La situation s’est fortement dégradée au Soudan après l’arrestation, par des forces de sécurité, lundi 25 octobre, du Premier ministre, Abdallah Hamdok, et de la plupart des ministres et des membres civils du conseil de souveraineté, qui supervise la transition dans le pays. L’armée a tiré en l’air pour disperser les manifestants sortis nombreux dans les rues pour dénoncer un “coup d’tat”, faisant plusieurs blessés selon des témoignages d’habitants. Notre Observatrice à Khartoum parle d’un climat de peur.
Des hommes armés non identifiés ont arrêté plusieurs dirigeants soudanais tôt, lundi 25 octobre, a indiqué à l’AFP une source gouvernementale. Le réseau Internet a en outre été coupé à travers le pays, ont expliqué des habitants Soudnais joints par téléphone.
Le général Abdel Fattah al-Burhane, à la tête des autorités de transition au Soudan a annoncé la dissolution du gouvernement et du Conseil de souveraineté, et décrété l’état d’urgence dans l’ensemble du pays.
Au début de cette vidéo, on entend des coups de feu retentir. “Des tirs à balles réelles sur la route de l’aéroport, le 25 octobre”, s’écrie un manifestant. Source: Twitter / @mo2mein.
Dans la matinée, après l’annonce de l’arrestation du Premier ministre, Abdallah Hamdok, des manifestants sont sortis dans les rues principales de Khartoum et Omdurman, en scandant “Pas de retour en arrière”, un slogan qui fait référence à l’ère de la dictature de Omar el Béchir, renversé le 11 avril 2019, après quatre mois de manifestations populaires. Ils ont tenté de se rendre devant le quartier général de l’armée, mais les militaires ont fait usage de balles réelles pour les disperser.
Des pneus ont également été brûlés par les manifestants, comme il apparaît dans des vidéos qui ont filtré sur les réseaux sociaux malgré de fortes perturbations du réseau Internet.
Le Comité central des médecins soudanais a annoncé que la répression menée par les forces de sécurité a fait au moins trois morts par balles, et plus de 80 blessés.
À la mi-journée, l’armée, appuyée par des éléments des Forces de soutien rapide (FSR), avait bouclé les ponts et les routes principales de Khartoum, pour empêcher les manifestants de parvenir au quartier général de l’armée. La vidéo ci-dessous montre des éléments des forces de sécurité postés devant une station-service. On voit la fumée s’élever au loin, tandis que des manifestants scandent : “l’armée appartient au Soudan, l’armée n’appartient pas à Burhan”.
⛔️ الان امام محطة النحلة للبترول تواجد امني واغلاق الطرق المؤدية للقيادة العامة
“دعم سريع – جيش – حركات كفاح مسلحة” pic.twitter.com/sNkF8uideJ— طــه ود حنان (@6a7a_hussein) October 25, 2021
Des éléments des forces de sécurité postés devant une station-service, à Khartoum. On voit la fumée s’élever au loin, tandis que des manifestants scandent :“l’armée appartient au Soudan, l’armée n’appartient pas à Burhan”. Source: Twitter / @6a7a_hussein
Fatma (pseudonyme) est journaliste. Elle habite non loin du quartier général de l’armée.
Je n’ai pas osé sortir de chez moi aujourd’hui. Depuis ma fenêtre, je vois la fumée des pneus brûlés. J’entends des tirs de Kalachnikov et de grenades assourdissantes, venant du QG de l’armée.
Ce matin, il y a eu aussi brièvement des échanges de jets de projectile entre des manifestants soutenant la révolution et d’autres manifestants pro-armée [ NDLR : soutenus par le gouverneur du Darfour, Minni Minawi, et le ministre des Finances, Gibril Ibrahim, tous deux représentants de groupes armés et appelant à dissoudre l’actuel gouvernement]. C’est ce qui est le plus triste à voir : des Soudanais qui s’affrontent presque trois ans après la révolution.
Vidéo montrant des manifestants sur la route menant à l’aéroport, affluer vers le QG de l’armée à Khartoum, pour protester contre le coup d’État. Source: Twitter / @Elmosharaf_E
Il y a eu une atmosphère de peur ce matin. Les établissements scolaires ont envoyé des messages SMS ce matin aux parents disant qu’ils ne pourraient pas accueillir les étudiants pour raison de sécurité.
Les journalistes ont désormais très peur, après l’arrestation des responsables issus de la société civile.
Il y avait des signes avant-coureurs de ce coup d’État, et les restrictions des libertés des journalistes ont commencé bien avant aujourd’hui.
Cette vidéo montre des éléments des Forces de Soutien Rapide (FSR) rouer des passants de coups de bâton, en marge des manifestations, tandis que des tirs retentissent. Vidéo diffusée par @ThomasVLinge sur Twitter.
Les manifestants pro-militaires, qui campaient devant le palais du gouvernement depuis le 6 octobre, ont empêché, parfois en usant de violence, les journalistes de filmer leur sit-in, y compris les médias internationaux comme la BBC.
Il y a deux semaines déjà, l’appareil de renseignement avait émis une interdiction de quitter le territoire visant plusieurs personnalités politiques issues de la société civile, parmi elles un membre du Conseil de souveainté, Mohammed al-Fakki Sueima, et un conseiller du Premier ministre, Abdallah Hamdok.
Le ministre de l’Industrie, Ibrahim al-Cheikh, a été arrêté chez lui au milieu de la nuit de manière humiliante. Il a publié un message sur Twitter juste avant son arrestation disant : “des militaires sont en train de prendre d’assaut mon domicile”. Puis des images de l’arrestation ont été diffusées sur les réseaux sociaux.
Photo montrant l’arrestation du ministre de l’Industrie, Ibrahim al-Cheikh, dans la nuit du 25 octobre, pas des individus en civil. Sur l’une des photos, on voit un de ces hommes, en chemise bleue, porter un fusil. @MohdSalam
La plupart des magasins sont fermés, les routes principales fermées par l’armée et Internet a été coupé. Au Soudan, beaucoup de choses fonctionnent avec Internet, prendre rendez-vous chez le médecin, commander un taxi, faire des courses. Le pays est à l’arrêt, mais les Soudanais ne se résignent pas. Les Soudanais sont descendus massivement dans les rues pour protester contre l’annonce du président Abdel Fattah al-Burhan de dissoudre le Parlement en début d’après-midi.
Nous allons vers l’inconnu, mais nous ne nous rendrons pas. Nous n’accepterons jamais une confiscation de notre révolution.
Mohammed al-Assam, l’un des leaders de l’Association des professionnels Soudanais, une figure de proue de la révolution de décembre 2019, a rejoint les manifestants contre le coup d’État, comme le montre cette vidéo relayée sur les réseaux sociaux.
“Ils veulent entraîner le pays dans la violence et le chaos. Mais personne n’aura recours à la violence. Notre révolution est pacifique et le restera”, clame Mohammed al-Assam dans cette vidéo. Source: Twitter / @ThomasVLinge
La crise politique au Soudan se déroule sur fond d’une grave crise économique. Le pays est lourdement endetté alors que le quotidien des Soudanais est rythmé par des pénuries de gaz, d’électricité et de carburant.