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Vingt ans après le 11-Septembre, les États-Unis transformés en forteresse sécuritaire

Après les attentats de 2001, les États-Unis ont réformé en profondeur leur politique en matière d’immigration. L’entrée et le séjour des étrangers sont sévèrement contrôlés et le nombre des expulsions s’est envolé. Au nom de la sécurité nationale, une politique musclée de surveillance et de contrôle a été mise en place – une politique qui, pour beaucoup, crée des discriminations et entraîne un recul des libertés.

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Au lendemain du 11-Septembre, l’administration Bush lance une “guerre contre la terreur” qui va conduite les États-Unis à engager deux guerres : l’une en Afghanistan, dès octobre 2001, et l’autre en Irak, à partir de mars 2003.

Sur le front intérieur, le “Homeland Security Act” est adopté à une écrasante majorité du Congrès en novembre 2002. Avec cette loi sur la sécurité intérieure, l’immigration aux États-Unis devient un enjeu sécuritaire. Les “mauvais” immigrants seront désormais pourchassés et expulsés.

À l’aide de cet arsenal législatif, le gouvernement crée une nouvelle agence, le Département de la sécurité intérieure (DHS), qui regroupe plusieurs administrations existantes et obtient des pouvoirs étendus en matière de surveillance du territoire et d’arrestations.

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>> À lire aussi : “11-Septembre : de Manhattan à Brooklyn, mémoires d’une journée en enfer”

L’objectif est bien entendu de repérer toute menace terroriste potentielle. De fait, cette réforme permet aux forces de police américaines d’inquiéter n’importe qui, n’importe où sur le territoire américain, notamment à ses frontières.

Pour entrer sur le territoire américain, il faut désormais soit un visa, soit une autorisation d’entrée (ESTA, système électronique d’autorisation de voyage géré par le DHS et obligatoire depuis 2009). Cette mesure s’applique aux touristes comme aux passagers en transit.

Restreindre et contrôler l’immigration

Le “Homeland Security Act” vise également les millions d’immigrés sans papiers qui vivent et travaillent aux États-Unis. “Avec la création du DHS, les forces de sécurité du pays ont changé de cylindrée afin d’augmenter leurs capacités à arrêter et expulser de plus en plus de personnes”, estime Mizue Aizeki, directrice adjointe de l’ONG Immigrant Defence Project (Projet de défense des immigrés), une équipe de juristes basée à New York qui défend les droits des étrangers menacés d’expulsion.

En 2003, la création d’une “super” police de l’immigration dénommée ICE (pour “Immigration and Customs Enforcement”) fait entrer les États-Unis dans une nouvelle dimension. La mission de l’ICE n’est pas de surveiller les frontières mais de traquer les immigrants sans papiers partout sur le territoire. Entre 2003 et 2013, le nombre de renvoi d’étrangers double aux États-Unis, passant de 211 000 à 432 000 expulsions chaque année. Quelque 95 % de ces expulsions concernent des Latinos, originaires du Mexique et d’Amérique centrale (Salvador, Honduras, Guatemala…)

En 20 ans, le nombre d'étrangers expulsés des États-Unis a plus que doublé.
En 20 ans, le nombre d’étrangers expulsés des États-Unis a plus que doublé. © Studio graphique France Médias Monde

La refonte de l’appareil sécuritaire américain en 2002 “a été rendu possible par le choc qu’a provoqué les attentats et a permis de dégager des financements exceptionnels pour faire naître le dispositif que l’on connaît aujourd’hui. Celui-ci met toutes les forces de police au service de la politique de contrôle de l’immigration”, affirme la défenseure des étrangers.

Lorsqu’un agent de police locale constate une infraction routière ou un autre délit mineur, le fautif peut désormais être livré à l’ICE s’il n’a pas de papiers et se retrouver rapidement pris dans le “pipeline des expulsions”.

Traquer les étrangers comme des terroristes

Depuis 2002, aucune administration américaine n’a remis en cause ce dispositif mis au point sous la présidence de George W. Bush (2000-2008). Sous l’ère Obama (2008-2016), une disposition permettant de transmettre à l’ICE les empreintes digitales collectées par la police et dans les prisons a entraîné l’expulsion d’au moins 500 000 étrangers.

Mizue Aizeki explique que la nouvelle politique de contrôle de l’immigration utilise les techniques de lutte antiterroriste développées par l’armée américaine en Irak et en en Afghanistan. Elle a en effet recours à des techniques de reconnaissance faciale et d’exploitation de données biométriques (empreintes digitales, balayage de l’iris, prélèvements ADN).

Pour débusquer des étrangers en situation illégale, les services de l’immigration utilisent désormais des équipements militaires. En 2019, une brigade de l’ICE est intervenue dans une rue du Queens, l’un des cinq arrondissements (“boroughs”) de la ville de New York, avec un véhicule blindé. En 2020, un policier de l’ICE a été filmé dans le Bronx armé d’un fusil automatique.

