Le site ProLifeWhistleblower, mis en ligne par la très droitière association texane Texas Right to Life, est devenu la cible naturelle de tous les Américains qui veulent dénoncer la très controversée nouvelle loi texane sur l’avortement. Ce site, actuellement indisponible, permettait de dénoncer les femmes qui voulaient avorter au Texas ou les cliniques prêtes à les aider.
La chasse au site ProLifeWhistleblower sévit en ligne. Ce portail mis en ligne pour “aider” à dénoncer les femmes et cliniques qui pratiqueraient un avortement au Texas est devenu ces derniers jours le symbole de la lutte d’une partie des internautes américains contre la très controversée loi anti-avortement adoptée par le Texas le 1er septembre.
Alors que le ministère de la Justice a assuré, lundi, qu’il soutiendrait les femmes qui chercheraient, malgré tout, à subir un avortement au Texas, des internautes et des groupes tech tentent, quant à eux, de compliquer la tâche à ceux qui soutiennent la nouvelle législation texane. À commencer par ProLifeWhistleblower.
La tactique TikTok
Le site vient ainsi de perdre son deuxième hébergeur, mardi 7 septembre, et se retrouve actuellement sans adresse sur le Web. Au moment de la publication de cet article, quiconque cherchait à s’y connecter était automatiquement redirigé vers le site de Texas Right to Life, la plus puissante association anti-avortement du Texas, à l’origine de ProLifeWhistleblower et ayant aidé le gouverneur de l’État à rédiger la loi anti-avortement.
Ce portail, sans lien officiel avec les autorités texanes, a été créé il y a plus d’un mois en anticipation de la très restrictive loi S.B. 8 pour “aider” les Texans désireux de “soumettre anonymement” des informations sur des individus ou cliniques qui enfreindraient la nouvelle législation. Le législateur texan a en effet chargé les citoyens de traquer les femmes qui chercheraient à subir un avortement au-delà de six semaines après le début de leur grossesse.
En tant que bras numérique d’un texte honni par les Américains favorables au droit à l’avortement, le site conçu par Texas Right to Life est tout naturellement devenu leur ennemi public numéro 1. Ils ont commencé, deux jours après l’adoption de la loi, à inonder le site de fausses dénonciations.
Une mobilisation qui a commencé sur TikTok, où des influenceurs ont appelé leurs abonnés à inventer des témoignages. L’un d’entre eux s’est ainsi vanté d’avoir soumis plus de 700 fausses dénonciations en se faisant passer pour le très conservateur gouverneur du Texas, Greg Abbott.
Un informaticien très actif sur TikTok a même mis au point un petit programme permettant d’automatiser l’écriture de dénonciations bidons. Un jour après sa mise à disposition pour les internautes, plus de 10 000 d’entre eux l’avaient utilisé, a-t-il raconté au New York Times.
Ce n’est pas la première fois que le célèbre réseau social, très populaire parmi les adolescents, est utilisé par les internautes contre des personnalités ou mesures très à droite de l’échiquier politique. En juin 2020, l’ex-président américain Donald Trump s’était ainsi retrouvé face à un stade quasi vide à Tusla pour l’un de ses meetings de campagne à cause d’une mobilisation d’utilisateurs de TikTok qui s’étaient massivement inscrits en ligne sans avoir l’intention de s’y rendre.
Bouter le site hors d’Internet
Mais cette fois-ci, d’autres sites communautaires – comme Reddit ou 4Chan – se sont joints à l’effort des “tiktokeurs” pour noyer le site sous les fausses dénonciations.
Et ils ne se sont pas arrêtés là. Des appels aux hébergeurs se sont multipliés en ligne afin de bouter le site hors du Net. GoDaddy a craqué en début de week-end. Le plus important hébergeur du pays – où Texas Right to Life avait d’abord enregistré son site de dénonciation – a annoncé que ProLifeWhistleblower “violait les conditions d’utilisation” de son service et devait trouver un nouveau domicile numérique “sous 24 heures”.
Pas de problème, pensaient les activistes de Texas Right to Life, qui se sont tournés vers le très sulfureux hébergeur Epik. Ce dernier est connu pour accepter, au nom de la liberté d’expression, des sites très controversés comme les réseaux sociaux d’extrême droite Parler et Gab.
Mais même Epik a annoncé, lundi, ne pas vouloir avoir affaire à ProLifeWhistleblower. L’hébergeur a expliqué que cela n’avait rien à voir avec le positionnement politique de ce site anti-avortement, mais plutôt avec le fait de rendre public en ligne, par le biais de dénonciations, des détails sur des particuliers sans leur consentement.
L’association Texas Right to Life ne s’avoue pas vaincue pour autant. “Nous serons de retour bientôt !”, a promis Kimberlyn Schwartz, présidente du mouvement. Mais où ? Une option serait d’aller s’exiler chez un hébergeur outre-Atlantique comme l’a fait le célèbre site néonazi The Daily Stormer. Ce dernier a, ironiquement, trouvé refuge chez un hébergeur utilisant les extensions de domaine en “.su”… qui avaient été réservés pour l’ex-Union soviétique.
En attendant, si la guérilla en ligne contre ProLifeWhistleblower fait du bruit médiatique, l’impact réel sur le terrain pour les femmes et cliniques qui risquent de faire les frais de la nouvelle loi est loin d’être évident.
Mais même l’administration Biden, officiellement opposée à ce texte de loi, peine à trouver la parade. Le ministère de la Justice a promis, lundi, de se coordonner avec le FBI local pour “protéger” les femmes et les cliniques, sans préciser quelle était sa marge de manœuvre réelle face au pouvoir local. L’ONU s’est aussi exprimée, jugeant que la loi S.B.8 était probablement contraire au droit international. Mais ce n’est pas ça qui va empêcher des Texans de partir à la chasse aux cliniques qui voudraient aider les femmes à avorter.