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L'artiste birman Bart Was Not Here en résistance contre la junte militaire

Depuis samedi, sept artistes birmans, engagés contre la junte militaire qui s’est emparée du pouvoir le 1er février, sont exposés place du Palais-Royal, à Paris, à l’initiative de l’ONG Human Rights Watch. Parmi eux, Bart Was Not Here, réfugié en France depuis juin. Rencontre.

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“Je ne suis pas un activiste, je suis un artiste.” Kyaw Moe Khine, plus connu sous son nom d’artiste, Bart Was Not Here ou Bart, refuse catégoriquement d’être présenté comme un opposant politique. Pourtant, depuis le coup d’État du 1er février en Birmanie, cet artiste de 25 ans, désormais réfugié à Paris, n’a cessé d’utiliser son talent pour militer contre la junte militaire.

Il fait partie des sept artistes birmans exposés jusqu’au 18 octobre place du Palais-Royal à Paris, à l’occasion d’une exposition organisée par l’ONG Human Rights Watch, intitulée “Fighting Fear: #WhatshappeninginMyanmar“. 

À quelques pas du Louvre, cette grande installation met en avant une série d’œuvres dénonçant la situation politique dans ce pays du Sud-Est asiatique. Aux côtés de photographies des manifestations qui ont suivi la prise de pouvoir par les militaires, les dessins de Bart offrent une effusion de couleurs. Empreintes d’influences pop art, elles se moquent tour à tour du moine religieux extrémiste Wirathu, tout juste libéré par la junte, du général Thein Sein, au pouvoir en Birmanie de 2011 à 2016, ou encore du chef des renseignements birmans.  

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L'exposition "Fighting Fear: #Whatshappeninginmyanmar", organisée par Human Rights Watch, place du Palais-Royal à Paris.
L’exposition “Fighting Fear: #Whatshappeninginmyanmar”, organisée par Human Rights Watch, place du Palais-Royal à Paris. © Cyrielle Cabot, France 24

“Certaines datent d’avant le coup d’État”, explique Bart, lors d’une rencontre avec France 24 à la veille du lancement de l’exposition, samedi. “Aujourd’hui, je trouve ces satires plus importantes que jamais. Parce qu’elles montrent que je n’ai pas peur des militaires, je n’ai pas peur de me moquer d’eux, de les humilier. Qu’est-ce qui pourrait m’arriver de pire ? Qu’ils me tuent. Soit”, assène-t-il, avec un haussement d’épaules.

Avant le 1er février, ce jeune homme aux cheveux longs, toujours habillé de noir, tenait un petit studio au cœur de la capitale économique Rangoun, lui peignant d’un côté, sa petite amie, fleuriste, travaillant de l’autre. Ce “touche-à-tout”, comme il aime le dire, commençait à s’essayer à la sculpture. Le reste du temps, il travaillait sur une série de dessins intitulée “The God Complex”. “Je voulais représenter le monde que j’imagine à l’intérieur de la lampe d’un génie”, raconte-t-il. “Bien loin de la politique…”

“Je ne me considère pas comme un artiste engagé”, insiste-t-il. “Pour moi, peu importe ce qu’il se passe, c’est l’art d’abord, le reste ensuite.”

“Je n’ai jamais autant créé qu’à cette période”

La veille du coup d’État, l’artiste s’adonnait à l’une de ses activités préférées : peindre une immense fresque murale avec un ami. “Nous devions peindre la façade d’une usine à Rangoun”, se souvient-il. “Cela devait nous prendre deux jours. Le 31 janvier, nous sommes allés nous coucher, contents, pensant terminer le lendemain en discutant et en mangeant un barbecue.”

La fresque n’a finalement jamais été achevée. “Au réveil, Internet était bloqué, la télévision coupée et la radio ne diffusait plus que la même musique traditionnelle entêtante. On a tout de suite compris que quelque chose clochait.”

Dans les jours qui suivent, Bart prend part aux immenses manifestations pacifiques qui défilent dans la capitale birmane. Au moment où les médecins, les enseignants et de nombreux travailleurs se mettent en grève, lui décide d’apporter sa pierre à l’édifice en dessinant. “Je n’ai jamais autant créé qu’à cette période”, s’exclame-t-il, avant de rire. “Il n’y a pas à dire, c’était inspirant. Ce n’était pas l’art que j’avais l’habitude de faire, mais à ce moment-là, cela me paraissait une évidence et la bonne chose à faire.”

