans d'”autoritarisme” et de “mépris de classe” qui, selon eux, auraient favorisé le renforcement de l’extrême droite. “Cela fait cinq ans que Macron explique que Marine Le Pen est sa seule ennemie. C’est lui qui a voulu instaurer ce clivage progressiste-conservateur et il l’a très bien fait”, estime Félix.
L’abstention, qui profiterait potentiellement à Marine Le Pen, “est un risque pesé”, assure Thierry. “Si malheureusement elle passe, elle n’aura jamais de majorité à l’Assemblée nationale. Au final, LREM sera quand même au pouvoir”.
Dans ce contexte de défiance vis-à-vis du chef de l’État sortant, le front républicain destiné à faire barrage à l’extrême droite ne semble jamais avoir été aussi fragile. Si la grande majorité des candidats malheureux ont appelé à voter Emmanuel Macron, ou tout du moins à n’accorder aucune voix à Marine Le Pen, “les directives des états-majors nationaux n’ont que peu de poids sur le comportement des électeurs”, rappelle Claude Weill, éditorialiste à Nice Matin, sur l’antenne de France 24.
Selon plusieurs sondages, entre un quart et un tiers des électeurs de Jean-Luc Mélenchon pourraient même voter Marine Le Pen. Consciente du rejet suscité par la personnalité du président-candidat au sein d’une partie de l’électorat de gauche, Marine Le Pen tente de constituer un front anti-Macron dans cette campagne d’entre-deux tours. Lors de son discours, au soir de sa qualification, la candidate du Rassemblement national a notamment invité “tous ceux qui n’ont pas voté” pour Emmanuel Macron à “la rejoindre”.
“Personnellement, je ne voterai pas pour Marine Le Pen à cause de l’histoire de son parti qui a prôné le racisme et la xénophobie, mais je comprends que des gens se disent : au moins chez Marine Le Pen, il y a un volet social dans son programme”, affirme Éric, 55 ans, qui s’abstiendra au deuxième tour. “En 2017, j’ai pu croire que Macron était peut-être mieux que Le Pen. Aujourd’hui, je me demande qui est le pire des deux”.
Emmanuel Macron pris au piège du “en même temps”
Pour tenter de mobiliser à gauche, le candidat-président multiplie les signaux envoyés à l’électorat populaire. Emmanuel Macron a même consenti à “bouger” sur son projet d’âge de départ à la retraite à 65 ans et entrouvert la porte à un âge de départ à 64 ans. Une concession qui pourrait en appeler d’autres dans cet entre-deux tours.
Mais le pari est risqué pour le président sortant. Contraint d’adoucir son programme pour éviter de braquer les électeurs de gauche, Emmanuel Macron doit aussi ménager l’électorat de droite, qui a massivement voté pour lui au premier tour. “Il y aura des choix à faire”, résume Jérémie Peltier, directeur des études de la fondation Jean Jaurès. “Est-ce que l’électorat de droite du premier tour peut considérer un reniement comme valant abstention pour le second tour ou est-ce qu’il faut aller chercher les électeurs ayant voté Jean-Luc Mélenchon ?”
“Le vote utile (au premier tour) a amené sur la candidature de Mélenchon des gens qui ne sont pas Mélenchonistes : des socialistes en déshérence ou des écologistes déçus. Dans cette frange là, ce sera plus facile de voter contre Marine Le Pen que la fraction vraiment dure de la France Insoumise”, analyse de son côté Claude Weill.
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Cependant, les stratèges de la campagne du chef de l’État savent que des mots ne seront pas suffisants pour convaincre les plus réticents à glisser un bulletin Macron. “S’il renonce à certaines de ces mesures phares comme la retraite à 65 ans ou le conditionnement du RSA, cela pourrait me faire réfléchir”, reconnaît Éric. “Il faudrait des engagements clairs notamment sur l’écologie, mais on en est très loin”, abonde Félix.
Pour d’autres en revanche, la rupture est consommée et le choix définitif. “En ce qui me concerne, je ne changerai jamais d’avis”, explique Thierry. “Je n’ai plus aucune confiance en Emmanuel Macron”.