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Gaz russe : les pays baltes, fers de lance européens de l’autonomie énergétique

L’indignation mondiale suscitée par le massacre de Boutcha, dans le nord de l’Ukraine, a renforcé la pression exercée sur l’Europe pour qu’elle mette fin à ses importations de gaz russe. Après avoir montré la voie, la Lituanie et ses voisins baltes exhortent leurs partenaires de l’UE à les rejoindre pour mettre fin à tous les achats de gaz “toxique” de Moscou.

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Un charnier, des corps attachés, abattus à bout portant… Après le massacre de Boutcha, dans la banlieue du nord-ouest de Kiev, les dirigeants européens ont promis, lundi 4 avril, d’imposer de nouvelles sanctions à la Russie, qu’ils tiennent responsable.

Mais alors même qu’ils s’indignaient de l’horreur de ces images, il semblait peu probable qu’ils acceptent de mettre fin aux importations lucratives de gaz russe qui, selon les critiques, financent l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

Pourtant, la Lituanie l’a fait, elle, annonçant mettre fin à toutes ses importations de gaz russe.

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“À partir de maintenant, la Lituanie ne consommera plus un centimètre cube de gaz russe toxique”, a écrit, dimanche, Ingrida Simonyte, Première ministre du pays, sur Twitter, saluant son pays comme le premier membre de l’Union européenne (UE) “à refuser les importations de gaz russe”.


Cette annonce a été célébrée comme une étape importante de l’indépendance énergétique de cette ancienne république soviétique de 2,8 millions d’habitants. Elle a couronné un revirement remarquable pour un pays qui, en 2015, importait presque tout son gaz de Russie.

“Il y a des années, mon pays a pris des décisions qui nous permettent aujourd’hui de rompre sans douleur les liens énergétiques avec l’agresseur”, a ajouté le président lituanien, Gitanas Nauseda, dans un post séparé. “Si nous pouvons le faire, le reste de l’Europe peut le faire aussi !”

>>  En cas d’arrêt des exportations de gaz russe, “Moscou a plus à perdre que l’Europe”

Le terminal de gaz “Indépendance”

Comme ses voisins baltes, la Lituanie était autrefois fortement dépendante des importations d’énergie russes, mais la situation a radicalement changé dès 2014, lorsque le pays a lancé un terminal de gaz naturel liquide (GNL), judicieusement nommé “Indépendance”, dans la ville portuaire de Klaipeda.

“Nous avons compris, il y a longtemps, que dépendre d’une seule source, à savoir [le russe] Gazprom, était trop dangereux pour nous. Nous avons donc acheté ce terminal comme une sorte de police d’assurance”, explique Mauricas Zygimantas, économiste à l’institut financier Luminor Lietuva, basé à Vilnius, dans une interview accordée à France 24. 

“C’est un investissement très réussi”, ajoute-t-il. “Non seulement nous avons cessé de financer la Russie, mais désormais nous vendons aussi du gaz à nos voisins, la Lettonie et l’Estonie, et à partir du mois prochain, nous vendrons également du gaz à la Pologne.”

Si la Lettonie et l’Estonie ne disposent pas de leur propre terminal GNL, des discussions sont en cours pour en construire un en partenariat avec la Finlande. Entre-temps, l’exploitant de l’installation de stockage de gaz naturel de la Lettonie a déclaré qu’il comptait sur les réserves existantes pour mettre fin aux importations en provenance de Russie.

Selon Mauricas Zygimantas, la Lettonie a récemment repris le contrôle de ses infrastructures gazières, qui étaient auparavant entre les mains de Gazprom. Elle dispose donc de suffisamment de réserves pour tenir le coup jusqu’à la fin de l’année, et peut se permettre de rompre avec la Russie.

“Les États baltes ont compris très tôt que la Russie utilisait l’énergie comme un outil politique, nous ne voulions pas être acculés”, affirme-t-il, notant que les prix de l’énergie augmentent depuis bien avant la guerre en Ukraine. “La Russie a commencé la guerre de l’énergie l’été dernier, je suis étonné que les dirigeants de l’Europe occidentale n’aient pas vu cela plus tôt.”

Effet boomerang

Les trois États baltes ont été parmi les voix les plus fortes à demander à l’UE de mettre fin à sa dépendance à l’égard du pétrole et du gaz russes. Une semaine plus tôt, déjà, le président lituanien, Gitanas Nauseda, avait appelé ses partenaires européens à cesser d’acheter du carburant russe “car le régime du Kremlin utilise cet argent pour financer la destruction des villes ukrainiennes et les attaques contre des civils pacifiques”.

