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Blanchir des nuages, capturer du CO2… Un climat manipulé pour sauver la planète

Au moment où les prévisions liées au réchauffement climatique sont de plus en plus alarmantes, le pessimisme grandit sur notre capacité à “sauver la planète”. Face à ce constat, certains scientifiques proposent d’avoir recours à la géo-ingénierie, une manipulation scientifique du climat. Décryptage. 

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Nous sommes en 2100. La planète vit au rythme des cyclones, tempêtes et canicules. Les littoraux ont été submergés, obligeant des populations entières à se déplacer. Des espèces entières ont été décimées. Dans leur dernier rapport, publié mi-août, les experts climat de l’ONU sont unanimes : ce scénario catastrophe est de plus en plus réaliste. La seule façon de l’éviter ? Parvenir à maintenir le réchauffement climatique en dessous du seuil fatidique de +1,5 °C. 

Au moment où les États du monde s’apprêtent à se réunir pour la COP26 à Glasgow, à partir du 31 octobre, des chercheurs réfléchissent à une autre solution pour “sauver la planète”. Plutôt que de miser sur un effort commun pour réduire les émissions de CO2, ils veulent recourir à la géo-ingénierie et réparer, grâce à la technologie, ce que l’humain a déréglé. 

“La géo-ingénierie rassemble les différentes techniques qui visent à corriger, à grande échelle, les effets de l’action humaine sur l’environnement”, explique auprès de France 24, Sofia Kabbej, chercheuse au sein du Pôle Climat, énergie et sécurité de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). Science-fiction ou réalité ? “On est désormais entre les deux”, assure à France 24 Roland Séférian, climatologue pour Météo-France, qui suit de près les travaux qui y sont liés.

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Modifier le rayonnement solaire 

En réalité, derrière la géo-ingénierie se cache une myriade de projets. Certains paraissent totalement fantaisistes, voire dangereux. D’autres, en revanche, sont déjà concrétisés. 

“La géo-ingénierie se divise en deux grandes catégories”, résume Roland Séférian. La première – la plus controversée – rassemble toutes les techniques visant “à modifier le rayonnement solaire”. L’une d’elles consiste, par exemple, à l’injecter des aérosols dans la stratosphère. “L’idée est de reproduire ce qu’il se passe lors des éruptions volcaniques lorsque des nuages de poussière se forment et font écran entre le soleil et la Terre, rafraîchissant ainsi l’atmosphère”, détaille le climatologue. 

Pour le moment, le projet n’a pas franchi les murs des laboratoires. Mais depuis plusieurs années, une équipe de chercheurs d’Harvard, menée par le scientifique David Keith, ambitionne de le tester en condition réelle. En 2021, elle espérait ainsi lancer deux ballons dans la stratosphère, en Suède, et larguer quelques kilos de carbonate de calcium. Mais face à la désapprobation de la population et l’opposition de nombreuses ONG, le projet a été avorté. 

Une autre technique consiste à “blanchir” les nuages marins en pulvérisant du sel dans l’atmosphère. L’objectif : ralentir le réchauffement des océans. Plus les nuages sont blancs, plus ils reflètent les rayons du soleil et renvoient la chaleur, limitant ainsi le réchauffement des eaux qui se trouvent en dessous. Là aussi, la recherche n’en est qu’à ses prémices, même si une première expérimentation a déjà été effectuée à l’échelle locale, en 2020, en Australie. 

Des dizaines d’autres pistes, souvent présentées comme farfelues et totalement irréalistes, font l’objet de fantasmes : installer des miroirs dans l’espace, rétrécir génétiquement les humains, voire modifier la trajectoire de la Terre… 

Capturer du CO2 

La seconde grande catégorie de géo-ingénierie réunit des projets de “capture ou stockage du CO2”. “Contrairement à la modification du rayonnement solaire, certaines pistes sont déjà largement explorées”, explique Roland Séférian. Mais là encore, il existe une multitude de techniques : utiliser des puits de carbone naturels comme les forêts ou les océans, installer des aspirateurs à CO2 un peu partout ou encore mettre des filtres sur les usines.  “Il y en a une que nous utilisons déjà très fréquemment, c’est planter des arbres pour capter du CO2”, note le climatologue. 

Deux technologies prennent aujourd’hui une place grandissante dans la communauté scientifique, au point d’être prises en compte dans les différents scénarios du rapport du Giec. La première est le captage direct dans l’air (CDA). Le principe est simple : il s’agit d’installer des sortes d’aspirateurs à CO2. Le carbone capturé est ensuite enfoui sous terre. Au total, selon l’Agence internationale de l’énergie, une vingtaine de projets sont déjà en place dans le monde. La société suisse Climeworks, par exemple, a ainsi installé ces capteurs sur le toit d’une usine d’incinération de déchets dans la région de Zurich. 

La seconde est la “bioénergie avec captage et stockage de dioxyde de carbone” (BECSC). En pratique, il s’agit de produire de l’énergie en brûlant de la biomasse (bois, déchets agricoles, etc.) tout en piégeant le CO2 émis pour ensuite l’enfouir, là aussi, dans le sol. 

Là encore, aucune technique n’a pour le moment fait totalement ses preuves. Le CDA semble peu efficace et nécessite beaucoup d’énergie pour fonctionner. Par ailleurs, planter des forêts ou recourir à la BECSC pose la question des terres arables disponibles.

