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De Lviv à Kiev, instantanés de l'Ukraine en guerre

Avec le déclenchement par Moscou de son “opération militaire spéciale”, l’intégralité du territoire ukrainien est devenue une zone de guerre. De la frontière polonaise à la capitale Kiev, une équipe de France 24 est allée à la rencontre d’Ukrainiens, civils ou militaires, plongés brutalement dans ce conflit meurtrier. Carnet de route.

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Les aéroports du pays sont tous fermés depuis le 24 février. Il faut donc franchir par la route la frontière entre la Pologne et l’Ukraine, vendredi 11 mars. Après le poste-frontière de Hrebenne se dressent les premiers checkpoints, où des civils ukrainiens en armes surveillent les allées et venues des véhicules et contrôlent parfois les identités. Il reste 70 kilomètres pour atteindre la ville de Lviv – encore épargnée par le conflit à ce moment-là – où se sont repliées la plupart des ambassades occidentales.

À la gare de cette “capitale culturelle” de l’Ukraine, des écriteaux “cars gratuits vers la Pologne”, vestiges des scènes de panique de la première semaine du conflit, sont encore visibles. Devant l’Opéra national, des familles se prennent en photo. Sur les murs, des affiches encouragent les citoyens à résister à l’invasion russe. L’alcool est interdit et le couvre-feu commence à 22 h.

De Lviv à Kiev

Sur la route en direction de la capitale, la plupart des stations-service sont approvisionnées en carburant. Camions et véhicules traversent sans encombres le centre du pays, ces “terres noires” ukrainiennes, grenier à blé de l’Europe. À l’approche de Kiev, nous rejoignons une route longeant le Dniepr, le grand fleuve qui traverse l’Ukraine du nord au sud. Là, le trafic se raréfie, les contrôles aux barrages se font beaucoup plus insistants, les habitants craignant des infiltrations d’agents russes. Tout visage ou véhicule inconnu paraît suspect. Dans une ambiance lugubre, nous entrons dans la capitale ukrainienne. Des blocs de béton et des dispositifs antichar barrent les autoroutes et les grandes avenues désertes.

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“Poutine est le diable”

Dimanche 13 mars, la capitale se réveille dans un silence glacial. Quelques fidèles assistent à la messe au monastère Saint-Michel-au-Dôme-d’Or. Des noms et des portraits des combattants ukrainiens morts au Donbass depuis 2014 recouvrent par endroits les murs entourant le bâtiment. Le métropolite Épiphane, primat de l’Église orthodoxe d’Ukraine, nous dit avoir prié pour ceux qui sont bombardés, pour ceux qui sont dans les abris et pour le salut du pays. Il répète que Vladimir Poutine est l’incarnation du “diable” et que cette guerre n’est rien d’autre qu’un “affrontement entre le bien et le mal”.

Mgr Epiphane Doumenko, primat de l'Église orthodoxe d'Ukraine, célèbre la messe dominicale à Kiev le 13 mars 2022.
Mgr Epiphane Doumenko, primat de l’Église orthodoxe d’Ukraine, célèbre la messe dominicale à Kiev le 13 mars 2022. © David Gormezano, France 24

Un peu plus tôt dans la matinée, les autorités ukrainiennes ont annoncé qu’à Lviv, une base servant aux exercices militaires conjoints entre les forces ukrainiennes et celles de l’Otan avait été bombardée dans la nuit. En s’attaquant pour la première fois à l’ouest de l’Ukraine, les forces russes démontrent qu’elles peuvent cibler n’importe quel endroit dans le pays.

“Je sais que demain, il n’y aura peut-être plus d’eau ou d’électricité”

Lundi 14 mars, dans les rues de Kiev, de rares passants font la queue devant les pharmacies et les supermarchés encore ouverts. Nous rencontrons Yuri, qui contemple la ville depuis le balcon de son appartement, situé au 13e étage. Sa femme et sa fille se sont réfugiées en Suède. Mobilisable comme tous les hommes de 18 à 60 ans, il nous explique que “la guerre va être longue car Poutine déteste les Ukrainiens”.

