Le gouvernement américain a commencé, dimanche, l’expulsion des milliers de migrants regroupés depuis plusieurs jours sous un pont dans la ville frontalière de Del Rio, au Texas. Près de 15 000 migrants, dont de nombreux Haïtiens, avaient franchi la frontière depuis le Mexique en seulement quelques jours. Un afflux soudain qui pourrait fragiliser le président Joe Biden. France 24 fait le point sur cette crise humanitaire à la frontière sud des États-Unis.
Près de 15 000 migrants ont pénétré la semaine dernière sur le territoire américain en franchissant le Rio Grande au niveau de la ville texane de Del Rio. Ce pays pauvre des Caraïbes a récemment été frappé par une nouvelle catastrophe naturelle – un séisme qui a tué 2 200 personnes en août – et par l’instabilité politique consécutive à l’assassinat de son président Jovenel Moïse en juillet. France 24 fait le tour des questions soulevées par cette crise humanitaire à la frontière sud des États-Unis.
Quelle est la situation sur place ?
Des milliers de migrants campent toujours sous un pont dans le ville-frontière de Del Rio au Texas, à environ 600 km à l’est d’El Paso. Ils “sont principalement originaires d’Haïti (…) ils attendent juste d’être arrêtés par les gardes-frontières” pour entamer les démarches d’autorisation de séjour, a expliqué le maire de la commune, Bruno Lozano, dans une vidéo mise en ligne sur Twitter.
Selon l’édile démocrate, le nombre de migrants bloqués sous le pont est passé de moins de 2 000 en début de semaine à plus de 14 800, samedi 18 septembre. Cet afflux soudain a entrainé une crise humanitaire, accentuée par des conditions insalubres et de fortes chaleurs.
“Les circonstances extrêmes appellent des réponses extrêmes”, a déclaré le maire de Del Rio au journal Texas Tribune. “Il y a des femmes qui accouchent, des gens qui s’évanouissent à cause de la température, ils sont un peu agressifs et c’est normal après tous ces jours dans la chaleur.”
Le pont a été fermé à la circulation dès vendredi et des renforts de gardes-frontières ont été envoyés sur place.
Que font les autorités américaines ?
Les gardes-frontières américains ont assuré avoir distribué de l’eau potable, des serviettes et des toilettes portatives aux migrants. Mais les images prises par les photojournalistes sur place montrent surtout des gardes-frontières à dos de cheval tentant d’empêcher des migrants de traverser le Rio Grande, qui marque la frontière entre la ville mexicaine de Ciudad Acuña et la bourgade texane de Del Rio.
La police américaine des frontières, la CBP, a ainsi envoyé 400 agents supplémentaires, tandis que plusieurs bus ont été affrétés pour désengorger Del Rio. Les migrants ont été envoyés vers d’autres centres de gardes-frontières, où leurs dossiers seront examinés, ainsi que des avions prévus pour les expulsions.
De fait, l’administration Biden veut faire preuve de fermeté, en soulignant que l’immigration clandestine était une “menace importante pour la santé et le bien-être des habitants proches de la frontière et pour la vie des migrants eux-mêmes”.
“La grande majorité des migrants continue à être expulsée en vertu” d’une règle sanitaire adoptée au début de la pandémie pour limiter la propagation du virus, a précisé le ministère de la Sécurité intérieure. La décision d’un juge fédéral ordonnant aux autorités de ne plus refouler les familles de migrants dans le cadre de cette règle semble rester lettre morte – le gouvernement ayant fait appel dès vendredi.
Comment se passent les expulsions ?
Rapidement. Trois vols partis du Texas ont atterri, dimanche 19 septembre, sur le tarmac de Port-au-Prince en l’espace de deux heures. Selon le New York Times, les autorités haïtiennes s’attendent à six vols par jour pendant trois semaines, qui seront répartis entre la capitale Port-au-Prince et la ville de Cap Haïtien. Les expulsés, qui comprenaient plusieurs familles, ont reçu un repas, 100 dollars, et ont été testés pour le Covid-19, selon l’Office national de la migration haïtien. Le ministère américain de la Sécurité intérieure a également fait état d’autres expulsions à venir vers le Mexique, l’Équateur, le Honduras, Salvador et le Guatemala.
De nombreux Haïtiens actuellement bloqués à Del Rio sont, en effet, originaires de divers pays sud-américains. Selon les manifestes des trois vols ayant atterri dimanche à Port-au-Prince, près de la moitié des 327 Haïtiens expulsés par les États-Unis avaient moins de 5 ans et tous ces enfants étaient nés hors d’Haïti. L’AFP rapporte que ces Haïtiens avaient vécu plusieurs années au Chili et au Brésil, où ils avaient émigré au courant des années 2016 et 2017, avant de tenter de rejoindre les États-Unis à la faveur d’une supposée ouverture des frontières.
Quel est l’impact pour le président Biden ?
La détérioration de la situation à Del Rio a été saisie comme une opportunité par l’opposition républicaine, qui accuse depuis plusieurs mois le président Biden d’alimenter une “crise migratoire” en assouplissant les mesures de son prédécesseur Donald Trump. Après s’être rendu sur place, le sénateur républicain Ted Cruz a ainsi dénoncé “un désastre causé par Joe Biden”.
Selon lui, les migrants haïtiens ont afflué “parce que le président Joe Biden a pris la décision politique d’annuler les vols d’expulsion vers Haïti” après l’assassinat en juillet du président Jovenel Moïse, qui a accentué le chaos sur l’île des Antilles.
La fermeté de l’administration Biden et la multiplication des vols d’expulsion risquent maintenant d’ouvrir une fracture avec l’aile gauche du Parti démocrate, qui souligne le caractère humanitaire de la crise actuelle. “Ces migrants haïtiens ont déjà beaucoup souffert lors du voyage dangereux vers notre frontière”, a ainsi tweeté l’élue du Congrès, Ilhan Omar. “L’absence d’empressement à leur venir en aide est alarmante”.
Avec AFP, Reuters et AP