Le mythe d’une solution miracle 

La grande majorité des associations de défense de l’environnement sont vent debout contre la géo-ingénierie mais surtout contre la modification du rayonnement solaire. Selon elles, l’idée de manipuler artificiellement le climat est contre nature. “Le recours à ces techniques pose effectivement une question philosophique majeure. Jusqu’où les Hommes ont-ils le droit d’aller ?”, interroge Sofia Kabbej. “Utiliser la modification du rayonnement solaire reviendrait à hisser l’humain à un statut quasi-divin. Et c’est bien sûr, problématique.” 

Beaucoup craignent, surtout, que ces recherches n’entretiennent le mythe d’une solution miracle. Pourquoi faire des efforts face au réchauffement climatique, s’il suffit d’attendre que la technologie apporte une solution ? 

Les réfractaires se méfient d’autant plus que ces projets sont, pour certains, financés par des entrepreneurs milliardaires à l’instar de Bill Gates ou Elon Musk, pour d’autres, par des entreprises comme Total. “Derrière la capture de CO2, il y a une immense opportunité financière pour les entreprises pétrolières”, rappelle Sofia Kabbej. “Pour cause, cela ne peut passer que par le transport du carbone. Un transport qui nécessite des pipelines, des espaces de stockage… En bref, des infrastructures dont elles disposent déjà.” 

Des conséquences difficiles à appréhender 

Par ailleurs, si ces solutions peuvent apporter leur lot d’espoir face à un monde où les prévisions climatiques sont de plus en plus alarmantes, elles restent toutes incertaines, imparfaites, avec des conséquences difficiles à appréhender. “Pour ce qui est de la modification du rayonnement solaire, les techniques sont très intrusives. Même avec les meilleures modélisations, il est très difficile de savoir avec précision ce qu’il peut advenir”, note Roland Séférian. 

“Mais les projets de capture et stockage du CO2 posent aussi question”, poursuit-il. “Que se passe-t-il en cas de fuite du carbone lors du transport ? Combien de temps peut-il rester dans le sous-sol ?” 

Sans compter que le recours à la géo-ingénierie poserait un autre souci majeur, celui de la gouvernance. “L’ensemble des expérimentations sont aujourd’hui effectuées par des pays du Nord”, note Sofia Kabbej. “Utiliser la géo-ingénierie renforcerait donc inéluctablement les inégalités Nord-Sud. Les pays du Nord seront les seuls à pouvoir développer ces technologies, alors que ce sont les pays du Sud qui seront les premiers touchés par les conséquences du réchauffement climatique.” 

“On ne peut pas être sûr à 100 % que nous n’en n’aurons jamais besoin” 

Alors dans la communauté scientifique le débat fait rage : faut-il ou non poursuivre les recherches en géo-ingénierie ? “Pour moi, il ne faut pas s’en priver”, plaide Olivier Boucher, directeur de recherches au CNRS et spécialiste de la question, contacté par France 24. “On ne peut pas être sûr à 100 % que nous n’en n’aurons jamais besoin. À l’inverse, on va peut-être montrer que ces techniques ne sont pas viables. Dans tous les cas, il serait dommage de priver les générations futures de nos travaux.” 

“Nous sommes dans des débats proches de ceux sur la bombe atomique. On est face à des technologies qui, si elles fonctionnaient, seraient d’une puissance inédite”, analyse de son côté Sofia Kabbej. 

Pour Olivier Boucher, c’est dans ce débat que la division en deux catégories de la géo-ingénierie devient primordiale. “Tout ce qui touche à la modification du rayonnement solaire doit être perçu comme une solution de dernier recours. Mais les techniques de capture et de stockage de CO2 pourraient, selon moi, vraiment devenir des outils supplémentaires dans la lutte contre le réchauffement.” 

Une position partagée par Roland Séférian. “Pour atteindre la neutralité carbone, il y a fort à parier qu’il faudra utiliser des outils de capture du CO2″, explique-t-il. “Et plus on prend du retard dans nos politiques actuelles de lutte contre le réchauffement climatique, plus cela va devenir inéluctable.” Et le scientifique d’insister : “Dans l’idéal, j’aimerais qu’on n’en arrive jamais là et qu’on soit capable d’agir sans.” 

La nécessité d’un débat public 

Quoi qu’il en soit aujourd’hui, la recherche se poursuit. “Et malheureusement, aucun cadre international ne régit les travaux sur la géo-ingénierie”, déplore Sofia Kabbej. Une convention sur l’interdiction d’utilisation des techniques de modification de l’environnement à des fins militaires a été adoptée en 1976, mais elle reste très limitée. Les États – qui sont de plus en plus nombreux à débloquer des fonds – et les acteurs privés peuvent donc développer leurs projets librement. 

“Aujourd’hui, on en est encore aux prémices de la géo-ingénierie. Mais il est certain que la question deviendra centrale d’ici quelques années”, insiste Sofia Kabbej. “Il est nécessaire que les États se mettent autour de la table des discussions.” 

“Il faut que le sujet arrive dans le débat public”, abonde Roland Séférian. “Car la géo-ingénierie pose une question sociétale majeure, de rapport à la planète. Il faut en discuter dès maintenant pour faire le tri entre ce que l’on accepte et ce que l’on refuse.” 

À la COP26, le sujet ne fera cependant pas l’objet de discussions officielles. “On parlera très certainement des projets de capture et élimination du CO2 mais le sujet ne devrait pas être largement évoqué”, conclut le climatologue. “Pour l’instant, la priorité reste de limiter nos émissions de CO2. La géo-ingénierie viendra peut-être après.” 

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