Khartoum a déjoué, mardi, une tentative de coup d’État attribuée à des anciens responsables du régime d’Omar el-Béchir, chassé du pouvoir il y a deux ans par une révolte populaire. France 24 fait sur le point sur la transition démocratique en cours au Soudan.
Cette tentative de coup d’État n’est pas la première à viser le gouvernement de transition formé au Soudan après l’éviction, en avril 2019, d’Omar el-Béchir, renversé après 30 ans de règne sans partage. Emprisonné à Khartoum depuis sa destitution, ce dernier est actuellement jugé pour sa participation au coup d’État qui l’avait porté au pouvoir en 1989. L’ancien dirigeant est également réclamé par la Cour pénale internationale pour “génocide” et “crimes contre l’humanité” lors du conflit au Darfour, dans l’ouest du pays. France 24 fait le point sur la transition démocratique en cours avec Jérôme Tubiana, chercheur spécialiste du Soudan.
France 24: Khartoum a annoncé avoir déjoué une tentative de coup d’État menée par des partisans de l’ancien président Omar el-Béchir. Quelle est encore son influence aujourd’hui?
Jérôme Tubiana : Ce n’est pas Omar el-Béchir lui-même qui a une influence, mais des responsables de l’ancien régime encore en liberté. Ils ont été chassés du pouvoir, ils ont intérêt à déstabiliser la transition démocratique.
L’ancien régime était une alliance entre un appareil militaire très puissant et les Frères musulmans soudanais, qui avaient réussi à infiltrer une partie de l’armée, et pouvaient aussi compter sur des services de renseignement puissants. L’ancien directeur des services de sécurité et de renseignement soudanais (NISS), Salah Gosh, qui serait aujourd’hui exilé en Égypte, est considéré comme l’un des instigateurs principaux d’à peu près toutes les tentatives contre-révolutionnaires depuis 2019.
Comment la transition démocratique avance-t-elle plus de deux ans après la révolution ?
La transition reste fragile parce que l’économie va mal. Les réformes économiques du gouvernement sont très libérales, du type de celles que le FMI impose un peu partout. Cela impacte négativement le pouvoir d’achat de beaucoup de Soudanais et elles sont donc impopulaires
Du point de vue politique, les choses ne se passent pas si mal. Le Premier ministre, Abdalla Hamdok, parvient à jouer le rôle de dénominateur commun entre des acteurs aux aspirations diverses. Les militaires sont divisés entre l’armée régulière et les paramilitaires, tandis que les civils ont des idéologies allant de la gauche révolutionnaire à la droite conservatrice. Mais il y a un vrai intérêt commun de tous ces acteurs pour que la transition se passe bien. Les tentatives de coup d’Etat sont déjouées car beaucoup de militaires ne sont pas favorables à un retour à l’ancien régime.
Comment se passe le partage des responsabilités entre civils et militaires?
Le partage est réel au sein du Conseil souverain, l’organe qui dirige la transition. Les civils ont un vrai rôle d’entraînement, ce sont eux qui poussent le Soudan à se réintégrer au sein de la communauté internationale, et peut-être bientôt livrer l’ancien président Omar el-Béchir et les autres personnes recherchées par la Cour pénale internationale. Sur l’économie, on voit que ce sont des civils qui sont aux manettes. C’est plus compliqué sur d’autres questions sensibles comme la réforme du secteur de la sécurité et tout ce qui concerne l’armée.
Enfin, il y a des acteurs comme les rebelles qui ont signé la paix, qui échappent à la division entre civils et militaires. Ce sont des militaires parce qu’ils ont encore des forces armées mais ils ne font pas partie de l’appareil sécuritaire soudanais. Ce sont des révolutionnaires et, politiquement, la plupart d’entre eux ont plutôt des liens avec les civils. Ces acteurs remettent aujourd’hui la question de la paix et la sécurité dans des zones de conflit comme le Darfour au centre de l’équation politique.