De nombreuses images de capybaras prises à Nordelta, un quartier riche de Buenos Aires, la capitale argentine, ont été diffusées ces dernières semaines sur les réseaux sociaux, où elles ont provoqué de vives discussions. Des habitants jugent que ces gros rongeurs ont “envahi” leur quartier. Mais beaucoup estiment que c’est simplement la nature qui a repris ses droits. Ce quartier ayant été construit sur une zone qui constituait leur habitat naturel.
Le capybara – “carpincho” en espagnol – est le plus grand rongeur du monde : adulte, il mesure plus d’un mètre et pèse entre 35 kg et 65 kg. C’est un animal terrestre, mais qui vit toujours près des cours d’eau, en Amérique du Sud.
De nombreuses images ont récemment été partagées, les montrant au bord de cours d’eau ou encore de piscines à Nordelta.
Situé au nord de Buenos Aires, ce quartier luxueux a commencé à être construit il y a une vingtaine d’années sur les zones humides bordant le fleuve Paraná. Environ 40 000 habitants y vivent, et l’accès au quartier est réservé aux seules personnes autorisées.
Cela fait des années qu’il y a des capybaras à Nordelta. Mais selon les habitants, ils seraient de plus en plus nombreux – environ 400 d’après leurs estimations. La direction de la flore et la faune de la province de Buenos Aires a d’ailleurs indiqué récemment qu’il y avait une “surpopulation” de capybaras dans la zone, après l’avoir inspectée en juillet.
‘Les capybaras peuvent parfois mordre les chiens, même si ça n’arrive pas souvent’
Mariana Nistico vit à Nordelta depuis dix ans. Elle explique pourquoi les rongeurs ont commencé à gêner certains habitants :
Depuis quelques années, on les voit le long de la route principale, où ils mangent l’herbe et les plantes, car il y a de moins en moins d’espaces verts pour eux, du fait de l’urbanisation de la zone. Les voitures sont donc obligées de freiner pour les éviter, ce qui perturbe le trafic. Certains voisins, qui ont leurs maisons au bord de l’eau, se plaignent aussi car ils abîment leurs jardins. De plus, les capybaras peuvent parfois mordre les chiens, s’ils ont l’impression qu’ils vont attaquer leurs petits, même si ça n’arrive pas souvent.
Capybaras le long de la route principale de Nordelta. Vidéo tournée par Mariana Nistico fin août.
En mai, un chien a ainsi été mordu par un capybara dans un jardin, et en août, un motard a chuté après avoir percuté l’un d’eux : ce sont notamment ces incidents qui ont attiré l’attention des médias nationaux et commencé à générer des discussions sur les réseaux sociaux, au sujet de ces rongeurs. Des habitants auraient également tiré sur des capybaras.
Un motard a chuté après avoir percuté un capybara à Nordelta, à la mi-août.
“On ne peut pas parler ‘d’invasion’ des capybaras, car le quartier de Nordelta s’est développé sur une zone qui constituait leur habitat naturel”
Adelmar Funk est le directeur de l’ONG Eco de América, qui protège la faune sauvage au sein d’un refuge situé à plus de 400 km de Buenos Aires.
Les prédateurs naturels des capybaras – pumas, chacals, reptiles, etc. – ont disparu petit à petit quand le quartier s’est développé. Donc les capybaras ont pu se reproduire sans que leurs petits ne soient dévorés – sachant qu’une femelle peut avoir entre deux et huit petits par portée, ce qui est beaucoup – et ça leur permet de vivre plus longtemps. Je pense que c’est pour ça que le nombre de capybaras a augmenté.
Par ailleurs, ces rongeurs sont de plus en plus visibles car, avec l’urbanisation de la zone, ils ont de moins en moins d’espaces où ils peuvent s’alimenter, ce qui explique pourquoi ils vont dans les jardins.
De plus, pendant longtemps, certains habitants leur ont donné de la nourriture ou les ont mis dans leurs piscines, car ils les trouvaient mignons. Résultat : les capybaras ont de moins en moins peur de s’approcher des humains, ce qui explique, là encore, pourquoi on les voit de plus en plus.
“Quand on attaque la nature, elle répond”
Ça fait environ deux ans qu’on entend parler des capybaras à Nordelta. On peut donc penser que les incidents avec le chien et le motard ont été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase pour les habitants.
Ceci étant dit, leurs craintes n’ont rien d’absurde car ces faits peuvent se répéter. Les capybaras peuvent même être dangereux avec les enfants : s’ils s’en approchent, les rongeurs peuvent avoir peur et les mordre. Ils n’attaquent pas, car ils sont herbivores, mais ils peuvent se défendre s’ils ont peur.
En tout cas, on ne peut pas parler “d’invasion” des capybaras, car le quartier de Nordelta s’est développé sur une zone qui constituait leur habitat naturel. Donc quand on attaque la nature, elle répond. Avant de construire, il faut faire des études d’impact environnemental…
Selon la Société argentine pour l’étude des mammifères, la baisse historique du Parana, liée à une sécheresse, et les incendies, fréquents dans les zones humides autour du fleuve depuis deux ans, pourraient également avoir favorisé le déplacement de rongeurs vers le quartier.
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Afin de résoudre le “problème” des capybaras, plusieurs pistes ont été envisagées par les acteurs locaux : expliquer aux habitants comment cohabiter avec les rongeurs, créer des zones spécifiques où ils pourraient vivre, contrôler leur reproduction, ou encore les déplacer à un autre endroit.
Pour Adelmar Funk, ces pistes sont “valides”, mais prendront du temps. De plus, il estime que capturer les animaux pour les déplacer ou les stériliser pourrait être traumatisant pour eux, et qu’il ne faudrait pas “déplacer le problème ailleurs”. Selon lui, à court terme, il faudrait plutôt “installer des barrières pour empêcher les capybaras de s’approcher : ils iraient alors ailleurs, et en s’éloignant, ils perdraient la confiance qu’ils ont acquise dans les êtres humains.”
Le débat autour du projet de loi relatif aux “zones humides” relancé
Au-delà des préoccupations des habitants de Nordelta, l’affaire des capybaras a relancé le débat autour du projet de loi relatif aux “zones humides”, actuellement en discussion au Parlement argentin, et qui permettrait de protéger ces zones, notamment des grands projets immobiliers.
Enfin, sur les réseaux sociaux, nombre d’Argentins se sont amusés à faire le parallèle entre les capybaras et les personnes exclues de Nordelta. De nombreux mèmes montrent ainsi les rongeurs en train de “lutter” pour reconquérir leur territoire, tels des héros de la “lutte des classes”.