Chaque matin, Yuri vient s'assurer sur une terrasse de son immeuble que Kiev n'est pas tombée.
Chaque matin, Yuri vient s’assurer sur une terrasse de son immeuble que Kiev n’est pas tombée. © David Gormezano, France 24

Dans cette immense tour du sud de la ville, seules quelques familles sont restées. Selon la municipalité, près de la moitié des habitants ont quitté Kiev. Dans un autre quartier de la capitale, nous tombons nez à nez avec un jeune homme, Edward, valise à la main et larmes aux yeux, qui nous explique qu’il veut rejoindre la France.

Edward quitte Kiev et va gonfler les rangs des millions d'Ukrainiens qui partent se réfugier dans les pays voisins, le 14 mars 2002.
Edward quitte Kiev et va gonfler les rangs des millions d’Ukrainiens qui partent se réfugier dans les pays voisins, le 14 mars 2002. © David Gormezano, France 24

Sur le seuil de la maison qu’il vient de quitter nous attendent quatre femmes vivant dans l’attente de la grande catastrophe qu’elles pensent imminente : des bombardements massifs ou l’encerclement de la ville par les troupes russes. Elles dorment à la cave. Natalia, dont le compagnon se bat à Marioupol avec l’armée ukrainienne, nous confie son sentiment de rage mais aussi sa certitude que l’Ukraine gagnera la guerre.

>> À lire : “Dans une ville sous le feu russe, les habitants de Kiev retiennent leur souffle”

“J’ai rompu avec ma famille russe”

Mardi, au petit matin, des immeubles d’habitations ont été touchés, comme la veille, par des frappes russes à l’intérieur du périmètre de la ville. L’ancien boxeur Vitali Klitschko, maire de Kiev, arrive sur les lieux, gilet pare-balles sur le dos. “C’est un moment difficile et dangereux”, assure-t-il alors que les pompiers finissent d’éteindre l’incendie. Entourés de journalistes et de passants effarés, les services de secours ont extrait quatre corps de l’édifice.

Non loin de là, plusieurs immeubles ont été endommagés par une puissante explosion. Les vitres ont volé en éclat et les résidents jettent par les fenêtres débris, mobilier ou châssis de portes détruits. Au huitième étage, Nina, une vieille dame bien maquillée, a fait sa valise et attend son gendre pour quitter son appartement, devenu inhabitable.

Nina, retraitée, quitte son appartement dévasté à Kiev et veut rejoindre sa fille en Pologne, le 15 mars 2022.
Nina, retraitée, quitte son appartement dévasté à Kiev et veut rejoindre sa fille en Pologne, le 15 mars 2022. © David Gormezano, France 24

Née à Saint-Pétersbourg, fille d’un militaire au temps de l’Union soviétique, elle n’a pas de mots assez durs envers la Russie. “Je les déteste, ce sont des hordes de sauvages. Je me sens désormais ukrainienne”, souligne-t-elle. Kiev est placée sous couvre-feu pour 36 heures ; les habitants ont interdiction de sortir de chez eux, sauf pour rejoindre un abri.

“Nous avons des tanks, de l’artillerie, des munitions”

Lorsque Moscou a lancé son “opération spéciale” en Ukraine, les militaires russes ont immédiatement tenté de prendre la capitale ukrainienne d’assaut en s’emparant de l’aéroport de Hostomel et en envoyant des éléments armés dans la ville. Au prix d’une résistance acharnée, l’armée ukrainienne les a repoussés ; pendant des jours, des combats sanglants se sont déroulés dans les communes limitrophes de Kiev. À Irpin tout particulièrement, mais aussi à Bucha ou à Brovary. C’est sur ce front, au nord de Kiev, que nous nous rendons jeudi 17 mars.

La 72e brigade mécanisée dispose d'armement de pointe pour repousser les chars russes.
La 72e brigade mécanisée dispose d’armement de pointe pour repousser les chars russes. © France 24

Notre accompagnateur militaire nous demande de ne prendre aucune image qui pourrait révéler la localisation précise des tranchées, bunkers et autres lignes de défense que nous parcourons. En chemin, nous découvrons sur le bas-côté des dizaines de caisses vides de missiles antichar, dont les fameux Javelin, “made in USA”, devenus des symboles de la résistance ukrainienne à l’invasion russe.


