Trois mois après le lancement d’Elyze, de nouvelles applications ont vu le jour pour inciter les jeunes à voter. Mais face au désamour des jeunes pour la politique traditionnelle, l’émergence de ces applications apparaît davantage comme un symptôme de la crise politique actuelle plutôt qu’une solution miracle.
Après avoir fait le buzz début janvier, l’application Elyze, inspirée de l’application de rencontre Tinder, pour faire “matcher” ses utilisateurs avec des candidats à la présidentielle, a fait des petits. Toutes ces applications ambitionnent de réconcilier les millenials et la génération Z avec la politique pour espérer réduire, lors de la présidentielle, le taux d’abstention. Selon l’Insee, en 2017, moins de deux jeunes sur dix (âgés entre 18 et 29 ans et inscrits sur les listes électorales), avait voté à tous les tours des élections législatives et présidentielle.
“Ces outils, qui sont généralement développés par la société civile (universitaires, médias, ONG, associations), visent à aider les électeurs à apprivoiser la masse d’informations auxquelles ils sont exposés pendant les campagnes électorales. En présentant une synthèse des programmes et en permettant à l’électeur de comparer ses positions avec les propositions, il prémâche le travail de lecture et permet à l’électeur de gagner du temps”, explique Thomas Vitiello, docteur en science politique au Centre de recherches politiques de Sciences-Po (Cevipof), contacté par France 24.
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L’abstention des jeunes menace la présidentielle
“La naissance de ces applications montre que l’on se saisit du problème du désamour de la jeunesse pour la politique mais je pense que ce n’est pas une solution miracle”, explique, de son côté, Stewart Chau, responsable des études politiques et sociétales de l’Institut de sondages Viavoice, contacté par France 24,
En effet, selon lui, le divorce entre la jeunesse et la politique est profond. “Quand, en 2021, vous avez seulement 10 % des jeunes (contre 40 % en 1968) qui pensent que les hommes et femmes politiques participent au progrès de l’humanité, je ne sais pas si une application pourrait les faire changer d’avis”, poursuit le co-auteur, avec le directeur général de l’Ifop Frédéric Dabi, du livre “La Fracture”, une analyse des opinions et du rapport à la politique des 18-30 ans.
La débâcle des régionales de 2021 n’a rien arrangé : 66,7 % des inscrits sur les listes électorales ne s’étaient pas déplacés. Selon une étude Ipsos, 87 % des 18-24 ans et 83 % des 25-34 ans auraient boudé les urnes, contre 40 % des plus de 70 ans.
La formation d’une culture politique est l’un des objectifs de ces applications, comme pour leurs ancêtres nés dans les années 2000. En Europe, les pionniers de ces outils sont les Pays-Bas. D’autres pays ont suivi la tendance, comme l’Angleterre, la Belgique ou encore l’Allemagne, qui a développé en 2002 la populaire plateforme Wahl-O-Mat.
“Tous pourris, tous impuissants”
Le contexte politique (montée des extrêmes, candidats non issus de la classe politique traditionnelle, affaiblissement des partis etc.) a plongé les Français, et notamment les jeunes, dans un “brouillage politique”, qui les empêchent de trouver des repères. Ces mêmes catégories pensent que les hommes et femmes politiques sont “tous pourris et tous impuissants”, selon Stewart Chau.
“Il faut dire que les scandales de ces dernières années ont poussé les Français à estimer que la probité des personnalités politiques laisse à désirer, qu’elles sont avares d’influence et de pouvoir. Or, l’honnêteté, pour les jeunes, c’est la probité et l’exemplarité. La jeunesse a besoin d’une figure qui donne l’exemple car elle est en manque d’idéal et d’idéologie porteuse”, explique le sondeur, qui publiera le 17 mars, “L’Opinion des émotions” (Éditions de l’Aube).
“Face à une jeunesse née dans une sémantique de la crise (écologique, sanitaire, économique, sociale), il n’y a jamais eu, pour eux, de solution politique viable pour régler ces problèmes”, précise Stewart Chau, qui rapporte que “10 % des jeunes estiment que les partis politiques ne pourront apporter des solutions efficaces pour régler le problème climatique”.
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Difficile par ailleurs de savoir quel peut être l’impact de ces applications sur le vote des jeunes. À l’heure actuelle, peu d’études ont été menées. En 2012, le Cevipof a toutefois mené une enquête sur son outil de conseil électoral, la Boussole présidentielle, pour comprendre l’impact qu’elle pouvait avoir sur le vote de ses utilisateurs.
Sur les 4 000 personnes interrogées environ, un tiers des répondants avaient, d’une part, affirmé que l’application n’avait pas eu d’effet sur leur vote. “Soit ce sont des individus qui l’ont fait juste pour s’amuser, soit ils n’ont pas pris la chose au sérieux ou n’ont pas trouvé ça satisfaisant”, décrypte Thomas Vitiello, responsable scientifique de la Boussole présidentielle.
Cette année, ces applications pourront peut-être aider les jeunes à trouver des repères. Car, comme le souligne Stewart Chau, les jeunes sont loin d’être dépolitisés. “On a une jeunesse plutôt engagée et alerte sur les sujets de société, mais qui ne s’intéresse plus à la politique, ne se retrouve pas dans l’offre politique actuelle et est donc désaffiliée politiquement”, analyse-t-il.