Genia Blaser, avocate de l’ONG Immigrant Defense Project, rapporte de son côté des cas de parents arrêtes par l’ICE après avoir déposé leurs enfants à l’école ou alors qu’ils revenaient de la laverie. L’agence de contrôle de l’immigration est aussi connue pour ses raids spectaculaires sur les lieux de travail de personnes qu’elle vient arrêter.

Ces pratiques ont donné naissance en 2018 à “Abolish ICE” (“supprimer l’ICE”), une campagne soutenue par la gauche américaine et notamment par l’élue new-yorkaise Alexandria Ocasio-Cortez.

Depuis l’élection de Joe Biden, les opérations menées par l’ICE sont moins nombreuses. “Nous constatons que ces pratiques qui conduisent souvent à séparer des familles ont toujours lieu. Mais elles sont plus discrètes alors que sous la présidence de Donald Trump, elles étaient bien plus visibles.”

Obsession sécuritaire et discriminations

Cette politique de contrôle stricte, méthodique et parfois brutale de l’immigration a créé des situations que beaucoup jugent inhumaines. Vingt ans après les attentats du 11-Septembre, elle engendre aussi des pratiques discriminatoires vis-à-vis des citoyens américains d’origine arabe ou de confession musulmane. Face à une police toute puissante et aux méthodes opaques, certains se sentent désormais assimilés à des étrangers.

Ali a 35 ans. Né aux États-Unis de parents libanais, cet ingénieur en informatique se demande parfois s’il est vraiment un Américain comme les autres. À chaque fois qu’il prend l’avion, son prénom et son nom de famille à consonance nettement arabe lui jouent des tours. “Depuis mes 18 ans, à chaque fois qu’il faut passer un contrôle de sécurité, je suis systématiquement fouillé et interrogé. Les contrôles aléatoires tombent toujours sur moi.”

Il y a quelques années, Ali s’était rendu en Caroline du Sud dans le cadre de ses activités professionnelles. Au moment de prendre l’avion pour retourner en Californie où il réside, il ne parvient pas à finaliser son enregistrement à une borne automatique.

Ali n'a pas souhaité que son nom de famille soit mentionné dans cet article.
Ali n’a pas souhaité que son nom de famille soit mentionné dans cet article. © DR

Il se présente alors au comptoir de la compagnie aérienne. L’employée lui demande une pièce d’identité pour procéder à l’enregistrement et lui dit : “C’est étrange, vous êtes sur une liste de passagers à surveiller.” Sans pouvoir lui indiquer la raison.

Pour Ali, c’est un choc. Né aux États-Unis, le jeune ingénieur ne comprend pas pourquoi son nom figure sur une liste spéciale et entreprend des démarches auprès du DHS. Depuis des mois déjà, il s’étonnait de ne pouvoir procéder à des enregistrements en ligne.

Après des mois d’insistance, il n’obtient aucune réponse formelle, mais constate cependant qu’il peut à nouveau s’enregistrer sans avoir à se présenter à un agent d’une compagnie aérienne. Pour autant, “dans les aéroports, les contrôles aléatoires tombent toujours, toujours, toujours sur moi !”, assure-t-il.

>> À lire aussi : “Vingt ans après le 11-Septembre, les blessures des Arabes américains”

Naheed Samadi Bahram, elle, est née en Afghanistan. Directrice d’une organisation new-yorkaise de soutien aux femmes afghanes, elle décrit des expériences similaires. Résidente depuis 2006, naturalisée depuis peu, elle raconte qu’à chaque fois qu’elle revient aux États-Unis après un séjour à l’étranger, elle est systématiquement interrogée dans un bureau et traitée différemment des autres passagers.

Naheed Samadi Bahram, directrice d'une association d'aide aux femmes afghanes, dans son bureau du quartier du Queens à New York, le 8 septembre 2021.
Naheed Samadi Bahram, directrice d’une association d’aide aux femmes afghanes, dans son bureau du quartier du Queens à New York, le 8 septembre 2021. © Colin Kinniburgh, France 24

“Je suis musulmane et je ne couvre pas mes cheveux. Je réside aux États-Unis depuis 15 ans et j’ai toujours eu la même adresse, j’ai toujours eu un travail, je n’ai jamais rien caché aux autorités. Et pourtant, parce que je suis Afghane et que j’ai été réfugiée au Pakistan, j’ai droit à un traitement différent des autres citoyens américains.”

Le recul des libertés

Aux États-Unis, beaucoup dénoncent un phénomène de “criminalisation” de l’immigration et Mizue Aizeki, la directrice adjointe de l’ONG Immigrant Defense Project, estime qu’”il est possible de revenir à un monde où l’ICE et la loi sur la sécurité intérieure n’existeraient pas. Il y a 20 ans, personne n’aurait pu imaginer que des agents de l’immigration viendraient interpeller, pistolet à la main, des gens qui sortent d’une laverie.”

Son organisation milite pour que la lutte antiterroriste, “la guerre contre la terreur” initiée par George W. Bush, cesse d’être utilisée pour donner des pouvoirs illimités aux forces de police. “En faisant de la sécurité nationale et de la lutte antiterroriste la priorité de toutes les politiques, le gouvernement a restreint nos libertés individuelles.”

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