En fin de journée, les autorités ukrainiennes accusent les troupes russes d’avoir bombardé et détruit le théâtre de Marioupol, où 500 à 1 200 civils dont de nombreux enfants se seraient réfugiés. Une semaine plus tard, le bilan humain de cette attaque n’est toujours pas connu.

“Je veux faire mon travail”

À Kiev, les explosions localisées n’ont pas cessé. Mais peu à peu, les habitants semblent s’habituer à l’attente, à l’angoisse. Dans un supermarché, les employés s’affairent à garnir les rayonnages. Parmi eux, Galyna nous dit qu’elle “se grouille” pour venir au travail, parce qu’elle connaît “ses” clients depuis longtemps, qu’ils ont besoin d’elle et qu’elle se sent plus en sécurité au travail que chez elle. Âgée d’une soixantaine d’années, elle semble en avoir vu d’autres et espère que la paix viendra.

Les accès au sud de la ville restent ouverts à la circulation et la capitale ne souffre pas de pénurie alimentaire, sauf pour le pain, toujours un peu difficile à trouver.

>> À lire : “À Kiev, entraide et solidarité pour résister à tout prix”

Des chefs d’entreprise participent à leur façon à l’effort de guerre, à l’image de ce patron qui a reconverti sa société de peinture industrielle en plateforme logistique au service des combattants.

>> À voir : “À Kiev, les habitants entrent dans la résistance pour leur survie”

Des ultranationalistes à la réputation sulfureuse

Depuis la révolution de Maïdan et le déclenchement de la guerre au Donbass, les groupes ultranationalistes ukrainiens sont observés avec méfiance par l’Ouest et qualifiés de nazis par l’Est. Pour Moscou, leur existence justifie à elle seule l’invasion de l’Ukraine.

Le plus célèbre de ces groupes, le “Régiment Azov”, est intégré à l’armée ukrainienne et combat actuellement les troupes russes à Marioupol. De notre côté, nous rencontrons l’Organisation des nationalistes ukrainiens (Oun), que nous suivons à l’entraînement dans les bois autour de Kiev, guidés par Oleg Magdych, un ancien pasteur encadrant l’unité de jeunes volontaires.

Faire exploser le Kremlin, comme Tom Cruise dans “Mission impossible 4”

Alors que les températures s’adoucissent et que le printemps pointe le bout de son nez, la rencontre avec une petite troupe de théâtre a vite pris l’allure d’une réunion de copains. Les blagues et de grands éclats de rire fusent avant que le tragique ne reprenne le dessus. Les Russes “assassinent” le pays et l’heure est à la solidarité et au combat, jusqu’à la victoire finale, assènent Alex et ses amis trentenaires. L’histoire de l’Ukraine et de son envahissant voisin est jonchée de cadavres et d’atrocités, ajoutent-ils, regrettant que l’Europe ne soit pas parvenue plus tôt à considérer la Russie comme un ennemi mortel. Trois semaines de guerre ont définitivement balayé toute forme de pacifisme.

>> À lire : “À Kiev, l’entrée en guerre du petit théâtre d’Alex et de ses amis”

En quittant Kiev

Lundi 21 mars, la capitale se réveille en découvrant les images de “Retroville”, un centre commercial flambant neuf complètement détruit par une puissante frappe russe.

L’explosion a été entendue dans toute la ville et a fait au moins huit morts sans que l’on puisse déterminer avec exactitude si les victimes sont civiles ou militaires. L’armée russe affirme que ce centre commercial à la mode servait de dépôt d’armements et de munitions.

La capitale ukrainienne retient son souffle depuis des jours et la menace se rapproche encore un peu plus. Avant de quitter la ville, nous rencontrons devant la gare un ancien de la Légion étrangère et un infirmier militaire français venus s’engager avec l’armée ukrainienne.


Scruté par le monde entier, le conflit russo-ukrainien fait planer le spectre d’une troisième guerre mondiale. De leur côté, les habitants de Kiev se préparent à un nouveau couvre-feu de 36 heures, partagés entre la crainte d’une longue guerre sale et la conviction irréductible que l’Ukraine s’en sortira.

Ce reportage a été réalisé du 11 au 21 mars 2022 avec James André, Jonathan Walsh, Oleksii Gordieiev, Natalia Parubocha et toutes les équipes de France 24.

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