Dans les semaines suivant les attentats du 11-Septembre, l’Amérique est en état de choc et crie vengeance. Immigrants venus des pays arabes comme citoyens américains originaires du Moyen-Orient et de pays musulmans se retrouvent soudainement dans l’œil du cyclone. Injures, arrestations arbitraires, ils sont brutalement mis à l’index. Dans le quartier de Bay Ridge, à Brooklyn, on se souvient.
Attablés sur la 5e avenue de Brooklyn, Bassam et Ahmed semblent un peu gênés quand on les interroge sur leurs souvenirs du 11-Septembre. D’origine palestinienne, ils habitent ce quartier de Brooklyn depuis une trentaine d’années et évoquent avec une certaine ambiguïté un moment de grande tension.
“Le harcèlement contre certains citoyens arabes ou musulmans, après les attaques du 11-Septembre, n’a pas été créé par les autorités américaines mais par une fraction de la population que l’ont peut considérer comme marginalisée” ,explique Bassam.
“Ils ont réagi immédiatement à ces événements que nous avons surmontés aujourd’hui. Je pense que les États-Unis protègent les minorités et, bien sûr, les musulmans aussi”, dit-il avant de lancer un “God bless America”. Ahmed ajoute que “le peuple américain est un peuple juste qui n’opprime personne”.
Cigarette après cigarette, ils n’ont de cesse de relativiser l’impact de l’évènement sur leurs vies. Même lorsqu’on évoque la présidence de Donald Trump qui n’est visiblement, à leurs yeux, qu’une péripétie de la vie politique américaine.
Hostilité et arrestations arbitraires
Un peu plus loin, entre la laverie et l’épicerie palestinienne Balady, toujours sur la cinquième avenue de Brooklyn, Rabyaah Althaibani n’a pas la même vision que ses aînés. Américaine d’origine yéménite, le 11-Septembre fut pour elle un basculement.
Sa voix tremble encore lorsqu’elle évoque avoir vu de ses yeux les tours s’effondrer et que son père lui a recommandé (ainsi qu’à sa mère et à ses sœurs) de ne pas porter leur hijab dans la rue pour quelques temps.
Dans les mois qui ont suivi les attentats du 11-Septembre, “nous étions terrifiés”, raconte la jeune femme. “Une amie d’origine yéménite avec qui j’ai grandi m’avait appelé pour me dire que le FBI avait arrêté son mari. Agent d’entretien dans une école, le principal l’avait entendu parler en arabe et avait appelé le FBI. Ils l’ont arrêté et il a disparu pendant 8 mois.”
Au moins 762 personnes, détenues pour suspicion d’appartenance à un mouvement terroriste, ont déposé une plainte collective contre le FBI en avril 2002. Celle-ci n’a été jugée recevable par une cour d’appel fédérale qu’en 2015.
De la peur à l’action
Rabyaah Althaibani rappelle que si les attentats du 11-Septembre ont mis sa communauté sous pression, les préjugés anti-musulmans n’ont pas attendu le projet fou d’Al-Qaïda pour s’exprimer.
Lors de la première guerre du Golfe en 1990-1991 – elle avait alors 6 ans – elle vit sa mère se faire frapper dans un magasin du quartier par une femme avec un exemplaire du New York Post qui faisait une Une tapageuse sur l’opération “Tempête du désert”.
Quelques années plus tard, “je suis allée acheter un déguisement pour Halloween et il y avait un costume de terroriste arabe… Je n’étais qu’une petite fille et vous ne pouvez pas vous imaginer le mal que ça m’a fait”.
Après le 11-Septembre, elle est devenue une “activiste” en travaillant dans des organisations qui représentent les Arabes et les musulmans de New York. Consultante, elle travaille notamment pour le parti démocrate et a soutenu Bernie Sanders, un autre enfant de Brooklyn.
Car, pour elle, “le monde a changé depuis le 11-Septembre. Il y a eu deux guerres, la situation au Moyen-Orient est un désastre total et pour nous, les Arabes américains, beaucoup de choses ont changé aussi. Est-ce que c’est aussi violent qu’il y a 20 ans ? Non. Mais c’est sûr qu’il y a encore beaucoup d’islamophobes dans le pays”.
Verre à moitié plein ou à moitié vide ?
Beaucoup d’études sur la perception des communautés arabo-musulmanes aux États-Unis montrent un pays coupé en deux. Un sondage réalisé par l’agence AP et l’université de Chicago, en août 2021, révèle que 53 % des Américains ont une image négative de l’islam, alors que l’immense majorité a une vision positive du christianisme et du judaïsme.
Une étude du Pew Research Center, publiée en 2017, révèle que la moitié des musulmans américains dit avoir déjà été victime de discriminations, tandis que l’autre moitié s’estime correctement protégée et valorisée.
Dans les rues de Bay Ridge, lorsque l’on évoque les attentats du 11-Septembre, nos interlocuteurs semble eux aussi partagés. Une jeune fille, un voile sur les cheveux, raconte “qu’au travail on vous traite différemment. Dans des restaurants, pendant des sorties, on m’a jeté des verres dessus, comme ça, sans raison. Quand tu vas dans un quartier où il n’y a pas de musulmans, on te regarde mal”.
D’autres, comme ce serveur de café jordanien arrivé aux États-Unis il y a quatre ans, ne retiennent que le verre à moitié plein. “On peut dire ce que l’on veut, on est mieux ici que là-bas”.