Alors qu’un nouvel accord sur le nucléaire iranien semblait sur le point d’être trouvé, la Russie a imposé à la dernière minute des conditions en lien avec les récentes sanctions occidentales prises à son encontre. Dépendant de Moscou pour sa sécurité et refusant de négocier directement avec les États-Unis, Téhéran se retrouve pris en otage.
L’accord était quasiment prêt à être signé. Après onze mois de négociations acharnées à Vienne entre l’Iran et les grandes puissances – Chine, Russie, France, Royaume-Uni, Allemagne, et indirectement avec les États-Unis -, il ne restait plus qu’à finaliser les “notes de bas de page”, avaient indiqué plusieurs diplomates européens. Mais c’était sans compter sur la guerre en Ukraine. Le conflit a fait irruption dans les pourparlers destinés à raviver l’accord de 2015 sur le nucléaire iranien, balayant pour quelque temps tout espoir de conclusion d’un nouveau texte.
“Nous devons faire une pause dans les pourparlers en raison de facteurs externes”, a ainsi annoncé, vendredi 11 mars, Josep Borrell, chef de la diplomatie de l’Union européenne (UE) chargé de coordonner le processus. “Un texte final est quasiment prêt et sur la table”, a-t-il précisé.
Au cœur de ce revirement diplomatique : la Russie, frappée par des sanctions occidentales après son invasion de l’Ukraine, a pris les diplomates de court en imposant des conditions supplémentaires à la conclusion d’un nouvel accord. À la surprise générale, Moscou a exigé, début mars, que les sanctions adoptées à son encontre n’affectent pas sa coopération économique avec l’Iran. Des revendications jugées “hors sujet” par le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, et qui ont stoppé net les discussions.
À Téhéran, les exigences russes ont suscité un débat dans la presse. Les journaux réformateurs ont vivement critiqué la Russie, accusée d’empêcher la conclusion de l’accord. Prudente, la presse conservatrice a, de son côté, reproché à Washington d’être responsable du blocage, sans défendre explicitement la position russe.
Pour les Occidentaux – dont la France, qui a jugé, encore récemment, très urgente la signature d’un texte empêchant l’Iran de se doter de l’arme nucléaire -, la question est donc de savoir si les parties prenantes peuvent se passer de la Russie pour discuter avec Téhéran.
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Les Russes, intermédiaires incontournables des négociations
Pour Clément Therme, spécialiste des relations russo-iraniennes et chargé de cours à l’université Paul-Valéry de Montpellier, la réponse sera non “tant que la République islamique d’Iran refusera de parler directement avec les Américains, ce qui accroît sa dépendance vis-à-vis de la Chine et de la Russie”.
Depuis la reprise des tractations avec Téhéran en avril 2021, l’équipe des diplomates de la Russie, alliée de l’Iran, joue un rôle clef. Elle fait la navette entre les hôtels de Vienne, où logent la délégation iranienne, et celle des États-Unis, car le Guide suprême iranien, Ali Khamenei, a interdit à ses négociateurs de s’asseoir à la même table que les Américains. “L’anti-américanisme est dans l’ADN de la République islamique d’Iran. Idéologiquement, Téhéran ne peut pas se permettre de négocier directement avec Washington”, estime le chercheur. La position iranienne place donc la Russie en intermédiaire incontournable dans le dossier nucléaire.
Autre rôle clef joué par les Russes : en cas d’accord, Moscou était censé recevoir et stocker les tonnes d’uranium enrichi dont Téhéran doit se défaire. Des solutions sont toutefois à l’étude pour convaincre les Iraniens de confier leur excédent d’uranium à d’autres États de la partie.
La Russie, une alliée indispensable pour la sécurité de Téhéran
Si un représentant iranien a déclaré que les nouvelles exigences de la Russie dans le cadre des négociations de Vienne n’étaient “pas constructives” – selon l’agence de presse semi-officielle iranienne Tasnim -, aucune déclaration officielle n’a laissé paraître de dissensions entre Téhéran et le Kremlin. Bien que la Russie ait saboté les pourparlers sur le nucléaire, Moscou reste un allié.
“La République islamique ne peut pas aller à l’encontre des intérêts de la Russie, car la Russie participe à la survie du régime iranien en lui fournissant des équipements sécuritaires, tels que ceux ayant servi à réprimer les manifestations de 2009 [contre la réélection contestée de Mahmoud Ahmadinejad, NDLR], des logiciels de surveillance et des technologies sensibles (missiles iraniens d’inspiration russe, construction de centrale nucléaire civile)”, liste Clément Therme, qui a consacré un article au sujet. “L’Iran a davantage besoin de la Russie que la Russie de l’Iran”, souligne le chercheur.
Le cours du pétrole en jeu
Pour de nombreux experts, les négociations sur le nucléaire iranien sont instrumentalisées par Moscou. “Le jeu de la Russie peut être d’obtenir un délai pour la réactivation de l’accord afin d’éviter un afflux de pétrole iranien sur le marché”, qui ferait baisser les cours, explique Clément Therme.
“En maintenant le baril à un prix élevé, le Kremlin peut utiliser l’arme énergétique contre l’Occident”, souligne l’expert. Et augmenter ses propres revenus liés au pétrole. Un succès de l’accord sur le nucléaire permettrait, en effet, de lever les sanctions sur le pétrole iranien et d’ajouter 1,3 à 1,5 million de barils par jour sur le marché mondial. Les quantités pourraient être insuffisantes pour compenser la dépendance énergétique européenne et américaine vis-à-vis de la Russie, mais il s’agit là d’une solution parmi d’autres.
Avec AFP