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Mexique : les migrants haïtiens qui espèrent entrer aux États-Unis sont “ouvertement discriminés”

Le campement de dizaines de milliers de migrants, dont de nombreux Haïtiens, sous un pont à Del Rio, au Texas, avait attiré l’attention des médias internationaux. Deux semaines plus tard, il a été levé et des milliers d’Haïtiens sont retournés au Mexique, où ils sont confrontés à une forte discrimination et à la précarité. Notre Observatrice, qui dirige une ONG dans une ville mexicaine frontalière, affirme que le sort des migrants haïtiens y est “pire que celui de tout autre groupe”. 

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À son apogée, le 18 septembre, le campement de Del Rio comptait environ 15 000 personnes. Le 24 septembre, le camp avait été en grande partie vidé. 

Entrer légalement aux États-Unis pour y déposer une demande d’asile est devenu pratiquement impossible, à cause d’un décret migratoire, le “Title 42”. Cette mesure de santé publique, mise en place en mars 2020 par l’administration Trump, permet d’expulser les demandeurs d’asile potentiels sans procédure régulière, afin de limiter la propagation du Covid-19. En vertu de cette directive, les États-Unis ont renvoyé près de 4 000 migrants vers Haïti, en seulement neuf jours, sous prétexte qu’ils avaient la nationalité haïtienne, alors que beaucoup d’entre eux vivaient dans d’autres pays depuis des années. Des milliers d’autres ont décidé de retourner au Mexique pour éviter l’expulsion et réfléchir à leurs prochaines étapes. 

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Une vidéo publiée sur Twitter le 22 septembre montre des migrants expulsés qui sont arrivés en masse, et en colère, à l’aéroport de Port-au-Prince, à Haïti.

“De plus en plus d’Haïtiens ont entendu dire qu’il était maintenant possible de passer légalement aux États-Unis depuis Del Rio”

Felicia Rangel-Samponaro, fondatrice d’une école dans un camp de réfugiés (Sidewalk School for Asylum Seekers) à Matamoros, au Mexique, à la frontière avec les États-Unis, opère actuellement avec son association dans la ville voisine de Reynosa. Elle y offre soutien, éducation, tests Covid-19 et nourriture aux réfugiés et aux migrants se trouvant à la frontière. 

Matamoros et Reynosa, au Mexique, se trouvent à environ 530 km au sud-est de Del Rio, au Texas.
Matamoros et Reynosa, au Mexique, se trouvent à environ 530 km au sud-est de Del Rio, au Texas. © Observateurs/datawrapper

Selon elle, les différentes politiques d’immigration des États-Unis et la crise du camp de Del Rio ont contribué à augmenter le nombre de migrants haïtiens au Mexique. 

Les demandeurs d’asile haïtiens se déplacent souvent, et ils se déplacent en grands groupes. Nous avons toujours eu des Haïtiens à Reynosa, mais leur pourcentage a augmenté depuis les événements au camp de Del Rio. Il y a de plus en plus d’Haïtiens qui viennent du Chili ou de la République dominicaine, parce qu’ils ont entendu dire qu’il était maintenant possible de passer légalement aux États-Unis depuis Del Rio. 

Ils ont commencé à venir de Del Rio à Matamoros et Reynosa [NDLR : environ 530 km au sud-est de Del Rio] pensant être plus proches de Del Rio qu’ils ne l’étaient. Certains d’entre eux n’ont pas réalisé que juste en face de notre campement, il y a le port d’entrée vers McAllen, au Texas. Ils pouvaient se présenter à la patrouille frontalière et essayer de passer la frontière. Nous leur avons conseillé de ne pas le faire car ils seraient expulsés, mais un groupe a quand même essayé.

Actuellement, il y a un peu plus de 2 000 personnes [dans le campement de Reynosa, NDLR], principalement des personnes qui ont été expulsées en vertu du “Title 42”. Ils ont réussi à passer la frontière des États-Unis mais n’ont même pas eu la possibilité de déposer une demande d’asile.


Des photos publiées sur Twitter le 24 septembre montrent le campement installé dans la ville frontalière de Reynosa, au Mexique.

Alors que des milliers de personnes ont été expulsées vers Haïti, près de 8 000 personnes qui se trouvaient au camp de Del Rio se sont dirigées vers le Mexique. Mais c’est aussi le cas de nombreux autres Haïtiens qui n’avaient pas réussi à atteindre Del Rio, et qui avaient fait le voyage vers la frontière américaine depuis d’autres pays en Amérique du Sud ou en Amérique centrale. Des pays où il est plus facile et moins coûteux d’immigrer que les États-Unis, et où beaucoup d’Haïtiens se sont installés après le tremblement de terre de 2010 qui a causé d’énormes dégâts et accru la précarité économique sur l’île. 