Quotidiennement, comme des dizaines d’autres artistes, il s’assoit à quelques pas des cortèges, au coin d’une rue, feutres et pinceaux à la main et dessine à la chaîne sur les pancartes des manifestants. “The God Complex” et ses projets de sculpture sont délaissés au profit du salut à trois doigts, signe de la résistance pacifique, de slogans ou de dessins des manifestations. Son objectif : motiver et inspirer les membres de ce nouveau mouvement de désobéissance civile. 

Le soir, il continue à dessiner, multipliant les illustrations numériques, destinées, cette fois-ci, à être partagées massivement sur les réseaux sociaux. “L’une d’elles est même devenue virale”, se félicite-t-il. Le dessin en question : un tag, très simple, affichant le mot “disobey” (désobéir), sur un fond rouge. 

“Cette période a entraîné une véritable explosion de créativité pour ces jeunes manifestants”, analyse auprès de France 24, Phil Robertson, responsable du programme Asie pour Human Rights Watch. “L’art a réellement été un outil phare de la résistance au coup d’État. Il a donné aux manifestants les outils pour s’exprimer et des messages derrière lesquels se rassembler.”

Les artistes, cibles des militaires

Mais au bout de quelques semaines, la répression sanglante a eu raison des manifestations, transformant les rassemblements pacifiques en scènes de guérillas urbaines. Au total, plus de 6 500 personnes ont été arrêtées depuis le 1er février et 1 108 ont été tuées, selon le décompte effectué quotidiennement par l’Association d’assistance aux prisonniers politiques (AAPP).

“Et les artistes, comme les journalistes, les réalisateurs et d’autres personnalités publiques, sont parmi les premiers visés par la junte. C’est logique, les militaires cherchent à faire taire tous ceux qu’ils considèrent comme des leaders du mouvement de désobéissance”, poursuit Phil Robertson. “Beaucoup sont désormais obligés de vivre reclus, tandis que d’autres ont fui en Thaïlande voisine. Quelques chanceux ont pu partir à l’étranger.”

Plusieurs personnalités de la culture ont ainsi été arrêtées ces derniers mois, notamment des professionnels du cinéma comme l’acteur-producteur Lu Min, la réalisatrice Christina Kyi ou encore l’acteur et modèle Paing Takhon, tous ouvertement opposés à la junte. 

Quatre poètes ont par ailleurs été tués, provoquant un vif émoi dans le pays. Parmi eux, K Za Win, abattu d’une balle à la tête début mars. Quelques jours après le coup d’État, il avait publié un poème largement partagé, intitulé “Révolution”, qui finissait sur ces vers : “L’aube viendra /C’est le devoir des audacieux /de conquérir l’ombre et de faire advenir la lumière.”

Si Bart, lui, assure ne pas avoir été spécifiquement ciblé par les militaires, il témoigne du climat de peur qui régnait dans la capitale avant son départ. “Un jour, la police est venue, a fermé ma rue sans raison apparente et a tiré à balles réelles, dans le vide. On a retrouvé une balle dans la voiture de ma mère”, raconte-t-il. 

Aider depuis l’étranger 

Pour autant, le jeune homme assure que ce n’est pas la raison qui l’a poussé à postuler, en mars, à l’offre d’une résidence d’artistes à la Cité des arts à Paris. “Initialement, je devais quitter la Birmanie en 2020 pour rejoindre les États-Unis où vit ma sœur”, explique-t-il. “Malheureusement, le Covid-19 m’en a empêché. Alors quand l’opportunité de cette résidence artistique en France s’est présentée, j’ai sauté sur l’occasion.”

Arrivé en juin, Bart tente désormais de s’adapter à sa nouvelle vie. Mais, son téléphone ne cesse de s’éclairer, au gré du flot continu de messages qu’il reçoit de ses proches, de ses amis et de connaissances, le ramenant inlassablement à la situation sur place. 

“Parfois, je me balade, ravi de découvrir cette ville et toutes les opportunités que cela m’offre. Et puis un message me rappelle la violence dans laquelle est plongée la Birmanie. Dans ces moments-là, c’est difficile de ne pas culpabiliser d’être parti”, admet-il. Avant de se consoler : “Malgré tout, je suis persuadé que je suis plus utile ici. Je peux travailler d’arrache-pied, en étant plus en sécurité.”

Aujourd’hui, l’artiste espère ainsi multiplier les ventes de ses œuvres pour lever des fonds et aider la résistance sur le terrain. “Je suis né sous la dictature, puis j’ai connu la démocratie. Avec Aung San Suu Kyi, tout n’était pas parfait, loin de là, mais au moins, l’avenir semblait lumineux”, témoigne-t-il. “Nous avions de l’espoir. Maintenant, nous devons continuer à nous battre pour ne pas revenir dans l’ombre.”

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