Les réseaux sociaux sont souvent utilisés pour manipuler l’opinion en période électorale. Et la présidentielle française, qui se déroulera les 10 et 24 avril, n’y échappera pas. Quelles sont les techniques les plus utilisées ? Quelles opérations peuvent être menées par des puissances comme la Russie par exemple ? Décryptage.
Faire campagne sans passer par les réseaux sociaux est inimaginable aujourd’hui. Ils sont devenus des outils de communication, d’influence même, et les opinions politiques de tout bord s’y confrontent. Mais les règles du jeu démocratique sont bien souvent méprisées. Alors que le jour du scrutin de l’élection présidentielle française approche, des acteurs vont chercher et cherchent déjà à manipuler l’opinion sur les réseaux sociaux, de France comme de l’étranger.
Opérations de déstabilisation depuis l’étranger
David Chavalarias, directeur de l’Institut des systèmes complexes (ISC-PIF) à Paris et auteur de “Toxic Data”, explique à France 24 quelles actions peuvent être menées et quelles sont les techniques employées les plus courantes.
Avec son équipe de chercheurs, il a développé un outil baptisé le “Politocospe”, qui permet d’analyser des données à partir de la plateforme Twitter. Ils ont ainsi scruté depuis 2017 des centaines de millions de tweets issus des différentes communautés politiques et des médias. Cela leur a permis de mettre en lumière “plusieurs actions qui ont visé à déstabiliser les élections ou influencer le choix des électeurs [lors de la dernière présidentielle]”, indique David Chavalarias. “Une première action qui s’est développée sur plusieurs semaines consistait à amplifier et à reprendre les discours anti-Macron, anti-Mélenchon, pour favoriser principalement l’extrême droite, poursuit-il. Cette action a été menée en partie par des acteurs qui étaient à l’étranger, notamment les supporters de Trump aux États-Unis”.
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Mais ce qui a marqué les mémoires, c’est surtout un événement qui s’est produit à moins de deux jours du deuxième tour du scrutin. Alors que s’ouvrait la période de réserve, des milliers de documents piratés du parti “En marche”, principalement des échanges de mails, ont été diffusés sur le Net. “C’est ce qu’on a appelé les ‘MacronLeaks'”, précise le directeur de l’ISC-PIF. L’objectif était de “faire croire qu’il y avait des documents compromettants et qu’il ne fallait pas porter la confiance à Emmanuel Macron”, analyse-t-il.
Ce type d’événement pourrait-il se reproduire en 2022 ? Le contexte actuel en Europe, avec la guerre en Ukraine, vient renforcer les préoccupations. “La période actuelle est très sensible parce que, déjà en 2017, la Russie avait agi notamment via les ‘MacronLeaks'”, remarque David Chavalarias. En effet, les tensions géopolitiques sont bien plus fortes aujourd’hui et peuvent se muer en tentatives de désinformation. “Lorsqu’il y a un affrontement entre un pays et d’autres nations – et c’est le cas avec le conflit russo-ukrainien –, mais également avec l’environnement des Alliés, évidemment le terrain informationnel est un théâtre d’affrontements qu’il faut particulièrement surveiller”, souligne Nicolas Arpagian, enseignant, et auteur de “La Cybersécurité” (PUF), interrogé par France 24.
Quelle protection contre les ingérences étrangères ?
Directeur de la stratégie en cybersécurité chez Trend Micro et auteur du livre “Frontières.com”, ce dernier explique pourquoi ces opérations menées depuis l’étranger sont parfois difficiles à repérer. “Souvent, ce sont des actions conduites sur la durée, c’est-à-dire que des faux profils vont être créés sur les réseaux sociaux, et pour leur donner de la consistance, de la crédibilité, on va commencer à les faire s’exprimer sur plusieurs sujets. Ils vont interagir entre eux, ils vont se recommander entre eux, ils vont être présents sur différentes plateformes”.
Ces actions s’appuient également sur des technologies de plus en plus élaborées et performantes. “Il faut reconnaître que la Russie a un savoir-faire dans la manipulation de l’information et a justement une capacité d’action dans ce domaine”, ajoute Nicolas Arpagian.
La France a-t-elle les moyens de se prémunir ? Face à la menace, le gouvernement a mis en place, en juillet 2021, un dispositif de protection contre les ingérences numériques étrangères, Viginum. “Son rôle est précisément d’étudier les mouvements informationnels”, relève Nicolas Arpagian. L’enjeu est de pouvoir détecter rapidement les “actions concertées, malveillantes ou en tout cas initiées par des intérêts politiques extérieurs”. Ce nouveau service est encore amené à grandir et doit atteindre une cinquantaine de professionnels, analystes et autres, d’ici à fin 2022.
L’astroturfing “industrialisé” par la communauté Zemmour
Si des entités à l’étranger interviennent sur les plateformes, certaines communautés politiques en France, elles aussi, ont bien compris les rouages qui permettent d’amplifier leur discours. L’une des techniques les plus utilisées est l’astroturfing. Cela consiste à simuler à un élan spontané autour d’un sujet alors qu’en réalité, il s’agit d’un mouvement bien coordonné.
“Ce qu’on a fait, c’est qu’on a regardé fin 2021 quels étaient les comptes qui avaient reposté au même moment le même message, mais au moyen de plusieurs comptes différents pour faire croire que ce message-là étaient défendu par plusieurs personnes au même moment”, explique David Chavalarias.
Sur la visualisation réalisée par David Chavalarias et son équipe, chaque point symbolise un compte et plus le point est gros, plus il a pratiqué cette technique. Avec son équipe, ils ont remarqué qu’elle était utilisée à grande échelle au sein d’une communauté en particulier : “la communauté autour d’Éric Zemmour, a vraiment industrialisé ça”. “Les plus gros comptes ont fait jusqu’à 1 300 campagnes d’astroturfing”, rapporte-t-il.
De la simple diffusion de fausses informations à des mécanismes plus complexes, les manières de manipuler l’opinion sur les réseaux sociaux sont infinies. Plus la date du scrutin approche, plus les offensives seront virulentes. Alors, comment les contrer ? Ce qui fait le succès ou non de ces campagnes en ligne, c’est aussi et surtout la capacité des utilisateurs à les déceler. Pour en savoir plus à ce sujet, rendez-vous très bientôt pour le deuxième épisode de cette série.