Selon Felicia Rangel-Samponaro, ils sont confrontés à des difficultés encore plus grandes que les autres migrants et demandeurs d’asile présents au Mexique, en raison des discriminations et d’une surveillance accrue.

“Nous nous sommes arrêtés et les militaires ont encerclé ma voiture”

Le 18 septembre, Felicia Rangel-Samponaro est allée aider un groupe de migrants haïtiens qui tentaient d’atteindre la frontière, mais elle a été arrêtée en cours de route par les autorités mexicaines. 

J’ai entendu parler [par mes collègues mexicains] de plusieurs bus contenant environ 400 Haïtiens se dirigeant vers la frontière. Ils avaient été arrêtés par des militaires mexicains et forcés de descendre du bus et de marcher. Ils ont passé la nuit dans une église et ont prévu de former une caravane [le long de l’autoroute] le lendemain. J’y suis allée en voiture, et j’ai vu que l’armée mexicaine les aidait. Des gens, des inconnus, ont commencé à aider les migrants, à les faire monter dans leur voiture, leur camionnette, leur camion. Ce n’est pas vraiment une bonne chose à faire, en raison des cartels qui sévissent au Mexique… Mais l’armée mexicaine était d’accord et laissait faire parce qu’elle voulait qu’ils quittent l’autoroute. Victor, l’autre directeur de l’école, et moi, avons récupéré neuf demandeurs d’asile haïtiens. C’étaient des familles avec un nouveau-né et deux enfants de moins de six ans. Nous les avons conduits, en passant trois fois devant la police d’État, et personne ne nous a arrêtés.





Quand nous étions à 30 minutes de Reynosa, il y a eu un poste de contrôle avec des militaires mexicains. Nous ne pouvions pas le contourner. On s’est arrêtés et ils ont encerclé ma voiture, c’était effrayant. Ils nous ont dit que tout le monde devait sortir et que ça pouvait se passer de façon simple, ou beaucoup plus compliquée. Nous leur avons demandé pourquoi ils forçaient les demandeurs d’asile haïtiens à sortir du véhicule et ils n’ont donné aucune explication. 

Ce n’était pas seulement ma voiture, ils ont arrêté toutes celles qui descendaient cette route et ils ont fait sortir tout le monde pour voir qui s’y trouvait. Ils ont fait sortir les demandeurs d’asile de la mienne, puis ils les ont encerclés et les ont guidés vers une camionnette dans laquelle ils ont fait monter tout le monde. Nous travaillons au Mexique depuis trois ans et cela ne s’était jamais produit auparavant, en tout cas jamais avec des Centraméricains.





Felicia Rangel-Samponaro a demandé à suivre le fourgon pour être sûre que les migrants allaient seulement subir un contrôle d’identité, et ne pas être maltraités. Elle a demandé si elle pouvait emmener les neuf personnes qui étaient avec elle dans un refuge à Reynosa, mais les forces de sécurité ont refusé. Le lendemain matin, elle a appris qu’ils avaient été envoyés à Veracruz, une ville du sud-est du Mexique située à environ 950 km de là où ils se trouvaient.

“La situation des demandeurs d’asile noirs est pire que celle de tout autre groupe.”

Les demandeurs d’asile haïtiens sont les plus mal lotis. Ils ne peuvent pas se cacher au Mexique ; la couleur de leur peau les distingue des demandeurs d’asile d’Amérique centrale. Et le racisme au Mexique est très fort. Les gens ne veulent pas leur servir de la nourriture ou leur vendre de l’eau – je l’ai vu moi-même. Ils ne leur louent pas d’appartement. Donc, quand je dis que les demandeurs d’asile noirs se confrontent à une vie plus dure que tout autre groupe, c’est vrai. Ils ne peuvent pas se fondre dans la masse, ils sont très ouvertement discriminés par de nombreuses personnes tout au long du parcours. Ils ne parlent pas la langue. Ils ont donc beaucoup d’éléments qui jouent contre eux, et je suis sûre que les gens s’en rendent pas compte. 

Il y a toujours de l’espoir, surtout pour les demandeurs d’asile haïtiens, ils n’ont pas d’autres options. Leur pays d’origine est complètement détruit. Ils n’ont rien à retrouver en y revenant. Le seul espoir auquel ils s’accrochent est d’arriver aux États-Unis. Et c’est tout. 

L’assassinat du président Jovenel Moïse, le 7 juillet, a provoqué un afflux d’Haïtiens cherchant à obtenir l’asile aux États-Unis, entraînant une instabilité et des troubles civils dans tout le pays. Un tremblement de terre dévastateur de magnitude 7,2 a ensuite secoué le pays le 14 août. 

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