La Russie fournit environ 40 % des besoins en gaz de l’Europe. Cette part est encore plus importante dans des pays comme l’Allemagne, qui a été secouée par un débat sur la manière de mettre fin à une relation commerciale contribuant à financer l’effort de guerre du Kremlin.

Alors que l’Europe découvrait les images du massacre de Boutcha, dimanche, la ministre allemande de la Défense, Christine Lambrecht, a brisé un tabou de longue date en déclarant que l’UE devait discuter de l’interdiction de l’importation de gaz russe – avant d’être contredite par ses collègues du cabinet le lendemain.

“Le problème pour l’Europe est toujours le même : comment infliger une douleur à la Russie sans nous blesser nous-mêmes”, interroge Nicolas Mazzucchi, chercheur et spécialiste de l’énergie à la Fondation pour la recherche stratégique à Paris. “Si vous frappez le cœur stratégique du partenariat économique de l’Europe avec la Russie, il y a inévitablement un effet boomerang.”

Lorsqu’il s’agit de mettre un terme aux importations russes, les États baltes ont à la fois un avantage et une longueur d’avance sur le reste de l’Europe, ajoute Nicolas Mazzucchi.

“Les États baltes, ainsi que la Pologne, s’efforcent depuis de nombreuses années de réduire leur dépendance vis-à-vis de la Russie, notamment en ce qui concerne l’approvisionnement en gaz”, a-t-il déclaré. “Les trois États baltes sont également plus petits et moins peuplés que de nombreux autres membres de l’UE, avec des structures de consommation très différentes. Nous parlons d’une consommation de gaz relativement faible par rapport à des pays comme la France ou l’Allemagne.”

En mars dernier, les dirigeants de l’UE ont défini une stratégie qui pourrait réduire de deux tiers la dépendance à l’égard de cette source de carburant d’ici un an. Mais même cet objectif sera extrêmement difficile à atteindre, affirme Nicolas Mazzucchi.

“Pour approvisionner les États baltes, il faut trouver environ 10 à 12 millions de mètres cubes par an, c’est difficile mais faisable”, précise-t-il. “En revanche, lorsque l’UE déclare vouloir réduire de deux tiers ses importations de gaz russe, cela représente 100 milliards de mètres cubes. C’est une tout autre échelle et un tout autre problème économique et géopolitique. Nous n’avons pas 100 milliards de mètres cubes qui sont facilement disponibles”, poursuit le chercheur.

Par gazoduc ou par bateau

Si le gaz naturel ne manque pas dans le monde, le problème est de l’acheminer vers l’Europe, par gazoduc ou par bateau.

Une option serait d’augmenter les importations en provenance d’Azerbaïdjan, “mais cela impliquerait d’élargir le gazoduc existant ou d’en construire un nouveau”, explique Nicolas Mazzucchi, notant que la capacité de production de l’Azerbaïdjan est également beaucoup plus faible que celle de la Russie. Les gazoducs transportant le gaz algérien vers le sud de l’Europe offrent une autre option, “mais qui n’est pas idéale en matière de stabilité économique et géopolitique”, ajoute-t-il.

Dans l’ensemble, l’Europe devrait se garder de remplacer sa dépendance à l’égard de la Russie par une dépendance à l’égard d’un autre fournisseur, avertit le spécialiste de l’énergie, ajoutant que les expéditions de GNL offrent une meilleure chance de répartir le risque sur un ensemble de fournisseurs. À court terme, toutefois, ces approvisionnements ne suffiront pas à répondre à l’énorme demande de l’Europe.

Les États-Unis ont accepté d’expédier 15 milliards de mètres cubes supplémentaires de GNL à l’Europe d’ici à la fin de l’année, afin de fournir 50 milliards de mètres cubes par an jusqu’en 2030 au moins. Mais cela ne représenterait toujours qu’un tiers des importations européennes en provenance de Russie, ce qui signifie que d’autres sources seront également nécessaires.

“L’UE peut se tourner vers les pays de la Méditerranée orientale, comme Chypre, Israël et peut-être l’Égypte, mais tous les pays n’ont pas d’approvisionnement disponible ou la capacité de liquéfier le gaz”, explique Nicolas Mazzucchi, évoquant un autre obstacle : le nombre limité de gaziers, presque exclusivement construits en Asie et dont l’assemblage prend du temps.

