Tout au long du mois de février, des dizaines de parents étrangers, notamment des ressortissants du Moyen-Orient et d’Afrique, sont descendus dans les rues en Suède pour protester contre les services de protection de l’enfance du pays. Un mouvement qui a commencé avec la diffusion sur les réseaux sociaux de vidéos dénonçant de prétendus “kidnapping” d’enfants de familles étrangères par les autorités suédoises. Cette atmosphère de défiance inquiète notre Observatrice, avocate spécialisée en droit des familles.
Ces familles ont en commun d’avoir perdu la garde de leurs enfants, placés par les services suédois de protection de l’enfance dans des familles d’accueil, au motif qu’ils auraient subi des maltraitances. Des mères et pères de famille, dont une partie sont originaires de Syrie et d’Irak, ont manifesté à Stockholm, Göteborg ou encore Malmö en février pour exiger le retour des enfants, accusant les autorités d’abus de pouvoir.
Un père de famille témoigne, lors d’un rassemblement le 13 février à Göteborg : “Je vis en Suède depuis sept ans. Ils ont pris ma fille il y a trois ans. J’ai toutes les preuves, des vidéos, des papiers du tribunal, qui attestent que je ne suis pas un père violent”.
C’est la diffusion depuis le début de l’année de vidéos de témoignages de parents qui a mis le feu aux poudres. Ils y affirmaient que leurs enfants leur avaient été retirés au prétexte qu’ils étaient musulmans. Certains parents accusaient même des familles d’accueil de pédophilie, ou de forcer leurs enfants à manger du porc. Ces propos, difficilement vérifiables, relayés sur sous le hashtag “Stop au kidnapping de nos enfants” ont ému jusqu’en Algérie et en Égypte.
Adhar Alak est avocate spécialisée en droit des familles à Malmö, en Suède. Elle explique ce que dit la loi suédoise au sujet des enfants, dont la situation est jugée à risque.
Évidemment, je refuse le mot “kidnapping” parce qu’il s’agit d’un placement de l’enfant, jusqu’à ce que la situation dans sa famille ne soit plus dangereuse. La loi garantit aussi un avocat pour le père et la mère, et un avocat pour l’enfant. Il est possible d’introduire un recours pour contester la décision, auprès du tribunal administratif, et ensuite auprès de la Cour suprême.
La loi sur la protection de l’enfance, appelée “LVU”, est réputée être parmi les plus strictes en Suède. Elle permet aux services sociaux de demander le placement temporaire d’un enfant, en cas notamment de maltraitance physique ou psychologique. Mais également si les parents peinent à subvenir aux besoins de l’enfant. Mais avant d’arriver à cette mesure extrême, les services de protection de l’enfance doivent respecter certaines étapes, tempère Adhar Alak.
Dans le cas où les parents acceptent de coopérer avec les services sociaux, on peut par exemple privilégier le placement dans une famille qui fait partie du tissu social de l’enfant, par exemple un oncle ou une tante.
En Suède, le personnel de l’école, de l’hôpital et même les voisins sont tenus par la loi de signaler toute suspicion de maltraitance envers un enfant aux services sociaux , qui le cas échéant déclenchent une enquête.
En outre, Adhar Alak déplore une crise de confiance entre ces familles étrangères et les autorités suédoises :
Ce que je souhaiterais aussi préciser, c’est qu’il y a souvent un manque de confiance entre les autorités et les parents immigrés. Et cette dernière campagne risque d’aggraver ce fossé.
Le ministère suédois des Affaires étrangères a réagi sur Twitter, dénonçant “une campagne de désinformation”.
1. A disinformation campaign is currently under way on various social media – both in Sweden and abroad – alleging that Swedish social services kidnap Muslim children. This information is wrong. It is seriously misleading and aims to create tensions and spread mistrust.
— Swedish Ministry for Foreign Affairs (@SweMFA) February 11, 2022
Par ailleurs, des vidéos relayées avec le hashtag “Stop au kidnapping de nos enfants”, montrant des enfants en pleurs arrachés à leurs parents ou encore emmenés de force de l’école par les services sociaux, ont suscité beaucoup d’émotion sur les réseaux sociaux. Plusieurs d’entre elles, que la rédaction des Observateurs à pu vérifier, n’ont rien à voir avec la Suède, et ont été tournées dans d’autres pays comme les Pays-Bas.
Une des vidéos, présentée à tort comme montrant l’enlèvement d’enfants par les services sociaux, a été relayée de nombreuses fois sur Twitter. Elle montre un agent de sécurité plaquant violemment un enfant au sol. Mais il s’agissait en réalité d’une arrestation d’un enfant par un agent de sécurité remontant à 2015, comme nous l’avions expliqué dans l’article ci-dessous.
>>Lire sur les Observateurs : Des “enfants musulmans” kidnappés par le gouvernement suédois ? Une vidéo intox ressurgit
Adhar Alak note toutefois que dans certains cas des familles originaires du Moyen-Orient sont “mal accueillies et victimes de préjugés par les employés de l’administration des services sociaux.”
Enfin, le Conseil des imams de Suède a demandé aux imams de “faire tout leur possible pour contrer la propagation de la rhétorique haineuse”, tout en appelant à des enquêtes sur les fonctionnaires des services sociaux soupçonnés d’abus.