Kim Yo-jong, la très influente sœur du dirigeant nord-coréen Kim Jong-un, a été nommée, jeudi, au sein du plus important organe de décision du régime. De quoi relancer les spéculations sur l’étendue du pouvoir d’une femme qui semble avoir gravi tous les échelons du régime en deux ans.
C’est l’un des grands mystères d’un régime déjà lui-même très mystérieux. Quel est le réel pouvoir de Kim Yo-jong, la sœur du leader nord-coréen Kim Jong-un ? Elle semble avoir gagné du galon, puisqu’elle est devenue, jeudi 30 septembre, membre à part entière de la très influente Commission des affaires d’État, présidée par Kim Jong-un lui-même.
Cette nomination la place au cœur d’un organe de treize membres qui “est, depuis sa création en 2016, la plus importante instance décisionnaire du pays, ce qui permet de formaliser l’influence politique détenue par Kim Yo-jong”, explique Ramon Pacheco Pardo, spécialiste de la Corée du Nord au King’s College de Londres, contacté par France 24.
Une sœur omniprésente
L’entrée de Kim Yo-jong dans le saint des saints politique aurait pu passer inaperçue dans le contexte coréen actuel. Tous les regards étaient en effet tournés vers Kim Jong-un, qui a appelé à une réouverture des canaux diplomatiques avec la Corée du Sud dans un discours prononcé jeudi.
Mais les faits et gestes de Kim Yo-jong sont scrutés de près par les experts de la Corée du Nord, tant elle est souvent présentée comme une possible “dauphine” du maître de Pyongyang ou une numéro deux du régime.
L’influence réelle de cette femme de 34 ans sur les affaires de son pays intrigue depuis que le régime a orchestré ses premiers pas sur la scène médiatique en 2018. À l’époque, elle avait été la première membre de la dynastie Kim à rendre une visite officielle à la Corée du Sud. Son voyage à Séoul pour les Jeux olympiques d’hiver “a été présenté comme un succès diplomatique important pour la Corée du Nord”, rappelle Sojin Lim, spécialiste de la Corée du Nord à l’université de Lancaster, dans un article publié mercredi par le site The Conversation.
Depuis lors, elle semble omniprésente aux côtés de son frère sur la scène internationale. Elle l’a accompagné lors des trois face-à-face entre Kim Jong-un et le président américain Donald Trump (les sommets de 2018 et 2019 ainsi que la rencontre à la frontière entre les deux Corées en 2019), et elle était présente lors de la visite du président chinois Xi Jinping à Pyongyang, en juin 2019.
“Elle joue depuis deux ans un rôle clé pour le régime, qui l’utilise comme caisse de résonance des décisions de Pyongyang sur la scène internationale”, résume Antoine Bondaz, spécialiste de la péninsule coréenne pour la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), contacté par France 24.
Kim Yo-jong est aussi progressivement devenue “celle qui prend en charge la question des relations avec la Corée du Sud”, ajoute Ramon Pacheco Pardo. Preuve de son rôle central dans cet aspect stratégique de la politique nord-coréenne : en juin 2020, elle annonce que Pyongyang va sévir en représailles à l’envoi de tracts hostiles à Kim Jong-un accrochés à des ballons par des activistes sud-coréens. Le lendemain, le bureau de liaison entre la Corée du Nord et son voisin du sud explose. “Quand elle donne un ordre, il est exécuté sans attendre”, note Sojin Lim.
Une “dauphine” en devenir ?
Mais l’influence de Kim Yo-jong s’expliquait jusqu’à présent surtout par son lien de parenté avec le dirigeant nord-coréen, car elle n’apparaissait qu’en pointillé dans l’organigramme du régime. Elle est officiellement chargée de la propagande du régime et les médias d’État la désignent régulièrement comme “première vice-directrice du Parti des travailleurs”. Mais le régime n’a jamais “officiellement annoncé sa nomination à ce poste”, souligne Oh Gyeong-seob, chercheur à l’Institut coréen pour l’unification nationale, basé à Séoul, dans une étude consacrée au statut politique de la sœur de Kim Jong-un publiée en juin 2020.
“Elle a aussi été membre associée au politburo nord-coréen entre 2017 et 2020, mais elle n’en fait plus partie depuis janvier 2021”, souligne Ramon Pacheco Pardo. Une exclusion qui avait suscité son lot de spéculations autour d’une possible disgrâce de Kim Yo-jong. Elle aurait pris trop d’importance, faisant de l’ombre à son frère, et risquait de ce fait d’être écartée des cercles du pouvoir, notait l’agence AP en janvier 2021.
Sa nomination à la Commission des affaires d’État prouve que la petite sœur n’a pas été “purgée”. Pour certains, c’est même l’heure de la consécration : “Elle est déjà reconnue sur la scène internationale, exerce une certaine influence sur le parti, et il ne lui manquait qu’une place dans cet organe de décision pour qu’on ait l’impression que la Corée du Nord se prépare à se doter un jour de sa première femme dirigeante”, analyse Sojin Lim sur le site The Conversation.
D’autres estiment qu’il ne faut pas en faire l’héritière trop vite. “Si la Corée du Nord voulait qu’elle devienne la ‘dauphine’, elle aurait d’abord été promue à un poste plus important au sein du parti”, assure Antoine Bondaz. Avoir la mainmise sur le parti est une condition sine qua non pour qui veut monter sur le trône nord-coréen.
En outre, le maître de Pyongyang commence généralement à organiser sa succession quand la fin de son règne approche. À 37 ans, Kim Jong-un est loin d’avoir fait son temps et les rumeurs sur la dégradation de son état de santé semblent avoir fait long feu. S’il laissait s’installer le sentiment que sa sœur est prête à lui succéder, “ce serait donner l’impression que son pouvoir est fragilisé”, souligne Oh Gyeong-seob, dans son étude sur le statut de la sœur du dirigeant nord-coréen.
C’est probablement pour cela qu’elle a d’abord été exclue du politburo avant d’être intégrée à la Commission des affaires d’État. L’ascension de Kim Yo-jong a beau avoir été fulgurante ces deux dernières années, elle doit être maîtrisée.
Et pour l’instant, Kim Jong-un a plus besoin de sa sœur à la Commission des affaires d’État qu’au politburo. Ce n’est pas un hasard, en effet, si cette nomination intervient en même temps que l’appel de Kim Jong-un à une reprise des négociations avec la Corée du Sud. “Cela va donner encore plus de poids à ses dires car dorénavant celle qui s’occupe de la question sud-coréenne s’exprimera au nom de la plus haute instance décisionnaire du pays”, conclut Ramon Pacheco Pardo. Elle n’est donc plus seulement la fidèle sœur de… mais pas non plus l’héritière ou la numéro deux du régime.