La rareté des ressources immédiatement disponibles signifie que l’Europe devra prouver qu’elle peut coordonner et partager, estime Ben McWilliams, analyste et chercheur en politique climatique et énergétique à l’Institut Bruegel de Bruxelles.

“Le GNL est la solution évidente, mais en l’état actuel des choses, il ne peut compenser qu’environ la moitié du gaz russe, et c’est déjà étiré”, poursuit-il auprès de France 24. “Nous avons besoin de coordination et de solidarité dans les importations de gaz, idéalement en important en tant que bloc unique – comme la Commission européenne essaie maintenant de le faire – plutôt que de laisser les États membres individuels se faire concurrence sur les marchés internationaux et faire grimper les prix.” 

Cela signifie qu’il faudra aider les États membres qui ne disposent ni de terminaux GNL ni d’installations de stockage, ajoute-t-il, ainsi que ceux qui, comme l’Autriche, sont fortement dépendants du gaz russe et n’ont pas d’accès à la mer. 

Le virage vert

Reste que, selon l’économiste lituanien Mauricas Zygimantas, l’UE doit également être plus prudente dans le choix de ses fournisseurs si elle souhaite réduire sa dépendance vis-à-vis des régimes autocratiques. Il explique notamment que l’empressement de l’Occident à fermer ses propres capacités de production alors que la demande continue d’augmenter l’a laissé à la merci des autocrates, tout en finançant leurs régimes.

L’Europe s’efforce de trouver des alternatives au gaz et au pétrole russes alors que les derniers extracteurs de combustibles fossiles du continent réduisent leurs activités pour tenter de limiter le réchauffement de la planète. Mais se renvoyer la balle n’est pas une solution, estime l’économiste.

“Les combustibles fossiles ne sont pas plus verts en provenance de Russie qu’en provenance de Norvège. En fait, ils tuent des gens en Ukraine, au moment où nous parlons”, rappelle-t-il. “Nous devons importer davantage de sources énergétiques en provenance de régimes démocratiques, qui doivent à leur tour augmenter l’offre tout en investissant massivement dans les énergies renouvelables.”

C’est un autre domaine dans lequel les États baltes ont ouvert la voie, ajoute l’économiste, pour qui le terminal GNL de la Lituanie ne représente “qu’un revers de la médaille – l’autre étant la réduction de la consommation”.

Mauricas Zygimantas souligne, par ailleurs, la transformation du système de chauffage central de la Lituanie, qui “était dominé par le gaz et fonctionne désormais à 80 % au biocarburant”, notant que l’Estonie a fait des progrès encore plus importants. “Notre faible densité de population signifie qu’il y a beaucoup d’espace pour développer des parcs éoliens et d’autres projets renouvelables, tant sur terre qu’en mer”, ajoute-t-il. Tout cela est également logique sur le plan économique, car “les prix du gaz devraient rester élevés dans un avenir proche”.

“Nous ne devrions pas utiliser le gaz pour produire de l’électricité, comme le font encore certains pays d’Europe”, conclut Zygimantas. “Nous devrions utiliser l’énergie nucléaire, les parcs éoliens ou même le charbon à court terme, d’autant plus lorsque l’on voit ce que le gaz finance en Ukraine.”

Une question politiquement sensible

Le chercheur spécialiste de l’énergie Nicolas Mazzucci estime, quant à lui, que l’accélération de la transition vers les sources d’énergie verte est une option viable pour les pays, comme l’Allemagne, qui dépendent encore du gaz pour produire de l’électricité.

Les pays européens ont également la possibilité de rendre plus efficaces le stockage, le transport et la distribution du gaz à travers le bloc, dit-il, tout en avertissant que les tentatives de réduire la consommation des ménages seront beaucoup plus difficiles à vendre.

“Politiquement, c’est une question très sensible”, conclut-il. “En France, par exemple, le gaz est principalement utilisé pour la cuisine et le chauffage. Comment dire aux gens qui viennent d’acheter une cuisinière à gaz qu’ils ne peuvent plus l’utiliser ?” C’est peut-être le prix à payer pour sauver l’Ukraine.

Article adapté de l’anglais par Pauline Rouquette. Retrouvez ici la version originale.

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